D’où l’importance stratégique de ce texte de programmation qui devrait être l’occasion de graver dans le marbre, avec toute la clarté requise, les nouveaux principes fondateurs de nos politiques publiques, de manière à éviter de nouvelles trahisons...
En l’état, le texte de programmation qui nous est soumis n’est pas satisfaisant : je relève des lacunes graves dans les fondements scientifiques et des ambiguïtés dans les concepts mis en avant. De plus, un certain nombre de dispositions ne sont pas à la hauteur des enjeux.
En effet, il a manqué un maillon clé dans le processus du Grenelle. Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, il s’agit des scientifiques ! En effet, les compromis issus de cette belle concertation/négociation traduisent plus l’état des rapports de force entre les différentes parties de la société civile que les apports des scientifiques, sur lesquels ils auraient également dû être fondés.
En témoigne l’objectif affiché dans l’article 4, c'est-à-dire la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Vous nous proposez implicitement de suivre les préconisations du rapport 2001 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, alors que ce même GIEC, au vu des derniers éléments scientifiques disponibles, revoyait sa copie en 2007 dans son Résumé à l’attention des décideurs, en invitant la France à diviser par douze d’ici à 2050 ses émissions de gaz à effet de serre, et les États-Unis, par vingt-cinq !
En témoigne surtout l’absence totale de toute problématique intégrant la finitude de notre planète : si les questions de la biodiversité de l’air et de l’eau sont effectivement abordées, l’épuisement des ressources fossiles est ignoré. Cette dimension géologique, objective, très concrète, a pourtant des conséquences essentielles sur le type de développement que nous voulons promouvoir.
En clair, le texte prend en compte le protocole de Kyoto de l’après-carbone – c’est bien –, mais il oublie le protocole de déplétion des matières premières non renouvelables, énergétiques ou pas, mis en évidence voilà déjà un siècle par Hubbert et ses successeurs : ce processus, parfaitement décrit, conduit, à moyenne échéance, à l’épuisement définitif des ressources fossiles, et l’uranium en fait partie !
C’est pourquoi je regrette profondément l’a priori gouvernemental d’écarter par principe toute réflexion sur l’énergie nucléaire. Ce que l’on pourrait qualifier de péché originel du Grenelle commence déjà à produire ses effets, puisqu’il est question de construire non plus une mais deux centrales EPR, l’une par EDF et l’autre par GDF-Suez et Total.
Tout d’abord, notre démocratie mérite mieux qu’un tel passage en force ! Ensuite, au-delà des problèmes encore non résolus de la gestion des risques, de la gestion des matières fissiles, notamment des déchets, ainsi que du démantèlement et du traitement des sites en fin de vie, se pose aussi la question de la déplétion des matières nucléaires fossiles. Le Gouvernement s’apprête à reproduire avec le nucléaire les mêmes erreurs qu’avec le pétrole, mais avec à la clé des risques incomparables, dans le monde instable et incertain d’aujourd’hui et sans doute de demain.
J’en viens enfin à l’ambiguïté majeure de ce projet de loi, qui fait référence au « développement durable ». La notion n’est pas scientifique, ce qui permet les pires interprétations, y compris dans le texte qui nous est soumis : en témoigne ce concept nouveau, qui apparaît à l’article 1er, de « croissance durable », qui ne doit pas « compromettre les besoins des générations futures ». Sur le plan scientifique, c’est tout simplement un oxymore !
En revanche, la notion d’ »empreinte écologique », dont les modes de calculs peuvent certes encore être affinés, mais qui vaut infiniment mieux qu’un PIB dit « durable », a un sens très précis. Elle prend en considération une réalité, certes difficile à regarder en face lorsqu’on fait partie de ce petit quart de la population mondiale qui accapare plus de 80 % des richesses de la Terre : notre planète n’est ni infinie ni extensible, et nous n’en avons pas de rechange !
Monsieur le ministre d’État, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, je regrette profondément que la problématique essentielle de la décroissance de notre empreinte écologique soit totalement absente du texte qui nous est soumis. En effet, la réalité de la déplétion des ressources non renouvelables nous oblige, en tant que législateur, à parler clairement : le type de développement de nos sociétés industrielles est, en toute rigueur, parfaitement insoutenable. Je reviendrai bien sûr sur ce point lors de la discussion des amendements.
En conclusion, je relève que la mobilisation remarquable des parties prenantes au Grenelle a marqué positivement les esprits de nos concitoyens : en ce sens, le Grenelle constitue une référence et permet un certain nombre d’avancées qu’il serait de mauvaise foi de contester. Pour autant, cette loi de programme, qui ressemble d’ailleurs beaucoup trop, par certains aspects, à une loi de programmation, souffre encore cruellement de ses fondements, confus et déconnectés d’une certaine réalité scientifique, ce qui ouvre la porte aux traductions les plus fantaisistes, comme en témoigne le plan de relance récemment adopté.
C’est bien dommage ! À nous, mes chers collègues, d’apporter à ce texte les clarifications conceptuelles nécessaires. Il est de notre responsabilité de parlementaires de faire réussir le Grenelle.