Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 janvier 2016 à 16h05
Liberté de la création architecture et patrimoine — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur :

Le titre II comporte les dispositions relatives au patrimoine culturel et à la promotion de l'architecture. Contrairement à beaucoup des mesures relatives à la création, elles ne résultent pas de négociations interprofessionnelles mais traduisent une volonté politique forte.

La réforme des espaces protégés au titre du patrimoine, mesure phare, fait l'objet de toutes les attentions et des critiques les plus virulentes, d'autant que son ampleur est inattendue. Le texte fusionne trois catégories d'espaces protégés existantes - les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP) - au sein d'un nouveau régime de protection : les cités historiques. La mise en oeuvre de ce nouveau régime est entièrement déléguée aux collectivités territoriales. Hors décision de classement, l'État ne fera plus qu'accorder une assistance technique et financière. Les collectivités sont libres de choisir le document d'urbanisme à adopter pour fixer les règles patrimoniales sur tout ou partie du périmètre de la cité historique : plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), document d'urbanisme conçu pour les actuels secteurs sauvegardés ou intégration des éléments patrimoniaux directement dans le plan local d'urbanisme (PLU).

L'appellation « cités historiques » appréhende-t-elle vraiment la réalité des espaces qu'elle doit protéger ? Une gestion totalement décentralisée est-elle adaptée ? Le PLU, dont l'instabilité est presque chronique, constitue-t-il un document approprié pour protéger le patrimoine, qui réclame au contraire des actions dans la durée ? En l'absence d'intervention de l'État, comment surmonter le problème d'une intercommunalité qui s'opposerait à la demande d'une commune d'élaborer un PSMV ? Telles sont les principales questions auxquelles j'ai tenté de répondre.

La réforme modifie également les règles relatives aux abords des monuments historiques : leur tracé serait adapté aux réalités locales tandis que le périmètre automatique des 500 mètres deviendrait une exception. Ce rond, que certains qualifient de « bête et méchant », a l'avantage de s'appliquer indistinctement ; la loi autorise déjà des adaptations.

Cependant, ce texte pourrait contribuer à rendre les règles plus compréhensibles et lisibles pour les citoyens. Déjà, il simplifie opportunément le régime d'autorisation préalable des travaux et supprime les superpositions de servitudes d'utilité publique.

Cette démarche de rationalisation inspire d'autres modifications apportées au livre VI du code du patrimoine. L'article 25 revoit le régime des sanctions en cas d'infractions aux règles relatives aux monuments et aux cités historiques. Il facilitera leur mise en oeuvre en instaurant des sanctions administratives. L'article 23 refond les commissions consultatives intervenant dans le domaine du patrimoine, au niveau national comme territorial.

Enfin, le projet de loi comporte plusieurs dispositions symboliques auxquelles nous ne pouvons que souscrire. Parmi celles-ci figure la reconnaissance du label des « centres culturels de rencontre », dont notre ancien collègue Yves Dauge préside l'association. D'autres reprennent des propositions formulées par le législateur au cours des dernières années, dont l'examen avait été interrompu. Telle la proposition de loi que j'avais déposée avec Jacques Legendre en 2011 pour renforcer la protection juridique du patrimoine de l'État. Le projet de loi va même parfois au-delà de ce que nous avions imaginé. Il comporte des mesures sur la protection des biens français inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, la mise en place d'une protection spécifique aux domaines nationaux ou encore le renforcement de l'arsenal législatif de lutte contre le dépeçage et la dispersion de notre patrimoine.

Bref, le volet patrimoine du projet de loi me plonge dans un certain embarras. Au terme des auditions, j'ai décidé de ne pas rejeter en bloc la réforme des espaces protégés sans m'interdire de toucher aux dispositions symboliques. Globalement, mes amendements répondent à deux objectifs. D'abord, simplifier, sans remettre en cause le haut niveau de protection du patrimoine dans notre pays. Je propose d'abandonner le recours au PLU au profit d'un document plus stable et plus complet et de renforcer le rôle de la commission nationale, garante de l'intérêt public et d'une certaine unité de la protection du patrimoine. Le second objectif est de préserver les intérêts des collectivités territoriales. Celles-ci ne veulent pas une autonomie accrue, mais un accompagnement renforcé ; elles veulent éviter des contraintes excessives et des changements inutiles du cadre juridique. C'est pourquoi je suggère de renforcer le rôle de l'État en rétablissant, entre autres, l'élaboration conjointe des PSMV. J'espère ainsi être arrivée à une solution de compromis, qui rétablisse une certaine continuité dans le changement...

Le volet consacré à l'architecture a été largement complété à l'Assemblée nationale. A l'origine, il ne comportait que deux mesures : l'article 26 inscrit dans la loi un label reconnaissant le patrimoine récent ; l'article 36 donne au maire la possibilité d'accorder des dérogations supplémentaires aux règles d'urbanisme pour les projets présentant un intérêt public du point de vue de la qualité architecturale et de la création ou de l'innovation. À l'initiative de leur rapporteur, les députés ont inséré pas moins de treize articles, dont l'objectif est de promouvoir la qualité architecturale du bâti et de favoriser le recours à un architecte. Parmi ces articles, font particulièrement débat : l'article 26 quinquies abaisse à 150 mètres carrés le seuil à partir duquel il faut recourir à un architecte pour les constructions individuelles ; l'article 26 quater oblige à recourir à un architecte pour établir le projet d'un lotissement faisant l'objet d'un permis d'aménager ; et, enfin, l'article 26 undecies autorise l'État et les collectivités territoriales à substituer, durant sept ans, à titre expérimental, des objectifs à atteindre aux normes en vigueur pour la réalisation d'équipements publics.

L'empilement de ces mesures, très diverses dans leur objet comme dans leur portée, a fait naître une certaine perplexité. L'absence d'étude d'impact fait craindre que certaines dispositions se révèlent contre-productives, voire préjudiciables. Notre commission, très attachée à la protection du patrimoine, est sensible à la promotion de la qualité architecturale du bâti, qui constitue notre patrimoine de demain. Favoriser le recours aux architectes participe de cette volonté. Comme le rappelle l'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, « la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public ».

Je suggère cependant de maintenir le seuil actuel de recours obligatoire à un architecte pour les constructions individuelles et de modifier les modalités du recours à un architecte pour les lotissements. Attention de ne pas faire peser de charges nouvelles sur les collectivités territoriales. Je propose de supprimer les articles dépourvus de portée normative ainsi que l'expérimentation sur les normes pour maintenir les dispositions originelles du projet de loi ainsi que celles visant les Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ou ayant trait au fonctionnement interne de l'ordre.

Allier le bon sens et le pragmatisme en cherchant l'intérêt général, tel est l'esprit de notre commission. C'est lui qui m'a guidé pour aborder les autres dispositions relatives au patrimoine, à commencer par celles sur les archives qui constituent une modernisation bienvenue.

Je ne rejette pas a priori la réforme de l'archéologie préventive. Cependant, faut-il, comme l'a voulu l'Assemblée nationale, renforcer le contrôle de l'État sur les opérateurs autres que l'institut de recherche archéologique préventive (Inrap) au prétexte d'améliorer la qualité des fouilles ? Cela restreindrait l'ouverture à la concurrence du secteur de l'archéologie préventive au bénéfice de l'Inrap.

Le dispositif s'organise autour de quatre axes. D'abord, un interventionnisme accru de l'État, puisque les aménageurs seront désormais obligés de soumettre l'ensemble des offres aux services régionaux archéologiques - lesquels examineront leur conformité au cahier des charges et noteront le volet scientifique.

Le deuxième axe est l'alourdissement des contraintes administratives et financières pour les opérateurs de droit public ou privé soumis à agrément. La liste des documents à fournir pour une demande d'agrément ou de renouvellement fait l'objet d'une véritable dérive inflationniste. Le dossier doit désormais établir la capacité scientifique, administrative, technique et financière du demandeur ainsi que son respect d'exigences en matière sociale, financière et comptable. Ces dispositions, vagues, laissent à l'État une grande marge d'interprétation qui pourrait être utilisée pour limiter le renouvellement des agréments. Dans sa volonté de réguler le secteur de l'archéologie, l'Assemblée nationale a privé les opérateurs privés du crédit impôt recherche (CIR) pour les dépenses engagées dans le cadre des contrats de fouilles. Pourtant, ces dépenses font régulièrement l'objet de contrôles fiscaux qui, jusqu'à présent, n'ont pas révélé d'utilisation frauduleuse de cet avantage fiscal.

Troisième axe, une restriction du champ d'intervention des services archéologiques des collectivités territoriales. Elle contraste avec la reconnaissance de leur rôle spécifique. En contrepartie de l'habilitation dont ils bénéficieraient désormais, les services archéologiques des collectivités territoriales verraient leurs compétences limitées géographiquement. Cela va à l'encontre de la mutualisation des compétences. De plus, l'habilitation est conditionnée à la remise d'un projet de convention avec l'État, dont le contenu reste vague. Les élus s'inquiètent du champ d'application de cette convention alors que l'État sera en position de force pour infléchir leur politique en matière d'archéologie préventive.

Enfin, le projet de loi instaure le monopole de l'Inrap sur les opérations de fouilles sous-marines intervenant dans le domaine public maritime. C'est contraire à l'esprit de la loi de 2003 qui avait ouvert les fouilles archéologiques à la concurrence. De plus, il confie systématiquement à l'institut le soin de reprendre des travaux inachevés en raison de la cessation d'activité de l'opérateur ou du retrait de son agrément. Cette mesure dissuadera les aménageurs de travailler avec d'autres opérateurs que l'Inrap, en faisant peser sur eux le risque d'avoir à payer deux fois des travaux de fouilles en cas de défaillance de l'opérateur. Cette menace financière est d'autant moins justifiée que, depuis 2015, le Gouvernement accorde une subvention pour charges de service public afin de compenser les coûts engendrés par ce type d'opération.

Bref, je suis en profond désaccord avec l'article 20. Faute d'établir un monopole de l'Inrap sur toutes les opérations de fouilles, le Gouvernement asphyxie la concurrence, ne serait-ce qu'en faisant peser une suspicion d'incompétence sur les opérateurs soumis à agrément. Je préfère consacrer au niveau législatif le Conseil national de la recherche archéologique et les commissions interrégionales de la recherche archéologique au sein desquels doivent être représentés les opérateurs agréés.

Enfin, parce que l'esprit du CIR est de n'exclure aucun secteur d'activité de son champ d'application, je vous invite à rejeter l'article 20 bis.

Nous avons travaillé, avec M. Leleux, depuis le début du mois de décembre. Nos échanges m'ont beaucoup aidée, ainsi que ceux que nous avons eus avec nos collègues.

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