Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du texte abolitionniste voté par l’Assemblée nationale. La commission spéciale de la Haute Assemblée en a fait un texte prohibitionniste, avec le rétablissement du délit de racolage, que le Sénat avait pourtant abrogé en 2013 en adoptant à l’unanimité une proposition de loi que j’avais déposée au nom du groupe écologiste.
Le titre même de la présente proposition de loi gomme la diversité de la réalité de la prostitution. De quel « système » parlons-nous ? Ce concept, créé de toutes pièces, réduit le phénomène de la prostitution aux réseaux de proxénétisme et donne à la puissance publique un seul but : arracher des griffes de leurs proxénètes de « pauvres femmes étrangères ».
En Europe, la traite dont nous parlons rapporterait environ 3 milliards de dollars par an. Cela représente un marché criminel colossal. Reste que, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime et l’Organisation internationale du travail, sur un million de personnes prostituées en Europe, de 140 000 à 270 000, soit entre 14 % et 27 %, seraient effectivement soumises à la traite pour exploitation sexuelle.
Les personnes prostituées étrangères – femmes, hommes et « trans » – ne relèvent pas toutes de ce « système ». Certes, parties de divers continents, nombre d’entre elles ont eu recours à des réseaux pour atteindre l’Europe dans l’espoir d’améliorer leur condition économique. Cependant, elles abandonnent ces réseaux par la suite, une fois leur dette payée. Nous sommes, en tout cas, loin du chiffre, asséné dans le rapport de l’Assemblée nationale, de 90 % de personnes prostituées dépendant d’un réseau de proxénétisme.
Le premier objectif d’une loi sur la prostitution devrait être de soustraire les personnes victimes de proxénètes à la contrainte et à la violence qui transforment leur vie en enfer. Robert Badinter l’a de nouveau souligné : l’urgence est de s’attaquer au « mal organisé », c'est-à-dire aux réseaux mafieux, et de s’en donner les moyens.
Or où en sommes-nous sur ce point ? Pas assez d’argent n’est dégagé pour augmenter le nombre de policiers chargés de la chasse aux proxénètes. Pour l’accompagnement des étrangères souhaitant échapper à ces réseaux, que prévoit-on ? Des miettes, à savoir l’attribution d’un titre de séjour de six mois renouvelable, si le parcours d’insertion est positif. Comment ces femmes pourraient-elles, en six mois, se reconstruire, trouver un logement, un travail ? Après avoir dénoncé leurs réseaux, seront-elles donc renvoyées chez elles pour risquer le pire ?
Et que fait-on des autres prostitués ? Des hommes ? Des étudiants et étudiantes qui se prostituent ponctuellement parce que leurs parents, appauvris par la crise, ne peuvent subvenir à leurs besoins ? Des Françaises sans ressources, sans qualification, sans capital familial, qui parent ainsi aux effets d’une précarité insupportable ?
Celles qui continuent à se prostituer seraient toutes des femmes violentées, agressées sexuellement dans leur enfance, victimes d’inceste. Aux yeux des abolitionnistes, une femme « normale » ne pourrait librement consentir une relation sexuelle contre rémunération.
Virginie Despentes, dans son essai King Kong Théorie publié en 2006, affirme : « La sexualité masculine en elle-même ne constitue pas une violence sur les femmes, si elles sont consentantes et bien rémunérées. C’est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place ce qui est digne et ce qui ne l’est pas. »