Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’actualité ne cesse de nous rappeler notre vulnérabilité face aux forces de la nature. Sécheresses, inondations, cyclones, tremblements de terre, glissements de terrain, crues glaciaires et fonte du pergélisol, fonte glaciaire et érosion du littoral sont autant de bouleversements environnementaux qui entraînent la dégradation des conditions de vie des populations humaines, jusqu’à menacer parfois leur survie.
L’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique, établi dans le cadre de l’initiative Nansen, projet lancé en 2012 par la Norvège et la Suisse et dont les parties prenantes se sont réunies à Genève pas plus tard que les 12 et 13 octobre dernier, fait apparaître que 184, 4 millions de personnes au total ont été déplacées entre 2008 et 2014 en contexte de catastrophe, ce qui correspond à 26, 4 millions de personnes nouvellement déplacées chaque année au cours de cette période ; le nombre des déplacés pourrait atteindre les 200 millions en 2050.
Sur les 26, 4 millions de personnes déplacées en moyenne chaque année, 22, 5 millions migrent en raison d’aléas liés à la météorologie ou au climat, tandis que les autres le font à la suite de l’élévation du niveau des mers, de la désertification et de la dégradation environnementale.
Les travaux scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, sont venus conforter ce constat.
Dès 1990, le GIEC avait averti la communauté internationale des mouvements de population qui pourraient découler du changement climatique. En 2012, puis en 2014, il a réitéré l’expression de ses inquiétudes, en assurant que l’augmentation de la fréquence et/ou de l’intensité des catastrophes compromettrait la survie ou les moyens de subsistance des populations, entraînant des déplacements susceptibles d’exercer de nouvelles pressions dans les régions d’accueil ; il a souligné la nécessité d’agir en faveur d’une protection de ces populations.
L’appréhension de ces flux migratoires n’est pas simple. C’est ainsi qu’une multitude de dénominations ont été adoptées, en particulier celles de « réfugiés environnementaux », de « réfugiés climatiques », de « migrants environnementaux » et de « déplacés environnementaux ». Au vrai, les expressions varient selon les chercheurs, les organisations non gouvernementales ou internationales et les responsables politiques, ce qui conduit à une confusion générale.
La qualification de « réfugiés environnementaux » a été vivement condamnée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui a fait valoir qu’elle ne reposait sur aucun fondement en droit international des réfugiés, contrairement au cas des « réfugiés politiques ». Pour leur part, les experts conviennent d’adopter l’expression « déplacés environnementaux », que préfèrent également les populations concernées.
En pratique, ces déplacements spécifiques ont lieu majoritairement à l’intérieur des États. Quant aux déplacements interétatiques, c’est-à-dire ceux qui conduisent au franchissement d’une frontière internationale, ils se déroulent essentiellement entre États du Sud. Ces deux faits s’expliquent notamment par la vulnérabilité particulière des populations du Sud et par leur manque de moyens, qui les forcent à gagner uniquement des régions proches de leur lieu de vie de départ.
De l’ensemble de ces considérations découle un constat inquiétant : les pays du Sud, victimes directes de la dégradation de l’environnement et de catastrophes naturelles toujours plus intenses, supportent et supporteront le fardeau des migrations environnementales, alors même que les pays développés ont été historiquement et demeurent les principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre et, par conséquent, du réchauffement climatique et de ses retombées, au nombre desquelles il faut compter les déplacements de populations.
Qui n’a pas entendu parler de ces petits États insulaires du Pacifique et des Caraïbes qui, menacés de voir leurs îles disparaître sous la montée des eaux, s’inquiètent pour l’avenir de leurs populations ?
Pourtant, il n’existe à l’heure actuelle aucun instrument juridique assurant aux déplacés environnementaux une protection globale et effective.
Lors de la seizième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui s’est tenue à Cancún en 2010, la thématique des déplacés environnementaux a été envisagée selon une approche particulière, celle de l’adaptation au changement climatique. En d’autres termes, la migration serait un moyen d’anticiper et d’éviter, dans la mesure du possible, les effets néfastes de l’évolution du climat.
À ce titre, les accords de Cancún invitent les parties à adopter des « mesures propres à favoriser la compréhension, la coordination et la coopération concernant les déplacements, les migrations et la réinstallation planifiée par suite des changements climatiques, selon les besoins, aux niveaux national, régional et international ».
Là-dessus, l’initiative Nansen a été lancée pour atteindre un consensus entre les États intéressés en ce qui concerne la meilleure manière de traiter les déplacements transfrontaliers dans le contexte des catastrophes naturelles, liées au climat ou à la géophysique. Lors de la consultation intergouvernementale globale qu’elle a organisée dans ce cadre voilà quelques jours, les États ont adopté un instrument non contraignant : l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique, qui regroupe et analyse les principes fondamentaux et les pratiques effectives des États en la matière.
Reste que le droit international n’indique toujours pas explicitement si les personnes déplacées en cas de catastrophe doivent être admises dans un autre pays, ni, dans l’affirmative, dans quelles circonstances elles doivent l’être, de quels droits elles doivent disposer pendant leur séjour dans le pays concerné et dans quelles conditions elles peuvent être rapatriées ou trouver une autre solution durable.
L’ensemble de ces considérations démontre la nécessité pour tous les États de coopérer afin de penser des mesures de prévention et de protection. Tel est précisément l’objet de la proposition de résolution que je vous invite, mes chers collègues, à adopter.
Si, comme je l’ai expliqué il y a quelques instants, les migrations environnementales ont lieu principalement entre États du Sud, il revient aux pays « développés », historiquement grands émetteurs de gaz à effet de serre, d’aider ces pays à protéger les personnes déplacées, compte tenu du principe des responsabilités communes mais différenciées, et de leur fournir un soutien financier et technique.
La vingt et unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 », qui se tiendra au Bourget à partir du 30 novembre prochain, sera un cadre propice à la discussion de cette problématique.
En adoptant la présente proposition de résolution, notre assemblée inciterait la France, en lui donnant la primauté, à « promouvoir, dans le cadre de la COP 21 ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, la mise en œuvre de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présents ou à venir, qui ne bénéficient aujourd’hui d’aucune reconnaissance ».