Intervention de Philippe Bas

Réunion du 4 juin 2015 à 15h00
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Article 1er

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Comme le président Mézard, je suis très attaché à l’épopée révolutionnaire et à la loi des 16 et 24 août 1790, qui a fondé notre organisation en ce qui concerne le contrôle des décisions de l’État.

La légitimité nationale l’a alors emporté sur le principe dynastique, avant que la légitimité démocratique ne vienne la conforter. Ce fut la fin des parlements d’Ancien Régime, qui pouvaient, par leurs jugements, entraver l’action du pouvoir royal. La loi des 16 et 24 août 1790 a interdit à tout magistrat d’entraver l’action publique, celle-ci étant devenue légitime à la suite de la Révolution française.

Aujourd’hui, plus de deux siècles plus tard, notre Constitution continue à appliquer les principes fondés par la Révolution française. Le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu comme un principe fondamental des lois de la République le partage de nos juridictions entre celles qui assurent la protection des libertés publiques par le contrôle des actes de la puissance publique – la juridiction administrative, au faîte de laquelle siège le Conseil d’État – et celles qui tranchent des litiges entre particuliers et sanctionnent les crimes et les délits – la justice judiciaire, avec à son sommet la Cour de cassation.

Le contrôle d’un acte de la puissance publique est exercé non par l’autorité judiciaire, mais par la juridiction administrative et le Conseil d’État, sauf, bien sûr, si cet acte constitue un crime ou un délit.

La politique de renseignement se rattache à la prévention de crimes ou de délits et à la protection des intérêts fondamentaux de la nation. Elle ne relève donc pas de la justice judiciaire. L’État de droit français n’est pas l’État de droit américain, auquel il est selon moi largement supérieur, comme le montrent les errements du Patriot Act aux États-Unis. Pourquoi s’obstiner à vouloir recopier des dispositifs incompatibles avec notre ordre constitutionnel en matière de contrôle indépendant des actes de l’autorité publique ?

Le présent amendement, en tendant à prévoir, notamment, que la mise en œuvre d’une prérogative exécutive serait subordonnée à une autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris, est, simplement mais radicalement, inconstitutionnel ! Son adoption créerait un trouble majeur dans la séparation entre les juridictions de l’ordre administratif, qui contrôlent la puissance publique, et les juridictions judiciaires, qui sanctionnent les crimes et délits, notamment.

C’est la raison pour laquelle la commission a rejeté cet amendement sans qu’un long examen soit nécessaire, tant il lui a paru que ces principes étaient solidement établis depuis la Révolution française.

En outre, l’information du bâtonnier en cas d’actions judiciaires visant à rechercher des éléments permettant de punir un crime ou un délit et d’en déterminer les auteurs n’est pas transposable à une procédure administrative tendant à prévenir la commission d’un crime ou d’un délit, et non à en poursuivre les auteurs.

J’ajoute que, comme chacun le sait, le bâtonnier n’est pas lui-même soumis au secret de la défense nationale. Dès lors, comment pourrait-il valablement donner le moindre avis éclairé sur la mise en œuvre d’une technique de renseignement à l’encontre d’un avocat ?

Tout en étant extrêmement soucieux de la protection des avocats, il me semble que l’adoption d’un tel amendement, outre que celui-ci est inconstitutionnel, créerait un obstacle très important à la réalisation de la finalité de prévention d’actes très graves assignée à ce projet de loi.

L’avis de la commission est donc défavorable.

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