Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 5 avril 2016 à 15h15
Dialogue avec les supporters et lutte contre le hooliganisme — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, plus de quatre mois après les attentats du 13 novembre, deux semaines après les attaques de Bruxelles et à deux mois de l’Euro de football de 2016, le contexte dans lequel nous examinons la proposition de loi du groupe Les Républicains renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme est bien évidemment loin d’être anodin.

Le hooliganisme est un phénomène qui reste, et c’est heureux, relativement minoritaire en France. Pour le combattre, notre pays s’est déjà doté, au fil des années, d’un arsenal répressif important relatif aux supporters, avec l’interdiction administrative de stade, ou IAS, et l’interdiction judiciaire de stade, l’IDS.

Alors que la législation en vigueur comporte les dispositions nécessaires pour prévenir et sanctionner les violences dans les enceintes sportives, l’article 1er de la présente proposition de loi permettrait aux clubs de football de refuser l’accès aux stades à des supporters ne faisant pas l’objet d’une IAS, mais qui présenteraient un danger pour la sécurité ou le bon déroulement de la rencontre sportive. Ces mêmes clubs pourraient ensuite ficher ces personnes à l’aide d’un traitement automatisé de données à caractère personnel.

Le député Guillaume Larrivé, coauteur et rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, précise, dans son rapport, que ces dispositions, qui « devrai[en]t conduire à une moindre mobilisation des forces de police lors des rencontres sportives, appara[issen]t d’autant plus nécessaire[s] qu’actuellement les forces de l’ordre doivent être prioritairement mobilisées pour lutter contre la menace terroriste islamiste. » Afin de mieux lutter contre cette menace, il faudrait déléguer les prérogatives de la police et des préfets aux clubs de football en matière de gestion de la sécurité, de l’accès aux stades et de fichage des supporters.

Cette évolution me semble quelque peu problématique. Laisser l’exercice de ces compétences aux mains de sociétés commerciales non contrôlées constitue un risque d’arbitraire bien trop élevé.

Bien sûr, le fichier tenu par les organisateurs de manifestations sportives sera soumis à un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, et mis en œuvre dans les conditions définies par le Conseil d’État. Mais peut-on s’assurer qu’un tel fichier sera sciemment utilisé pour écarter les personnes violentes, et non pour effectuer un tri sur d’autres critères ? En effet, les clubs pourraient profiter de ces nouvelles dispositions pour écarter des supporters jugés trop revendicatifs – par exemple, ceux qui dénonceraient une gouvernance autocratique ou s’opposeraient à une politique tarifaire excessive.

De surcroît, l’article 6 de la proposition de loi étend l’interdiction de stade aux lieux de retransmission des matchs. Dans le contexte actuel et à l’approche de l’Euro 2016, nous comprenons, bien sûr, que l’accès aux fan zones, qui pourraient réunir entre 10 000 et 100 000 personnes, soit restreint et que les contrôles soient renforcés. Mais comment appliquer une telle disposition au regard du nombre très élevé d’établissements où seront retransmis les matchs de football, qu’il s’agisse des bars, des restaurants, ou encore des salles de sport ?

Évidemment les actes de violence et de discrimination devraient être sanctionnés de manière vigoureuse, mais il est tout aussi important de promouvoir un encadrement très strict des mesures susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles et d’être utilisées à des fins discriminatoires.

Il importe également de sortir d’une logique uniquement punitive et de s’engager dans une logique préventive, qui intègre les premiers acteurs concernés, à savoir les représentants des supporters. En effet, la représentation des supporters au sein tant des instances nationales du sport que des sociétés exploitant les clubs professionnels est la garantie d’une meilleure politique de prévention, permettant de lutter plus efficacement contre les phénomènes de violence et de discrimination au sein des enceintes sportives.

Sur ce point, l’article 5 permet de faire entrer dans la loi une définition positive des supporters, ainsi qu’une représentation à la fois locale et nationale de ces derniers.

Ces mesures, nous les soutenons. D’ailleurs, mon collègue Ronan Dantec présentera des amendements visant à garantir un meilleur partage de la gouvernance entre fédérations, clubs et représentants des supporters.

De nombreux amendements ont été déposés. Ceux du groupe écologiste ont été élaborés dans un esprit tout à fait constructif.

Au final, il s’agira de savoir si le texte revisité par le Sénat atteindra l’équilibre entre répression et prévention. De cet équilibre dépendra le vote du groupe écologiste.

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