Cette intervention sur l’article 13 ne préjuge en rien du vote que j’émettrai sur cet article. Je souhaite simplement formuler quelques interrogations à l’orée de cette discussion.
À mon sens, l’article 13 et l’article 16 auraient pu faire l’objet d’un article unique concernant la pénalisation, dans la mesure où ils sont indissociables l’un de l’autre. Ils sont même tellement indissociables que le vote préalable de l’un peut fausser le vote sur l’autre. À défaut de pouvoir les réunir dans un article unique, j’aurais souhaité que l’on puisse les examiner en même temps.
Je voudrais aussi rappeler à mes collègues que la procédure accélérée n’a pas été engagée. Autrement dit, le texte que nous examinons aujourd’hui, en navette, sera renvoyé à l’Assemblée nationale avant de revenir au Sénat ; peut-être fera-t-il même l’objet d’une commission mixte paritaire. Par conséquent, nous avons encore le temps de la réflexion. Même si parfois nous souhaitons avancer rapidement, il me semble nécessaire, sur des sujets aussi importants, de prendre le temps de la réflexion et, le cas échéant, de dialoguer avec le Gouvernement et les députés.
J’avais émis beaucoup de réserves sur l’article 13 lorsque Mme Benbassa avait déposé sa proposition de loi. À cette époque, la ministre au banc m’avait affirmé que ce sujet serait traité à nouveau dans un texte sur la prostitution. Seulement, force est de constater que nous retrouvons sur ce sujet le texte que nous avons voté ici même dans son intégralité, ce qui me chagrine un peu.
En effet, le délit de racolage tel qu’il est conçu aujourd’hui ne me paraît pas adapté. Comme cela a souvent été souligné, la mise en œuvre de ce délit de racolage a eu bien des inconvénients, et majeurs, au niveau sanitaire et social, mais aussi en ce qu’il a éloigné les prostituées notamment des associations qui sont à même de prendre contact avec elles.
Dans le texte de 2003, l’article 225-10-1 prévoit l’interdiction du racolage « par tous moyens », et c’est là que se situe le nœud du problème, puisque même une « attitude passive » serait passible de sanction.
En 2003, l’objectif était surtout d’obtenir des résultats chiffrés et de faire en sorte que les prostituées ne soient plus visibles dans un certain nombre de lieux, notamment à Paris ou dans d’autres grandes villes, ce qui a eu d’importantes conséquences sanitaires.
Aujourd’hui, l’article 13 prévoit d’abroger l’article 225-10-1 du code pénal, ce qui entraîne par là même la suppression de toute législation sur le racolage. Mais n’est-il pas nécessaire que le code pénal statue sur le racolage ? Je m’interroge à haute voix, mes chers collègues, car la question se pose.
D’autant plus que, dans toutes les auditions que nous avons menées depuis maintenant deux ans, les représentants de la Brigade de répression du proxénétisme, la BRP, et ceux de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRET, ainsi qu’un certain nombre de magistrats, ont insisté systématiquement sur le fait que le délit de racolage est un moyen pour eux de lutter contre les réseaux et d’obtenir des informations pour pouvoir remonter ensuite un certain nombre de filières. Par conséquent, il semble nécessaire de le maintenir.
On nous a dit aussi que le délit de racolage permet parfois d’avoir un contact avec des personnes prostituées qui viennent de pays étrangers, notamment du Nigeria, même si le contexte de la garde à vue n’est malheureusement pas très agréable. Les personnes prostituées ont souvent tellement peur de l’uniforme, de tout ce qui représente l’ordre en général, parce qu’elles ont subi tellement de violence au cours de leur trajet pour venir en France de ces mêmes représentants de l’ordre, qu’elles ne prendront jamais directement contact avec les institutions. Voilà pourquoi une suppression totale du délit de racolage m’interpelle.
Je pense donc qu’une réflexion plus profonde est nécessaire sur ce point, voire une réécriture de l’article. De la même manière, je vous proposerai plus loin une rédaction différente de l’article 16 qui pourrait satisfaire un certain nombre de nos collègues.
Je suis donc tenté de m’abstenir sur ce texte, pour la raison que je viens de vous donner, et parce que je ne peux pas m’engager sur l’article 13 tant que je ne connais pas le vote du Sénat sur l’article 16.