Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 novembre 2015 à 16h05
Projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Je m'associe à votre propos : il est important que nous donnions une belle image de rassemblement demain, à l'occasion de l'examen de ce texte, après ces événements qui nous ont tant marqués.

Ce texte proroge l'état d'urgence au-delà de douze jours. Déclenché le 14 novembre, celui-ci prendrait fin le 26 novembre, si le Parlement n'autorisait pas sa prorogation, ainsi qu'en dispose la loi de 1955 telle que modifiée par l'ordonnance du 15 avril 1960.

Depuis vendredi, l'action du Gouvernement a été immédiate. Un premier décret a déclaré l'état d'urgence sur le territoire de la métropole, Corse comprise. Il a été suivi de plusieurs autres décrets, délimitant d'abord des zones spécifiques à l'intérieur du territoire métropolitain au sein desquelles des mesures renforcées peuvent être mises en oeuvre, les étendant ensuite à l'ensemble de ce même territoire et appliquant l'état d'urgence à certaines collectivités d'outre-mer - hors Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

Le présent projet de loi comporte en outre des mesures élargissant et sécurisant les pouvoirs donnés au ministre de l'intérieur et aux préfets dans le cadre de cet état d'urgence et aménageant les modalités du contrôle juridictionnel des actes pris dans le cadre des pouvoirs exceptionnels ouverts par l'état d'urgence.

La conventionalité de ces mesures n'est pas douteuse. Le Conseil d'État a précisé que l'article 15 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales autorisait expressément, en cas de danger public menaçant la vie de la nation, d'écarter les procédures de droit commun en matière de protection des libertés publiques.

La constitutionnalité de ces mesures est une question plus délicate. L'article 66 de la Constitution érige le pouvoir judiciaire en gardien des libertés individuelles. Or les pouvoirs que nous voulons donner à la police et au ministre de l'intérieur dans le cadre de l'état d'urgence sont des pouvoirs de police administrative, permettant de restreindre l'exercice des libertés individuelles... De plus, l'article 34 impose au législateur de fixer les règles en matière de garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Pour éviter tout risque de sanction pour incompétence négative, il doit donc encadrer suffisamment les pouvoirs exceptionnels.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d'État ne tranchent sans doute pas toutes les questions, mais y répondent largement.

Avec sagesse, le Gouvernement a pressenti la difficulté et nous propose de modifier le régime de la loi de 1955 pour que les mesures prises par le ministre de l'intérieur et les préfets soient suffisamment encadrées par le législateur et les voies de recours clarifiées. Le Conseil constitutionnel a considéré que la Constitution de 1958, bien que ne mentionnant pas, en son article 36, l'état d'urgence à côté de l'état de siège, n'a pas entendu abroger implicitement la loi de 1955, d'ailleurs substantiellement modifiée par l'ordonnance de 1960. Saisi en 1985 de la question de sa pérennité, le Conseil constitutionnel n'a pas relevé de contrariété entre la loi de 1955 et la Constitution de 1958, considérant qu'il n'est pas de liberté publique possible si les nécessités de l'ordre public ne sont pas préservées.

Saisi du présent texte, le Conseil d'État n'a pas dit autre chose : la Constitution ne s'oppose pas au principe d'une législation de crise, celle-ci ne contredit pas les dispositions protectrices des libertés inscrites dans la loi fondamentale. Autrement dit, l'état d'urgence n'est pas un régime dérogatoire à l'État de droit mais est la poursuite de l'État de droit dans des circonstances exceptionnelles, au moyen de pouvoirs étendus mais limitativement énumérés par la loi de 1955 et dont l'exercice est juridiquement encadré - durée limitée, voies de recours élargies et simplifiées par le projet de loi. Les procédures de référé sont applicables, comme elles l'ont été en 2005. Enfin, le caractère temporaire de l'état d'urgence oblige le Gouvernement à s'assurer que les conditions de son invocation demeurent réunies et le Parlement à contrôler son application.

Plutôt que de créer un arsenal permanent de pouvoirs étendus entravant l'exercice des libertés publiques, je préfère de beaucoup des dérogations temporaires au droit commun, pendant un temps limité, pour mieux revenir ensuite au socle de notre tradition républicaine protectrice des libertés publiques.

Le Gouvernement propose une prorogation de trois mois ; six mois ne m'auraient pas choqué...

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