Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, je commencerai cette explication de vote par une courte digression. Ce n’en est d’ailleurs une qu’en apparence.
Après plus de dix ans de présence, la France a retiré ses troupes d’Afghanistan. La question du sort réservé aux « personnels civils de recrutement local » – interprètes, cuisiniers, jardiniers… –, qui ont travaillé aux côtés de nos forces, s’est inévitablement posée. §Ces personnes sont menacées de représailles pour avoir « collaboré » avec l’ennemi. Elles sont encore au nombre de 800 à espérer, avec leurs familles, que la France ne leur tournera pas le dos. M. le ministre des affaires étrangères s’est récemment engagé à ce que les demandes de visa soient examinées avant l’été et que les refus puissent être réexaminés. L’été, c’est dans moins d’un mois…
Cet appel lancé, je reviens au texte dont nous débattons.
Le 11 mai dernier, lors de la discussion générale, j’affirmais que, « si les modifications suggérées par la majorité sénatoriale venaient à être adoptées, le projet de loi, loin de mieux garantir les droits et libertés fondamentaux des demandeurs d’asile, tournerait au bouclier sécuritaire, sacrifiant les plus fragiles à une obsession anti-immigration ». Je concluais en précisant que, nous, écologistes, « n’apporter[ions] nos voix, mes chers collègues, qu’à un texte humaniste, ambitieux, fidèle aux valeurs de la France ».
Malheureusement, après quinze heures de débats et l’examen de plus de 250 amendements, ce projet de loi, qui contenait au départ certaines dispositions susceptibles d’améliorer la situation des demandeurs d’asile, a clairement changé de visée et répond encore moins aux réajustements demandés par la législation européenne en la matière.
La teneur de nos débats m’a souvent surprise. Rares ont été les moments où les parlementaires présents ont paru capables de tenir à distance chiffres, pourcentages, sigles barbares, pour se souvenir que nous parlions d’êtres humains en souffrance, d’hommes, de femmes, d’enfants. Rares ont été les moments où nous avons su les gratifier d’un autre regard que celui – évoqué autrefois par l’écrivain Jorge Semprun – des estivants de Bayonne voyant débarquer les réfugiés « rouges espagnols » derrière des barrages de gendarmes.
François Sureau l’a exprimé mieux que moi dans le Monde : « Ceux qui jugent les réfugiés, comme ceux qui les défendent, n’ont aucune expérience personnelle de la guerre, de la révolution, de l’engagement au péril de sa vie, de l’exil forcé. [...] Les réfugiés et ceux qui traitent leurs demandes sont sur deux planètes différentes. » J’ose encore espérer que ce n’est pas tout à fait vrai.
Le groupe écologiste avait espéré que les débats se focaliseraient sur l’asile, qu’ils ne seraient pas détournés pour servir de basses fins politiciennes et parler politique migratoire, clandestins et flux de migrants. Il n’est guère étonnant, à cet égard, que les articles relatifs à l’éloignement des personnes s’étant vues définitivement refuser l’asile aient suscité les discussions les plus longues et les plus âpres.
Le texte soumis à notre vote comporte des dispositions inacceptables, adoptées par voie d’amendements, en ces temps où des milliers de personnes à la recherche d’un asile périssent en mer : décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA a statué dans le même sens, valant obligation de quitter le territoire français ; interdiction à l’étranger débouté de sa demande d’asile de solliciter un titre de séjour pour un autre motif ; possibilité pour l’administration d’assigner à résidence les déboutés dans des centres dédiés en vue de préparer leur éloignement. Si elles devaient être adoptées, de telles mesures n’honoreraient pas la France.
Quant à moi, je n’oublie pas les dizaines de milliers de réfugiés républicains espagnols regroupés en 1939 dans des camps, notamment à Argelès-sur-Mer. Je n’oublie pas non plus que le gouvernement français osa leur proposer de retourner dans l’Espagne franquiste, ni qu’ils furent déportés à Mauthausen, dès 1940, par la Wehrmacht. Vous me répondrez que le contexte n’était pas le même. Certes, mais qui nous dit que notre contexte ne changera pas demain ?
Par conséquent, les membres du groupe écologiste ne pourront, en conscience, apporter leurs voix à ce texte.