L’asile est une chose et l’immigration en est une autre. Il y a une immigration régulière, et il est bien normal que notre pays se dote d’une politique migratoire – ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui : peut-être est-ce dommage ? – ; il y a une immigration clandestine, contre laquelle nous devons lutter fermement.
La politique de l’asile découle avant tout de l’application de la convention de Genève de 1951. La France a le devoir d’accorder une protection à ceux qui sont menacés dans leur pays. L’objectif, ce n’est pas de répondre systématiquement par la négative ; c’est de pouvoir accorder rapidement l’asile à ceux qui en ont besoin. La difficulté qui est la nôtre aujourd’hui dans notre droit et dans la situation de fait tient au fait que la procédure a été dévoyée, et ce pour plusieurs raisons.
Sous le précédent quinquennat, j’ai eu à connaître, avec d’autres collègues, de ces politiques. Je peux témoigner, et je ne pense pas être démenti à cette tribune, que les moyens financiers de l’OFPRA, alors erratiques, ont été sanctuarisés. Nous étions parfaitement conscients de l’instabilité de certains pays et de la nécessité de permettre à cette instance, à laquelle nous sommes très attachés, de pouvoir travailler correctement.
Nous avons institué la Cour nationale du droit d’asile. Je suis intervenu à de multiples reprises sur le sujet dans cet hémicycle. Le dispositif que nous avions mis en place doit évoluer, car des insuffisances sont apparues.
Aujourd'hui, un demandeur attend en moyenne entre dix-sept mois et vingt-quatre mois pour savoir si la France lui accorde ou non la protection.
Les demandes ont augmenté, passant de 61 468 en 2012 à 66 251 en 2013, avant de redescendre en 2014, comme l’a souligné M. le ministre, à 64 811, ce qui est tout de même un chiffre élevé. Dans le même temps, les demandes en stock atteignaient, en 2012, 24 498, contre 30 197 en 2013. En 2012, les admissions s’élevaient à 10 000, contre 11 428 en 2013 et 14 512 en 2014. Il y a donc environ 40 000 déboutés du droit d’asile chaque année.
Cette situation est liée tout particulièrement à la longueur des délais et au fait que certains – cela ne concerne pas seulement des filières – utilisent la procédure de demande d’asile comme s’il s’agissait d’une procédure d’immigration. Cela ne peut évidemment pas fonctionner.
Le présent projet de loi aurait pu être examiné par le Sénat en même temps que le texte sur l’immigration, mais ce n’est pas le choix qui a été retenu. On peut le comprendre, car les deux sujets sont distincts, mais c’est tout de même un peu regrettable, et je m’en explique.
Lorsque les 40 000 déboutés du droit d’asile rejoignent la clandestinité, leur cas relève de la politique d’immigration. Il faut en avoir conscience quand on légifère sur l’asile.
Le texte dont nous sommes saisis transcrit trois directives dans notre droit. La première, la directive « Qualification », qui date de 2011, devrait déjà avoir été transcrite depuis le mois de décembre 2013. Les deux autres sont la directive « Accueil », qui porte particulièrement sur la vulnérabilité et l’accès au marché du travail, et la directive « Procédures », qui crée un certain nombre d’instruments pour essayer de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile.
Permettez-moi d’évoquer la création des procédures d’irrecevabilité ou de clôture d’instruction des dossiers par l’OFPRA. Jusqu’à présent, cela n’existait pas. Les conditions sont parfaitement définies. Je mentionnerai également la procédure accélérée, qui remplace la procédure dite « prioritaire ». Il s’agit de traiter dans un délai bref, deux semaines, les demandes adressées à l’OFPRA qui ont le moins de chances d’aboutir.
Le projet de loi prévoit également de renforcer les pouvoirs de l’OFPRA, de modifier son conseil d’administration et de changer les conditions d’établissement de la liste des pays d’origine sûrs.
La CNDA devra décider en cinq mois. Elle pourra siéger non seulement en formation collégiale, mais également en juge unique. Même si cette procédure est contestée par un certain nombre de nos collègues, elle paraît tout à fait pertinente au regard des besoins. Il est nécessaire de traiter rapidement des dossiers dont on sait que l’issue ne sera pas positive. Les droits des demandeurs sont préservés : à chaque niveau de la procédure, les magistrats peuvent décider de confier le dossier à la formation collégiale.
Le projet de loi prévoit également des adaptations de notre droit, compte tenu notamment du règlement « Dublin III ». L’objectif est de pouvoir déterminer le plus rapidement possible le pays responsable de l’examen de la demande d’asile du demandeur, aux fins de son transfert dans ce pays.
J’en viens à un autre volet, celui de l’hébergement.
L’hébergement est l’un des sujets majeurs de préoccupation puisque la commission s’est rendu compte, depuis longtemps déjà, de la difficulté devant laquelle se trouvent les CADA, à la fois occupés par les demandeurs dont la procédure est en cours et par ceux qui ont été déboutés.
Il est également nécessaire, compte tenu des pressions migratoires – plus de 50 % d’entre elles s’exercent sur deux régions particulières : l’Île-de-France et la région Rhône-Alpes –, de disposer d’un dispositif plus efficace et de mettre en place le schéma directif des demandeurs d’asile. Cette disposition que la commission des lois a validée est positive. Aussi, nous souhaitons qu’elle soit maintenue, même si de nombreux amendements visant à la supprimer ont été déposés.
Ce texte vise aussi à donner plus de pouvoir à l’OFII, non seulement pour ce qui est de la gestion de l’hébergement, mais également pour ce qui est de la capacité d’allouer ou non un certain nombre d’aides en fonction de l’hébergement.
Je le dis sincèrement, en ce qui concerne la partie « Procédures », la retranscription des directives et les amendements adoptés par la commission des lois du Sénat, après examen du texte par l’Assemblée nationale, vont plutôt dans le bon sens puisqu’ils visent à assurer que la demande des demandeurs d’asile sera bien traitée dans un délai de neuf mois. Le délai sera de cinq mois pour la CNDA. Nous avons souhaité qu’il soit de trois mois pour l’OFPRA. Ainsi, la durée du processus ne fera plus opter en faveur de cette procédure à des fins étrangères à sa vocation.
Plus la procédure sera rapide, tout en respectant évidemment le droit de chacun – nous verrons que le texte comporte de nombreuses mesures en ce sens –, moins il y aura d’intérêt à l’utiliser à d’autres fins que l’asile.
Je rappelle également qu’au cours de nos discussions nous avons été informés d’un relevé d’observation provisoire de la Cour des comptes, qui a éveillé notre intérêt, à tel point que j’ai demandé un délai supplémentaire pour prendre connaissance de ce document et, éventuellement, auditionner les représentants de la Cour des comptes.
Malheureusement, pour des raisons de réglementation interne de la Cour des comptes, il n’a pas été possible d’auditionner le président de la quatrième chambre notamment. Néanmoins, un entretien a pu avoir lieu en présence du président de la commission des lois. Nous savons aujourd'hui que le rapport définitif de la Cour des comptes sera vraisemblablement communiqué à la fin du mois de juin. Il a été avancé que le coût de l’asile s’élevait à 2 milliards d’euros par an et que seulement 1 % des déboutés quittaient le territoire français. Nous aimerions obtenir des éclaircissements sur la réalité de ces affirmations.
Sincèrement, je dois dire ce soir que nous n’avons aucune information à ce sujet puisque la Cour des comptes nous a fait savoir qu’il lui était impossible de nous répondre en l’état ; elle attendait encore la réponse des services qu’elle a interrogés sur ce point. Quoi qu’il en soit, c’est un point sur lequel il faudra revenir pour savoir ce qu’il en est précisément. La Cour des comptes indique elle-même dans son relevé d’observation provisoire que le système est « au bord de l’embolie », qu’il ne fonctionne pas et qu’il faut donc le modifier.
Cependant, la commission des lois a estimé qu’il n’était pas possible de réformer singulièrement la procédure de demande d’asile sans traiter le cas des personnes déboutées. Il faut impérativement avancer sur nos deux pieds, je le dis sans volonté de polémique. Il s’agit uniquement de constater une réalité et d’apporter des réponses. À tout le moins, j’espère que, sur le fond, nous visons tous les mêmes objectifs.
Voilà pourquoi la commission a adopté plusieurs mesures.
La première d’entre elles consiste à prévoir que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA aura statué, vaut obligation de quitter le territoire français. Loin de nous l’idée de jeter de l’huile sur le feu. Il s’agit simplement de gagner du temps entre la décision définitive de l’OFPRA et le moment où le préfet en a connaissance et formule l’obligation de quitter le territoire français.
Sur le plan juridique, nous avons prévu un certain nombre de précautions. En particulier, il reste possible au demandeur, qu’il soit clandestin ou débouté, de contester cette obligation de quitter le territoire français. Ce point est clair.
La deuxième mesure prise par la commission est la suivante : l’étranger débouté de sa demande d’asile ne peut solliciter un titre de séjour à un autre titre, sauf circonstances particulières. Pourquoi ? Tout simplement pour répondre à un constat partagé par tous : certains demandeurs d’asile savent par avance qu’ils seront déboutés et solliciteront alors un autre titre de séjour pour tenter de rester sur le territoire national. Telle est la réalité ! L’idée est de « tenir », si je puis dire, afin de profiter de la circulaire du mois de novembre 2012, qui permet l’ouverture de la régularisation au bout de cinq ans sur le territoire. Le demandeur essaie donc beaucoup de procédures et nourrit finalement l’ensemble du dispositif.
Voilà pourquoi la commission des lois a considéré que, sauf circonstances particulières, dès lors que le demandeur a choisi l’asile, il ne lui est pas possible de demander un titre de séjour à un autre titre.
Enfin, la commission a souhaité faire droit à une proposition de notre collègue Valérie Létard qui, sur la base de son rapport d’information rédigé en collaboration avec Jean-Louis Touraine, estime qu’il convient d’assigner à résidence les personnes déboutées de leur demande d’asile dans des centres dédiés, en vue de les accompagner à l’éloignement et au retour dans leur pays d’origine. La commission des lois a accepté bien volontiers cette proposition, estimant qu’elle était tout à fait pertinente.
Quelques autres points viennent conforter ces éléments. Il s’agit tout particulièrement de restreindre l’inconditionnalité de l’hébergement dès lors que l’on est débouté du droit d’asile. Les étrangers qui ne sont plus dans la procédure n’ont nulle raison de solliciter ce dispositif. En tout état de cause, la commission a globalement essayé de parvenir à une solution qui soit la plus équilibrée possible.
Certes, cette mesure peut être discutée, et elle le sera. Mais il convient cependant de garder à l’esprit que le législateur se doit d’envoyer des messages clairs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis en toute sincérité, si nous ne prenons pas les mesures qui s’imposent, nous tuerons la procédure d’asile et nous nous trouverons dans une situation extrêmement difficile. Il ne nous sera plus alors possible de répondre rapidement, ou suffisamment rapidement, à ceux qui ont besoin de cette procédure, qui est l’honneur de notre pays.
C’est dans cet esprit que la commission a tenté de rééquilibrer ce projet de loi. Même si le texte proposé par la commission peut paraître quelque peu rigoureux, nos propositions me semblent suffisamment réalistes pour permettre à notre pays de traiter correctement les demandes de ceux qui méritent la protection de la France.