Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 30 mars 2015 à 16h00
Prostitution — Discussion générale

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq minutes pour résumer deux ans et demi de travail, c’est très court !

Longtemps, appliqué au problème de la prostitution, le terme « abolitionnisme » a visé la suppression de toute forme de réglementation. Je songe notamment au combat mené en Angleterre par Josephine Butler dans les années 1870. Je pense bien entendu à la loi de 1946, qui a érigé le racolage en délit lors de la fermeture des maisons closes.

Par extension, ce que l’on appelle « abolitionnisme » est devenu le combat contre la prostitution, pour la disparition de celle-ci.

Je suis convaincu que la prostitution contrainte est une barbarie, un esclavagisme. En ce sens, oui, je suis abolitionniste.

Toutefois, par ce que je considère comme une confusion, la pensée abolitionniste est, désormais, souvent associée à la défense d’une politique pénale qui sanctionne le client. Or je ne crois pas que la pénalisation de ce dernier soit un choix pertinent, suffisant et efficace.

Nos débats vont se concentrer sur la pénalisation du client, car cette mesure cristallise certains désaccords.

Je le dis et je le répète : si je m’oppose à la pénalisation des clients des personnes prostituées, c’est pour ces dernières et pour elles seules. C’est parce que, au terme de deux ans et demi de travaux consacrés à ce sujet, je suis convaincu qu’en pénalisant les clients l’on pénaliserait avant tout les personnes prostituées, que celles-ci seraient les premières à subir directement les conséquences d’une telle mesure. Je suis persuadé qu’une telle disposition serait subie aussi et avant tout par elles, que l’on cherche précisément à protéger à travers cette proposition de loi.

Ma conviction est intacte et, avec détermination, je persiste à m’opposer à cette mesure.

Je crains que la pénalisation des clients n’ait pour effet de dégrader la situation sanitaire et sociale déjà préoccupante des personnes prostituées, obligées de se retrancher dans des lieux isolés, étant ainsi moins accessibles aux représentants des associations de prévention et d’accompagnement qui viennent à leur rencontre. À mon sens, cette mesure aurait les mêmes conséquences que la disposition relative au racolage passif.

Au demeurant, la pénalisation du client n’aurait éventuellement d’effet que sur ce qui se voit, c’est-à-dire, notamment, sur la prostitution de rue. A contrario, elle serait inopérante pour la prostitution sur internet, qui se révèle aujourd’hui en plein essor. Elle ne permettrait pas de lutter contre les réseaux. Elle n’aiderait pas à remonter les filières.

L’article 16 de la proposition de loi initiale, que certains amendements tendent à rétablir, me fait l’effet d’une position de principe dont la seule vocation serait de transcrire une éthique, une morale. Pourquoi pas ? Je pourrais suivre ce raisonnement si je n’étais pas convaincu que son application mettrait les personnes prostituées en danger, qu’elle aurait l’effet inverse de celui que nous visons et qu’elle n’inverserait le mécanisme de la culpabilité que dans la lettre du droit.

Oui, je reste circonspect face au volet pénal du présent texte. Les auteurs de ce dernier ont voulu prendre exemple sur le modèle suédois, qui – nous y reviendrons sans doute lors de l’examen des articles – n’est pourtant pas si exemplaire qu’on le prétend parfois. Ce système est loin de faire l’unanimité !

En dépit d’une promesse de campagne, le Danemark a finalement renoncé à introduire dans sa législation une disposition similaire, en raison des conséquences qui auraient pu en résulter pour les personnes prostituées et du fait du degré d’incertitude particulièrement élevé que présenterait une telle mesure en matière de lutte contre les réseaux.

En 2012, le Parlement écossais a également rejeté un texte de loi interdisant tout achat de prestation sexuelle.

Par ailleurs, l’applicabilité d’une telle mesure pose problème : comment la relation sexuelle tarifée serait-elle matériellement caractérisée, sachant que ni le client ni la personne prostituée n’auront intérêt à reconnaître que celle-ci a eu lieu ?

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