Il est important de ne pas donner le sentiment, dans ce débat, qu'un détenu jouirait d'un droit particulier qui l'exempterait de faire l'objet de certaines techniques de surveillance auxquelles tout autre citoyen peut être soumis. Il est donc bon que vous ayez clairement rappelé que la DGSI peut intervenir dans les établissements pénitentiaires et assurer tout à la fois, dans un continuum, une surveillance sur l'environnement extérieur touchant aux détenus.
Ce que vous ne souhaitez pas, c'est que le ministère de la justice soit commanditaire et puisse demander, par exemple, la sonorisation d'une cellule sur le fondement de renseignements qui peuvent au reste déborder les seuls antécédents judiciaires et toucher aux relations qu'il aurait avec l'extérieur. Cela pose peut-être un problème, puisque la surveillance quotidienne qu'exerce l'administration pénitentiaire dans les établissements lui permet d'être la première informée de relations qui pourraient inquiéter. Autant nous pouvons être sensibles à vos arguments, autant il ne faudrait pas en arriver à une situation où les détenus passent plus facilement au travers des mailles du filet du renseignement que les citoyens ordinaires. Il y a peut-être un moyen terme à trouver entre la position retenue à l'Assemblée nationale et le laisser faire. C'est là une question fondamentale, et qui a pris de l'écho dans le débat public.
Vient ensuite la question des professions protégées. Je me demande si vous êtes satisfaite de la rédaction retenue à l'Assemblée nationale, dont j'avoue qu'elle ne me paraît pas apporter grand-chose puisqu'elle ne fait que mentionner ces professions, sans limiter en rien les pouvoirs dévolus aux services en charge du renseignement. Je ne veux pas dire par là qu'il faudrait nécessairement les limiter, mais qu'il ne me paraît pas de bonne facture législative que d'introduire ainsi une disposition qui n'est guère qu'un faux semblant.
Ma troisième question porte sur le FIJAIT, le fichier judiciaire des auteurs d'infractions terroristes, qui permettra non seulement de conserver les noms des personnes condamnées mais de leur imposer, une fois leur peine purgée, une forme de « contrôle judiciaire » pendant dix ans. Et pour faire bonne mesure, une rétroactivité est prévue, dans une rédaction sur la constitutionnalité de laquelle je m'interroge. Une personne qui aurait été condamnée pour « des faits liés au terrorisme » - l'expression est vague - il y a trente ans, qui aurait purgé sa peine et serait sortie de prison il y a vingt ans se verrait astreinte, pour les dix ans à venir, aux mêmes contraintes qu'une personne qui viendrait de purger sa peine. Il y a là un problème d'égalité de traitement qui mériterait d'être examiné. Mais peut-être ne suis-je pas fondé à m'inquiéter ?
Le texte comporte une disposition sur la protection juridique des agents : lorsque des faits sont commis hors du territoire national à des fins strictement nécessaires à l'accomplissement d'une mission par un agent des services spécialisés et que ces faits, portés à la connaissance du procureur de la République, paraissent susceptibles de constituer une infraction, ce dernier doit en informer le ministre dont relève l'agent aux fins de recueillir son avis préalablement à tout acte de poursuite. Je m'interroge. À quoi sert cette demande d'avis ? Dans quelle mesure liera-t-elle le procureur de la République en cas de poursuites ? Le diable est dans les détails, et nous souhaiterions être éclairés sur cette disposition dont vous n'êtes certes pas l'auteur, puisqu'elle a été introduite à l'Assemblée nationale, mais dont il me semble que vous ne pouvez pas vous désintéresser.
Une dernière question enfin : la CNCTR comportera trois conseillers d'Etat et trois conseillers à la Cour de cassation, dont j'ai cru comprendre qu'ils lui seraient affectés à plein temps. Ces deux institutions agréent-elles à ce détachement de tant de hauts magistrats pour produire des avis ?