Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 2 juin 2016 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je formulerai quelques observations en complément de ce que vient de dire M. le garde des sceaux.

On a raison de le souligner, ce texte est important, car il touche à un élément essentiel de la procédure pénale et de la loi pénale, à savoir le délai au terme duquel une infraction commise ne peut plus être poursuivie. Ce n’est pas négligeable.

Il est vrai que des travaux assez poussés ont été réalisés à la fois au Sénat – le rapport de nos collègues Jean-Jacques Hyest, Richard Yung et Hugues Portelli a été évoqué – et à l’Assemblée nationale, tels que la proposition de loi de nos deux collègues députés qui nous est aujourd'hui soumise.

J’indique d’emblée à cette tribune qu’il n’est pas question pour le Sénat, pour votre rapporteur et pour la commission des lois, de remettre en cause l’ensemble de ce texte, dont une grande partie est d’inspiration sénatoriale. Je n’en tire pas de gloire particulière, mais je tenais à le rappeler.

En revanche, il nous est apparu absolument nécessaire de bénéficier d’un délai supplémentaire, afin de nous permettre de procéder à quelques auditions supplémentaires et d’approfondir certains points.

Sur la forme, je rappelle que la commission n’a arrêté sa position sur cette proposition de loi que le 25 mai dernier, que, en tant que rapporteur, je n’avais été saisi du texte que quelques dizaines de jours plus tôt, alors que l’examen en séance était fixé à aujourd'hui. Nous sommes capables de travailler rapidement, mais tout de même !...

Outre l’allongement des délais de prescription en matière délictuelle et criminelle, respectivement portés à six ans et vingt ans, deux ou trois sujets importants méritent une réflexion un peu plus approfondie.

Je pense tout d’abord aux délais de prescription pour les agressions sur mineurs. Si le point de départ du délai de prescription est consensuel, à savoir la majorité, faut-il aller plus loin, voire envisager l’imprescriptibilité, comme le plaident certains, pour ce type de crimes ? Pour ma part, je n’y suis pas favorable, mais le débat doit être ouvert.

Je pense ensuite à la consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les infractions dites « occultes » ou « dissimulées ». Nous sommes d’accord sur le principe. Pour autant, ne faut-il pas s’intéresser à la proposition qu’avaient faite nos collègues Hyest, Yung et Portelli et introduire un délai butoir au sein de ce dispositif, afin d’éviter les imprescriptibilités de fait ? Nous souhaitons que cette question ne soit pas occultée.

Par ailleurs, nous sommes très défavorables à l’imprescriptibilité pour les crimes de guerre. Quant à la connexion avec les crimes contre l’humanité, si elle pose une petite difficulté de forme, elle ne remettra pas en cause le fond.

En revanche, nous pouvons trouver un accord sur d’autres sujets. Je n’entrerai pas dans les détails à ce stade de nos débats, car ils ne posent pas de difficultés globalement, à l’exception de la question des actes susceptibles d’interrompre la prescription, notamment la prise en compte des plaintes adressées au procureur de la République ou à un service de police judiciaire. L'Assemblée nationale vient de consacrer ce principe comme étant un acte suspensif de prescription, ce que la jurisprudence avait jusqu’à présent toujours refusé. Pour notre part, nous avons de nombreuses interrogations sur ce point.

J’ajoute que la commission avait demandé la réalisation d’une étude de droit comparé, qui lui est parvenue tout récemment, car elle lui paraissait utile pour nourrir ce débat. La commission s’est également interrogée sur l’absence d’étude d’impact de la réforme sur le fonctionnement de notre système judiciaire et sur la charge qu’elle ferait peser sur lui.

Pour toutes ces raisons, lors de sa réunion la semaine dernière, la commission des lois a demandé le renvoi du texte en commission à l’unanimité, moins une voix, l’un de nos collègues s’étant abstenu.

Je le redis ici, la prescription est un sujet fondamental. On peut considérer que l’action publique doit s’arrêter à un moment donné et que l’infraction doit bénéficier d’une forme d’oubli.

Cela dit, on ne peut nier que le délai de prescription est aussi fixé en fonction de la capacité d’apporter la preuve ou l’existence même de l’infraction à un instant t. L’évolution des technologies aujourd'hui, celle de la science en particulier, permet désormais d’identifier très longtemps après les auteurs de crimes, en tous les cas au-delà du délai de dix ans. Des poursuites pourraient donc être engagées. La société attend ce type de modification.

Faut-il suivre à tout prix, dans tous les cas, l’opinion publique en la matière ? Ne pourrait-on essayer de trouver des délais intermédiaires, comme il était d’ailleurs préconisé dans le rapport de Jean-Jacques Hyest et de Richard Yung ? À ce stade, la commission des lois n’a pas tranché sur ces questions. C’est pourquoi elle souhaite bénéficier d’un délai supplémentaire pour étudier le texte.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je le répète, afin d’être transparent : nous ne voulons pas enterrer le dossier. La proposition de loi va être renvoyée à la commission ; aucune date n’est fixée pour un nouvel examen en séance, mais nous pourrions sans difficultés achever nos travaux sur ce texte soit d’ici à la fin du mois de juillet, soit à la rentrée en septembre prochain. Ce délai permettrait à la commission d’achever ses auditions et de se prononcer sur le texte.

Pour conclure, le Sénat souhaite contribuer de manière positive à la réflexion sur ce sujet essentiel en matière pénale afin de parvenir à un accord qui soit largement partagé. Il s’agit de trouver une solution satisfaisante pour l’ensemble de la société française, en particulier pour les victimes, dont le désarroi est parfois profond, et auxquelles nous devons, compte tenu des circonstances aujourd'hui, apporter une réponse à la hauteur des enjeux.

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