Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la vice-présidente de la commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues.
Selon les auteurs de cette proposition de loi, les incidents engendrés par l’usage de ces armes, notamment le Flash-Ballsuperpro, appellent leur évaluation approfondie, et donc la suspension de leur utilisation.
Leur argumentation se fonde en particulier sur un incident survenu le 8 juillet 2009, au cours duquel une personne a perdu l’usage d’un œil à la suite d’un tir provenant d’un Flash-Ball superpro.
Le texte de cette proposition de loi se compose de deux articles.
L’article 1er vise à suspendre la commercialisation, la distribution et l’utilisation des armes de quatrième catégorie.
L’article 2 tend à modifier l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure afin de restreindre les circonstances dans lesquelles ces armes peuvent être utilisées par les forces de l’ordre.
Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés formelles, mais qui n’en sont pas moins substantielles.
D’une part, elle se réfère à une classification des armes obsolète. En effet, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, l’ancienne classification en huit catégories, de 1 à 8, a été remplacée par une nouvelle classification plus lisible de quatre catégories, de A à D, fondée sur la dangerosité des armes.
Les armes de quatrième catégorie, dont la suspension de la commercialisation, de l’utilisation et de la distribution est proposée, ont été essentiellement requalifiées en catégorie B, dont le régime de détention est soumis à autorisation préalable. Néanmoins, il n’existe pas de correspondance stricte entre l’ancienne quatrième catégorie et la nouvelle catégorie B.
Deux amendements ont été déposés qui tendent à modifier le texte de manière qu’il ne se réfère plus à la classification devenue obsolète.
D’autre part, il convient de relever une certaine contradiction entre les deux articles de la présente proposition de loi. En effet, si un moratoire est décidé à l’article 1er, ce qui est conforme avec le titre de la proposition de loi comme avec son exposé des motifs, cela semble rendre caduc, ou du moins contradictoire, l’objet de l’article 2, qui est de restreindre les possibilités d’utilisation de ces armes par les forces de sécurité en situation du maintien de l’ordre.
La commission des lois s’est par ailleurs interrogée sur les conséquences juridiques et opérationnelles de ce texte.
Tout d’abord, je souhaite rappeler que, en l’état actuel du droit français, le rétablissement de l’ordre public par les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant : le recours à la force doit répondre à un double critère d’absolue nécessité et de proportionnalité, l’emploi de la force étant toujours conditionné à une stricte gradation dans les moyens utilisés.
L’utilisation des armes, qui n’est qu’une des modalités de l’emploi de la force, est seulement autorisée pour disperser un attroupement à la suite d’au moins deux sommations.
Par exception, l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure prévoit que les représentants de la force publique peuvent faire directement usage de la force, sans sommation ni ordre exprès des autorités habilitées, uniquement lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.
C’est exclusivement dans ce cadre et à titre exceptionnel que peut être autorisée l’utilisation de lanceurs de balles de défense et de leurs munitions.
En dehors du cadre du maintien de l’ordre, les armes de force intermédiaire telles que le Flash-Ball superpro ou le Taser peuvent être utilisées dans des circonstances où l’usage de l’arme individuelle serait légalement justifié, c’est-à-dire lorsque l’emploi d’une arme s’avère nécessaire afin de dissuader ou neutraliser une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui. L’usage de ces armes relève alors des dispositions pénales de droit commun relatives à la légitime défense – l’article L. 122-5 du code pénal – et à l’état de nécessité – article L. 122-7 du même code – et permet d’éviter le recours à des armes létales, plus dangereuses.
Aussi l’adoption de l’article 1er, qui vise à interdire un grand nombre d’armes sans pour autant proposer d’armes de substitution, aurait-elle deux conséquences opérationnelles pour les forces chargées du maintien de l’ordre. Ces dernières n’auraient plus d’autre choix que de se retirer et de laisser le terrain, ce qui n’est pas sans effet la crédibilité de l’autorité de l’État, ou au contraire d’aller au contact, ce qui pourrait entraîner de très lourdes conséquences tant pour les forces de l’ordre que pour les manifestants.
Pour ma part, j’estime qu’il est nécessaire de conserver une capacité de riposte mais aussi de dissuasion à la hauteur de la gravité des troubles à l’ordre public provoqués par des attroupements.
De plus, les armes telles que le lanceur de balles de défense présentent l’avantage d’être discriminantes en permettant de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des gaz lacrymogènes par exemple.
Par ailleurs, il semble paradoxal d’interdire des armes de force intermédiaire de catégorie B tout en maintenant l’utilisation d’armes létales de catégorie A.
Je rappelle que le ministère de l’intérieur organise de manière permanente et régulière une évaluation de l’utilisation de ces armes, mais aussi une veille concernant les nouvelles technologies qui pourraient les améliorer, voire les remplacer. Ainsi, la direction générale de la police nationale a lancé un appel d’offres afin de permettre l’utilisation par le lanceur de balles de défense dit LBD 40 de munitions de courte portée permettant un emploi dans des distances similaires au Flash-Ball superpro.
J’en viens aux remarques concernant spécifiquement l’article 2 de cette proposition de loi.
Actuellement, l’alinéa 6 de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure restreint l’usage direct de la force à des circonstances où des violences ou voies de fait sont exercées contre les forces de l’ordre ou lorsque celles-ci ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent.
L’article 2 de cette proposition de loi vise à compléter cet alinéa afin de préciser que des armes telles que le Flash-Ballsuperpro ne pourront être utilisées « à cette fin […] que dans des circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ».
Je m’interroge sur l’interprétation de ces dispositions. En particulier, la notion peu précise de « violences d’une particulière gravité » présente un risque d’insécurité juridique en ce qu’elle relève d’une interprétation subjective de la situation a posteriori. Il semble très difficile, voire impossible, pour les forces de l’ordre d’anticiper les conséquences des violences qu’elles subissent afin de déterminer les armes susceptibles d’être utilisées.
Je rappelle enfin que l’emploi des armes, y compris en légitime défense, reste soumis à un principe d’absolue nécessité, de proportionnalité et de gradation dans l’emploi des armes.
Complexifier le cadre de l’emploi de la force en légitime défense pour soi ou pour autrui présente un risque certain, tant pour la sécurité des forces de police et de gendarmerie que pour les citoyens.
Telles sont les différentes raisons pour lesquelles la commission n’a pas adopté la proposition de loi.
Elle a néanmoins fait siennes les légitimes interrogations soulevées par ce texte. Elle a notamment insisté sur la nécessité d’une meilleure formation des personnels habilités au port du Flash-Ball superpro et souhaité – personnellement, j’y tiens beaucoup – que les lanceurs de balles de défense LBD 40 soient équipés dans les meilleurs délais de munitions de courte portée pour remplacer le Flash-Ball superpro, trop imprécis et par là même trop dangereux.
Sous le bénéfice de ces observations et au regard des difficultés posées par ce texte, je vous invite donc, mes chers collègues, à ne pas adopter la présente proposition de loi, même si celle-ci a le mérite de soulever de vraies questions.