Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 2 juin 2015 à 14h30
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Vous vous en souvenez, monsieur Sueur, nous avions tenu bon, en expliquant que cette disposition visait à apporter des garanties et n’était en rien la catastrophe annoncée.

Selon certains, le contrôle des services de renseignement devrait relever de l’autorité judiciaire. Je l’ai lu ! J’ai même entendu certains juges l’affirmer. Comme si la police administrative – préventive – devait être confondue avec la police judiciaire – répressive –, comme l’a fort bien souligné M. le rapporteur Philippe Bas. Même s’il faut s’assurer qu’aucune de ces polices n’empiète sur l’autre – il est vrai que, pour certains services, le passage de la police administrative à la police judiciaire est un moment délicat –, il faut rappeler que notre système juridique repose sur cette distinction et souligner que le contentieux administratif doit relever des juridictions administratives et, en l’espèce, de la plus haute d’entre elles, le Conseil d’État. Lui aussi est le protecteur des libertés publiques, comme le prouve l’existence du recours pour excès de pouvoir. Pour les amateurs d’histoire, j’ajoute que, en de nombreuses occasions, le Conseil d’État a davantage protégé les libertés publiques que certaines autorités judiciaires. Souvenez-vous de l’arrêt Canal par exemple !

Suivant les propositions de notre excellent rapporteur Philippe Bas, la commission des lois a augmenté les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et, surtout, développé les modalités de recours devant le Conseil d’État. Je salue par ailleurs l’avis pertinent de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la houlette de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin – c’est vous dire l’expérience dont il dispose sur de tels sujets.

Certains s’inquiètent légitimement d’une mise sous écoute permanente de la société. À cet égard, il est vrai que le Patriot Act américain peut inquiéter. Les parlementaires américains ont d’ailleurs fini par considérer que l’écoute tous azimuts n’était pas nécessairement utile et efficace. Reste que notre législation est largement insuffisante, car les techniques de renseignement ont beaucoup évolué. Les seules interceptions de sécurité de la loi de 1991, ou de ses compléments, doivent faire l’objet d’une approche globale – comme le fait ce projet de loi que nous devons soutenir – en raison non seulement de la menace terroriste, mais aussi de la menace que représente la grande criminalité organisée ou de celle qui pèse sur notre économie : la lutte contre l’espionnage industriel et économique, dans le contexte de mondialisation que nous connaissons, constitue plus que jamais un défi.

La tension permanente entre sécurité et liberté, qui est inhérente à tout État de droit, doit nous conduire à permettre la nécessaire utilisation des diverses techniques par les services de renseignement mais rend indispensable l’exigence d’un contrôle, lequel doit être d’autant plus strict que les techniques sont plus intrusives dans la vie privée des personnes soumises à ces investigations. C’est pourquoi il faut se féliciter que notre commission des lois ait inscrit dans un article liminaire les règles fixant les principes de respect de la vie privée et de légalité des autorisations de mise en œuvre des techniques de renseignement. Comme l’a noté Jacques Mézard, cela créera un cadre juridique pour une éventuelle jurisprudence.

Les services de renseignement ne sauraient considérer le contrôle comme une entrave, même si, parfois, on se dit que cela pourrait être le cas. L’intérêt majeur du projet de loi est en effet de donner un cadre légal complet et une véritable protection juridique à leurs agents. D’une manière générale, le cadre défini par la loi de 1991 pour les interceptions de sécurité doit représenter pour nous un modèle. Cette loi est tout de même extraordinaire ! Rappelons-nous du contexte qui a prévalu à son élaboration, à savoir la révélation des écoutes illégales. Qu’a donc fait le législateur à cette époque ? Il a institué une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité composée d’un haut magistrat et de deux parlementaires, dont le rôle consistait à donner un avis au Premier ministre. Cet avis portait évidemment sur les interceptions de sécurité puisque ce n’est que par la suite que nous avons connu les fadettes et beaucoup d’autres choses…

Depuis que la CNCIS existe, je peux affirmer – j’en ai été membre un certain temps –, après avoir relu tous les rapports publiés depuis 1992, que toutes les interceptions de sécurité ont fait l’objet d’un examen attentif. Je crois, du reste, que 99, 9 % des demandes des services qui ont été autorisées par la commission ont reçu un avis favorable du Premier ministre. Pourtant, il y en a eu, et il y en a aujourd’hui encore, un certain nombre !

Si la structure de la CNCIS était légère, elle n’a jamais été mise en défaut. Son efficacité a toujours reposé sur l’examen attentif des motifs des demandes et – ce qui est aussi important – sur le suivi permanent du résultat des interceptions. La limitation de durée des autorisations est l’une des garanties fondamentales de l’efficacité du contrôle. Nous y reviendrons au cours des débats.

À ce stade de la discussion générale, je ne pourrai pas développer mon propos sur les diverses dispositions qui figurent dans le texte – même si, profitant de la présence de Mme la garde des sceaux, j’aurais volontiers évoqué la question du renseignement pénitentiaire…

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