Intervention de Christophe Béchu

Réunion du 18 février 2016 à 14h30
Modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi organique et d'une proposition de loi dans les textes de la commission

Photo de Christophe BéchuChristophe Béchu, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par un regret.

À vrai dire, nous ne devrions pas, cet après-midi, un peu plus d’un an avant la prochaine élection présidentielle, être amenés à examiner, de surcroît selon la procédure accélérée, des textes relatifs aux règles applicables à l’élection présidentielle. Ainsi, c’est dans l’urgence que nous devons légiférer sur un sujet fondamental pour la démocratie, comme nous avions déjà dû le faire juste avant les élections présidentielles de 2007 et de 2012.

Légiférer dans ces conditions n’est pas propice à la sérénité ni à la conduite d’une réflexion approfondie, d’autant que, comme Mme la secrétaire d’État vient de le souligner, les dispositions de la proposition de loi organique et de la proposition de loi que nous examinons s’inspirent, pour l’essentiel, des recommandations émises, dans la foulée de l’élection présidentielle de 2012, par le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la Commission nationale de contrôle la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle et la Commission des sondages.

Néanmoins, la somme de ces recommandations, qui convergent sur un certain nombre de sujets, et la pertinence des remarques soulevées justifient que nous prenions aujourd'hui le temps d’en tirer les leçons, en vue d’introduire les dispositions nécessaires dans la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, laquelle a été adoptée à la suite du référendum du 28 octobre de la même année.

Ce regret exprimé, de quoi s’agit-il ? J’espère que, au sujet des mesures dont nous allons débattre, des consensus se feront jour parmi nous, étant donné que notre discussion portera non pas sur la personnalité du futur Président de la République, mais sur les règles propres à assurer son élection dans les meilleures conditions de transparence et de sérénité. Ces mesures sont de quatre ordres.

La première série de dispositions se rapporte aux parrainages.

Il s’agit d’abord de prévoir la transmission directe des parrainages au Conseil constitutionnel, en sorte que leur collecte ne soit plus assurée par les candidats ou les partis ; l’objectif principal de cette mesure, ainsi que Jean-Jacques Urvoas, alors rapporteur du texte, l’avait bien expliqué devant l’Assemblée nationale, est de prévenir d’éventuelles pressions sur les parrains.

Il s’agit ensuite d’améliorer la transparence des parrainages. Les premières observations du Conseil constitutionnel à ce sujet remontent à 1974 : voilà donc plus de quarante ans que le Conseil constitutionnel invite le législateur à modifier les règles en la matière ! Faut-il, pendant la période de collecte, publier au fil de l’eau le nombre des parrainages, voire les noms des parrains, et convient-il, à l’issue de cette période, d’assurer la transparence totale des parrainages adressés au Conseil constitutionnel, même lorsqu’ils concernent des candidats n’ayant pas atteint le seuil des 500 parrainages ? La commission des lois s’est prononcée en faveur d’une transparence totale au terme de la collecte, mais d’une publication du seul nombre des parrainages tant que cette phase n’est pas terminée, dans le but, là aussi, de réduire les pressions qui pourraient s’exercer sur les parrains potentiels.

Un deuxième ensemble de mesures a trait au temps de parole pendant la période dite intermédiaire.

La campagne présidentielle se décompose en trois temps. La période dite préliminaire, qu’il n’est pas question de modifier, dure aussi longtemps que la liste des candidats ayant réuni 500 parrainages n’a pas été officiellement publiée ; au cours de cette phase s’applique la règle de l’équité, la seule possible puisque, par définition, on ne sait pas encore qui sera candidat. La dernière phase de la campagne, régie par l’article 7 de la Constitution, correspond aux deux tours de scrutin espacés de quinze jours, précédés par la campagne officielle qui débute quinze jours avant le premier tour ; cette période voit s’appliquer le principe de l’égalité entre les candidats, tous devant bénéficier de temps de programmation et d’antenne comparables.

Nos débats porteront sur la période intermédiaire, aujourd’hui régie par la règle de l’égalité. Depuis 2007, cette période dure près de trois semaines, et non plus trois jours. Or il a été souligné, notamment par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, que la nouvelle durée de la période intermédiaire et la multiplicité des candidatures ont entraîné un effet pervers non prévu par le législateur organique en 2006 : la division par deux du temps d’antenne consacré à l’élection présidentielle. Des constitutionnalistes, tel Guy Carcassonne, ont fait observer que l’absence d’un débat de premier tour digne de ce nom tenait en particulier à la difficulté d’organiser celui-ci de manière satisfaisante, compte tenu du nombre des candidats et des règles à respecter.

Dans un premier temps, la commission des lois du Sénat a validé la solution adoptée par l’Assemblée nationale : la substitution d’une équité bonifiée à l’égalité formelle. Néanmoins, je soutiendrai tout à l’heure un amendement de notre collègue Alain Anziani présentant une solution intermédiaire : le maintien du principe de l’égalité, mais assorti, pour tenir compte des préconisations du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’une réduction d’une semaine de la période intermédiaire.

La troisième série de mesures concerne les horaires de fermeture des bureaux de vote.

L’origine du débat ne réside pas dans une volonté farouche d’uniformisation. Il s’agit de tenir compte d’une réalité signalée par la Commission des sondages : quarante-cinq minutes seulement après la fermeture des premiers bureaux, les techniques d’extrapolation permettent de prévoir le résultat final avec une faible marge d’erreur. Dans ces conditions, la Commission des sondages préconise qu’il ne s’écoule plus deux heures entre la fermeture des premiers bureaux de vote et celle des derniers. Dès lors, il convient soit de déterminer une heure de fermeture unique, soit de limiter à une heure au maximum l’écart entre les horaires de fermeture.

Fixer un horaire unique de fermeture des bureaux de vote nous a semblé constituer la bonne formule. Cela présenterait l’avantage d’une harmonisation des règles, en particulier entre zones rurales et zones urbaines, d’autant plus bienvenue s’agissant d’un scrutin aussi fondamental que l’élection présidentielle. Au demeurant, cette formule a déjà été appliquée, en particulier pour les élections européennes. L’argument selon lequel plus les bureaux de vote restent ouverts tard, plus la participation des électeurs est forte ne résiste pas à l’examen objectif des taux de participation lorsque des bureaux de vote ferment à 22 heures ou du nombre des votants entre 19 et 20 heures dans les grandes villes.

La quatrième série de mesures porte sur la comptabilisation des dépenses de campagne. En la matière, la commission des lois n’a pas souhaité modifier les règles si peu de temps avant la prochaine élection présidentielle : elle préconise donc le maintien à l’année précédant le premier tour du scrutin de la période de comptabilisation des dépenses de campagne.

Toujours est-il que ce débat comporte une dimension impensée, ou indicible ; je veux parler de la question des primaires. Aujourd’hui, on considère que seule une fraction des dépenses d’organisation d’une primaire ouverte a vocation à figurer dans les comptes de campagne du vainqueur, dans la mesure où ces dépenses sont relatives à la vie interne d’un parti politique. En vertu de cette conception, environ 400 000 euros ont été intégrés au compte de campagne pour l’élection présidentielle de 2012 du candidat François Hollande.

Les remarques qui nous ont été adressées insistent sur le caractère un peu bancal de ce système, qui repose sur une construction intellectuelle difficile à défendre. Réduire à six mois la durée de comptabilisation des dépenses de campagne permettrait d’inciter les partis qui souhaitent organiser des primaires ouvertes à le faire avant le commencement de cette période. Une autre solution serait d’élaborer un texte de loi pour encadrer les primaires et leur prise en compte, mais je considère que, en légiférant dans ce domaine, nous porterions atteinte à l’équilibre et à l’esprit de nos institutions.

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