Cette convention, la première entre nos deux pays, a tout lieu d’être puisque la Principauté d’Andorre a instauré depuis 2013 un impôt sur le revenu.
C’est donc à dessein qu’une convention doit être passée, comme c’est le cas avec les 124 autres États avec lesquels notre pays s’est lié par une convention fiscale.
L’objet d’une convention est de régler sur le long terme les relations entre les États et d’assurer la sécurité juridique nécessaire aux personnes. Or, monsieur le secrétaire d’État, la convention que vous nous soumettez ce jour à ratification ne garantit pas cette sécurité juridique. Nous sommes même loin de la sécurité juridique que veut faire sienne le Gouvernement.
Cette convention n’est pas, et de loin, identique aux autres. Elle est particulière, innovante même, dirai-je, et mérite à ce titre toute notre attention.
Je veux bien entendu parler de l’article 25 de la convention, plus particulièrement du d) de son 1. Avec cet alinéa, le Gouvernement demande à la représentation nationale d’approuver le fait que la France puisse imposer les Français d’Andorre « comme si la présente convention n’existait pas ».
Comprenez mon étonnement, à tout le moins, devant ce texte… Je m’interroge sur le but que vous cherchez à atteindre en nous demandant de ratifier une convention de non-double imposition dont le texte prévoit que cette même convention peut ne pas s’appliquer !
Une convention, ce n’est pas une loi, mais cela ne doit pas nous empêcher d’étudier son esprit comme tel. Si une loi peut comporter une part d’incertitude, cette convention ne répond pas au cadre de l’incertitude avancée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 août 2003. L’incertitude doit être inévitable et son degré justifié par l’intérêt général. L’imposition des Français d’Andorre et, a posteriori, celle des Français établis dans un autre État, n’est ni inévitable ni justifiée par l’intérêt général. En effet, et je vais y venir, son application pourrait avoir un coût supérieur à son rapport.
Je m’interroge aussi sur les raisons qui justifient une telle clause. Pourquoi les Français d’Andorre ? Qu’ont-ils fait, ou que n’ont-ils pas fait ? À cette interrogation, on trouve partiellement la réponse dans la seconde phrase du d) de l’article 25 : « Lorsque la législation fiscale française permet l’application de la présente disposition, les autorités compétentes des États contractants règlent d’un commun accord la mise en œuvre de cette dernière.» Tout cela a un petit parfum de convention fiscale franco-monégasque.
Nous voici donc au cœur de la question de la fiscalité des Français établis hors de France.
Comment pouvez-vous demander, monsieur le secrétaire d’État, la ratification d’un tel alinéa sans traiter préalablement de l’ensemble du sujet ? Ce texte impose une réflexion de fond – vous l’avez dit vous-même – et un véritable débat.
Il n’est pas digne d’insérer dans une convention avec un État dans lequel résident environ 3 200 Français une phrase, aussi énigmatique soit-elle – je dirai même, en tant que législateur, aussi mal rédigée soit-elle –, qui introduira des dispositions permettant l’impôt sur la nationalité.
Par cette convention, les 3 millions de Français établis hors de France connaissent désormais votre intention d’ouvrir la porte à l’impôt sur la nationalité. Ils attendent maintenant votre réponse sur votre intention d’élargir en retour la solidarité nationale, même si vous l’avez affirmé, de même que votre prédécesseur à l’Assemblée nationale et M. le secrétaire d’État chargé du budget.
Avez-vous réfléchi aux contreparties à l’impôt acquitté, que vous accorderez aux Français d’Andorre, puis aux autres ? Allez-vous les rattacher à la solidarité nationale, ou voulez-vous une solidarité à sens unique ? Alors que vous vous êtes opposés à la prise en charge des frais de scolarité dans les établissements scolaires français à l’étranger, allez-vous accorder maintenant, en contrepartie à cette taxation, la gratuité dès la maternelle dans les écoles françaises, voire régler les frais de scolarité des Français dans les écoles étrangères ? La solidarité nationale s’exercera-t-elle aussi pour les frais de santé ? La solidarité nationale inclura-t-elle les primes de rentrée scolaire et de Noël ? La solidarité nationale vaudra-t-elle pour les allocations familiales ? Ces questions méritent d’être posées et, surtout, d’obtenir une réponse.
Je vous demande également quels services seront en charge de l’exécution de cette disposition, puisque le service des non-résidents n’aura plus vraiment de sens, dans la mesure où les Français établis de France ne pourront plus être considérés comme des non-résidents.
Vous nous avez récemment affirmé, monsieur le secrétaire d’État – cette question s’adressait à M. le secrétaire d’État chargé du budget – que vous n’avez aucune intention d’instaurer cet impôt.
Je ne demande qu’à vous croire, mais deux éléments m’en empêchent.
Le premier provient du c) du 1 de l’article 25. Cet alinéa répond à lui seul au souhait gouvernemental que tout revenu soit imposable. En effet, grâce à cet alinéa, la France peut imposer les revenus pour lesquels la Principauté d’Andorre n’a pas encore adopté de dispositions législatives d’imposition.
Le second élément a trait au fait que, depuis 2013, date de la décision andorrane d’introduire l’impôt sur le revenu – et nous sommes tout de même à quelques jours de la fin de 2014 –, le gouvernement français n’a pas profité de cet intervalle pour retravailler le texte. Cette clause n’aurait pas été maintenue avec la Principauté si vous n’aviez pas l’intention de la mettre à profit. Tout est dit.
En votant votre projet de loi autorisant l’approbation de la convention telle qu’elle vient d’être présentée, le législateur adopterait les articles qui la composent et indiquerait donc sa volonté de les voir appliqués : il indiquerait donc vouloir la taxation, par la France, de ses nationaux résidant dans un autre État, en d’autres termes l’application d’un impôt sur la nationalité.
Le Gouvernement pourra ainsi, monsieur le secrétaire d’État, se retrancher derrière ce vote pour faire évoluer la législation fiscale, et le groupe UMP ne peut accepter cela.
Pour terminer sur cet alinéa, je souhaiterais vous poser une question : avez-vous mené également une réflexion sur le fait que les autorités françaises devront régler avec les autres États la mise en œuvre de sa propre législation ? Que de négociations en perspective !
Je résume : la France va renégocier les conventions fiscales pour lui permettre de taxer ses nationaux, puis, lorsque sa législation le lui permettra, elle négociera de nouveau pour pouvoir la mettre en œuvre.
La procédure parlementaire ne nous permet pas d’amender une convention. C’est dommage, mais c’est ainsi.
Avec mes collègues du groupe UMP, nous considérons que la rédaction de cette convention est sujette à des difficultés ultérieures. Nous ne pouvons donc pas voter en faveur de sa ratification.
« On pense qu’on pourra rattraper ultérieurement les malfaçons. Mais on se trompe. Une loi mal pensée et mal conçue présentera toujours de graves défauts, y compris après être passée au filtre du tamis parlementaire. » Cette phrase, frappée au coin du bon sens, nous la devons à l’un des vôtres, monsieur le secrétaire d’État, puisque c’est Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, qui s’exprimait ainsi dans La Semaine Juridique du 10 novembre dernier.
Nous avons bien mesuré, quant à nous, les conséquences de ce refus tant pour les personnes physiques qui se verront soumises à la double imposition, que pour les bonnes relations que la France entretient avec la Principauté d’Andorre.
Pour ce qui est d’une éventuelle double imposition, nous faisons confiance au Gouvernement pour que, dans l’attente d’une nouvelle rédaction, vous résolviez très rapidement cette difficulté. Vous avez les moyens législatifs, en profitant de la navette parlementaire, d’introduire un article ad hoc dans le projet de loi de finances rectificative. Quand on veut, on peut ! §
Quant aux bonnes relations, légendaires et mémorables, avec Andorre, nous faisons confiance au coprince pour qu’il fasse le nécessaire afin que la convention soit renégociée. Supprimer deux phrases dans un article d’une convention, c’est assez simple quand on le veut.
Le groupe UMP demande donc la suppression du d) du 1 de l’article 25. Dès sa suppression, il votera sans hésiter la ratification de cette convention.
Puisque mon temps de parole n’est pas totalement écoulé, j’ajouterai quelques précisions.
Je me pose toujours la question de savoir quel problème fiscal fondamental a la France avec ces deux principautés. En effet, intervenant à cette tribune, je pense au débat qui s’est tenu en juillet 1963 avec le gouvernement français, à l’occasion duquel le sénateur Georges Portmann, homme éminent, était le rapporteur de la commission des finances sur le projet de ratification de la convention fiscale entre la France et Monaco.
Ce qu’il a dit, il a fallu cinquante et un ans aux Français de Monaco pour le faire respecter, monsieur le secrétaire d’État ! Il a fallu mener des combats qui se sont terminés devant le Conseil d’État. L’administration fiscale n’ayant tenu aucun compte de ce qu’avait dit la représentation nationale, et considérant que la naissance à Monaco équivalait à un transfert de domicile, des contentieux se sont terminés devant le Conseil d’État. Ce dernier a fini par donner gain de cause aux Français nés à Monaco. Or tout figurait déjà dans le rapport de M. Portmann et avait été évoqué lors des débats législatifs !
Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le secrétaire d’État, nous ne souhaitons pas aujourd’hui voter un texte dont nous désapprouvons une clause, et ce même si vous nous assurez que cette dernière ne s’appliquera jamais compte tenu de l’intention du gouvernement actuel. Vos propos engagent non pas seulement le gouvernement auquel vous appartenez, mais aussi la France. Or, on ne sait pas ce qui sera fait d’une telle clause par la suite ! Voilà pourquoi nous ne souhaitons pas que cette clause, dont vous nous dites qu’elle n’a pas à s’appliquer aujourd’hui, puisse être utilisée par un gouvernement futur qui pourrait vouloir la mettre en œuvre. §