Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de l’autre côté de l’Atlantique, les policiers américains ont jusqu’à présent accès à des équipements militaires tels que des véhicules blindés à chenilles, des armes à feu de très gros calibre, des armes d’assaut ou encore des uniformes de camouflage. Le mélange des genres entre l’armée et la police a brouillé le message pour les citoyens et a causé un véritable schisme entre la population et les forces de police, qui sont pourtant censées être gardiennes de la paix. Nous connaissons les débordements qui en ont découlé.
En France, nous sommes évidemment bien loin de cette situation. Nos forces de l’ordre sont elles aussi armées, afin de mener à bien leurs missions essentielles. Toutefois, leurs moyens restent proportionnés aux objectifs visés.
Être armé est loin d’être anodin, nous le savons. Lors de rassemblements, comme il y en a eu récemment encore, les forces de l’ordre sont amenées à intervenir de manière d’abord préventive, et parfois plus active, contre des individus qui peuvent se révéler violents ou constituer une menace sérieuse pour les biens et les personnes.
Malheureusement, cela peut parfois avoir des conséquences dramatiques, tant il est difficile de répondre avec la bonne mesure et de façon parfaitement adaptée à la violence des manifestants, tout particulièrement dans des situations d’extrême confusion. Il semblerait par ailleurs que la violence envers les forces de l’ordre s’accentue, notamment dans un certain nombre de quartiers de nos zones urbaines.
Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen soulèvent par cette proposition de loi des difficultés bien réelles quant au degré d’armement des forces de l’ordre en cas d’attroupement sur la voie publique. Ils nous proposent d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de catégorie B et d’interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Ce moratoire concernerait notamment les Flash-Ball, dont les policiers municipaux aussi peuvent être équipés depuis 2008. Si ces armes sont considérées comme « sublétales », c’est-à-dire conçues pour ne pas tuer, elles restent potentiellement dangereuses et peuvent causer des blessures graves.
Cependant, on ne peut pas non plus exposer les forces de l’ordre à la vindicte parfois très violente des manifestants.
Rappelons qu’un fonctionnaire de police vient d’être condamné pour avoir gravement blessé un lycéen d’un tir de Flash-Ball au visage. Il s’agit d’une des premières condamnations depuis l’introduction, il a plus de dix ans, du lanceur de balles de défense. Ce fonctionnaire avait tiré, hors de toute légitime défense, sur un adolescent de seize ans lors d’une manifestation devant un lycée de Montreuil en 2010.
Le droit de se rassembler constitue une liberté fondamentale et constitutionnellement garantie des citoyens. Nous devons bien entendu nous attacher, quelles que soient nos sensibilités, à protéger ce droit. La liberté doit rester la règle ; la restriction, l’exception.
Toutefois, un rassemblement sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public constitue un attroupement. L’usage de la force devient de ce fait légitime afin d’opérer, si besoin est, sa dispersion.
Dans ce cas précis, le rétablissement de l’ordre public par les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant dont les modalités sont proches de celles de la légitime défense : l’utilisation de la force doit être proportionnée et répondre à un critère d’absolue nécessité.
Nous ne pensons pas que l’instauration d’un moratoire sur les armes de force intermédiaire soit la solution à un problème qui relève à la fois de la bonne formation des agents de police et de leur déontologie, mais aussi de la responsabilité des manifestants.
Comme le soulignait M. le rapporteur, il semble paradoxal de continuer dans le même temps à permettre l’utilisation des armes létales de catégorie A.
De surcroît, cette mesure introduirait une rupture dans la gradation des moyens puisqu’elle obligerait les forces de l’ordre, en cas d’attroupement, soit à se retirer, ce qui est difficilement justifiable en termes d’ordre public, soit – bien pire solution – à aller au contact des manifestants. La stratégie française du maintien de l’ordre pour la police et la gendarmerie nationales, qui a fait ses preuves jusqu’à présent, repose sur un principe tout opposé : éviter le contact physique avec les manifestants par la mise à distance.
Le groupe RDSE se prononcera donc contre cette proposition de loi, qui aurait pour effet de fragiliser le maintien de l’ordre public, lequel nécessite encore et toujours que l’État conserve le « monopole de la violence physique légitime », pour reprendre la formule bien connue de Max Weber. Toutefois, à l’instar de M. le rapporteur, nous appelons le Gouvernement à renforcer la formation des personnes habilitées à utiliser des pistolets à impulsion électrique et à préciser la doctrine de leur emploi.
J’ajouterai enfin qu’il est normal que force reste à la loi. Il peut y avoir quelques débordements, qu’il faut éviter autant que possible. Toutefois, on ne peut quand même pas transformer les forces de police, qui ont une conception républicaine de l’ordre public, en chair à canon, ou du moins en chair à Flash-Ball.