Monsieur le ministre, croyez bien que tous les membres de la Haute Assemblée ont un immense respect pour les élus municipaux. C’est précisément au nom de ce respect que la présente proposition de loi a été préparée par notre collègue Jacques Mézard.
Lors de l’examen de la nouvelle organisation territoriale de la République, nous avons approfondi le débat sur la nature même de l’intercommunalité. Il n’y avait pas, d’un côté, des parlementaires partisans de l’intercommunalité et, de l’autre, des opposants ! Nous sommes tous des acteurs du mouvement intercommunal. Seuls le rythme et le respect de la nature profonde de l’intercommunalité sont en discussion parmi nous.
Notre débat a principalement porté sur le seuil. Nous ne voulions pas que l’on impose un niveau de regroupement excessif aux communes. Nous voulions que l’intercommunalité soit naturelle. Nous voulions que les communautés de communes correspondent à des bassins de vie. En résumé, nous voulions qu’une affectio societatis soit à la base du succès de l’intercommunalité.
Créer des intercommunalités de grande dimension – cela peut être un choix ; je n’en conteste pas le principe –, c’est entrer dans un autre univers qui n’a pas fait l’objet de la discussion du Parlement.
Ce dont nous avons discuté, c’est des moyens pour les communes de mettre en œuvre une cogestion des affaires communales, dans un ensemble dont la dimension ne serait pas telle que les représentants des communes soient noyés dans de grandes assemblées ressemblant, en quelque sorte, à des chambres d’enregistrement !
Ce que nous avons voulu, c’est que la responsabilité des maires soit respectée, et non pas diluée. Ce que nous avons voulu, c’est que la démocratie locale puisse s’exprimer, avec, en retour, l’exigence de rendre compte à nos concitoyens.
Quand nous constituons de grandes intercommunalités, ce ne sont plus des intercommunalités. Ce sont des organismes territoriaux – je ne sais pas comment les qualifier – avec des assemblées composées de 100, 200 ou 300 élus, y compris si les regroupements comptent moins de 200 communes ; vous avez évoqué un certain nombre de cas, monsieur le président. Or, dans des assemblées si nombreuses, le pouvoir se concentre entre le président, les membres du bureau, le directeur général ou les directeurs généraux adjoints. L’on voit alors apparaître une sorte de centralisme intercommunal qui n’a strictement rien à envier au centralisme d’État que nous combattons depuis des générations !
Si, pour des raisons qui nous appartiennent, nous voulons créer des ensembles vastes, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République n’est tout simplement pas l’instrument approprié ! Sa mise en œuvre se heurtera à des difficultés pratiques très grandes, tant lors de l’installation de l’institution que pendant sa vie : ses organes dirigeants n’ont pas été conçus pour gérer ce type de structures.
Nous prenons évidemment acte du fait que la loi doit entrer en vigueur. Personne ici, à commencer par notre collègue Jacques Mézard, ne propose de donner un coup d’arrêt au processus de regroupement en cours.
Certes, nous sommes nombreux à penser que les choses vont trop vite. La plupart des intercommunalités de notre pays ont été mises en place le 1er janvier 2014. Nous sommes en 2016. Et les nouvelles habitudes de travail à peine prises, il faut déjà les remettre en cause pour rejoindre des groupes de communes plus importants !
Mais laissons cela de côté. Nous sommes réalistes et pragmatiques. Nous savons bien que ce processus amorcé ne peut pas être brutalement arrêté. D’ailleurs, nous ne le souhaitons pas.
Monsieur le ministre, compte tenu de ce que vous dites vous-même, notamment sur le consensus que vous avez relevé dans les départements, la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard ne nous paraît pas de nature – c’est peut-être là que réside le principal de nos désaccords – à entraîner des revendications si nombreuses qu’elles pourraient enrayer le processus.
En revanche, là où c’est utile, il faut prendre le temps de la réflexion, et attendre que les nouveaux instruments juridiques soient forgés. Je pense notamment à la dotation de centralité, à la dotation de solidarité rurale ou au mode d’emploi de la dotation d’équipement des territoires ruraux. Je pourrais aborder beaucoup d’autres questions financières. Il faudrait aussi évoquer l’organisation de proximité.
Que faire quand la nouvelle grande intercommunalité ne veut pas exercer les compétences que les communes avaient déléguées à des intercommunalités à taille humaine ? Quelles sont les structures qui pourront prendre en charge la piscine, la maison de l’enfance ou la maison de retraite médicalisée, autrefois sous la responsabilité de la petite communauté de communes, mais dont la grande ne veut pas s’occuper ?
Nous ne demandons qu’une chose, sans en faire une question dogmatique ou idéologique : laisser le temps, là où les problèmes sont les plus aigus, à l’État lui-même, mais aussi aux élus chargés de la mise en place de la nouvelle intercommunalité, de régler les problèmes pratiques. Ne les plaçons pas au pied du mur en agissant dans la précipitation !
Je gage d’ailleurs que, dans un certain nombre de cas, le délai laissé par la loi aux intercommunalités pour se constituer n’aura peut-être même pas besoin d’être entièrement employé. Si le Gouvernement y met du sien, il doit pouvoir faire l’inventaire des difficultés. Or elles sont assez nombreuses quand la loi est utilisée à des fins autres que celles pour lesquelles elle a été votée !
La proposition de loi de notre collègue me semble donc raisonnable. Je remercie d’ailleurs les si nombreux collègues qui se sont relayés après notre rapporteur à la tribune pour dire tout le bien qu’ils en pensaient.