Intervention de Jean-Léonce Dupont

Réunion du 26 octobre 2016 à 21h00
Adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Léonce DupontJean-Léonce Dupont, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »

La proposition de loi que vous examinez ce soir ne dément pas cette sage affirmation de Nicolas Boileau. Son texte est court : le Sénat n’aime guère les « lois bavardes ». Pourtant, sans fausse modestie, je peux l’affirmer : quand cette proposition fera loi, elle sera la réponse attendue à une préoccupation devenue majeure au sein de nos établissements d’enseignement supérieur et, singulièrement, de nos universités. Avec ce texte, nous adaptons enfin réellement l’organisation du cursus post-licence français aux exigences du LMD et d’abord du deuxième cycle, ou master.

En 2002, notre pays s’inscrit pleinement dans le système européen d’enseignement supérieur et de recherche. Une réforme en profondeur s’impose, mais elle ne sera que très imparfaitement réalisée.

Pour mieux apprécier l’économie du texte que je vous présente, il me semble utile de rappeler la situation pré-LMD.

Les parcours universitaires s’organisaient autour du DEUG, premier cycle en deux ans, suivi de la licence, obtenue après une année d’études, puis de la maîtrise, en une année également.. Licence et maîtrise constituaient le deuxième cycle. L’étudiant pouvait alors envisager un troisième cycle : il s’inscrivait, selon son projet et sous réserve qu’il soit retenu par l’équipe pédagogique en charge du diplôme, soit en DEA, formation plutôt théorique, soit en DESS, formation à vocation professionnelle. Au terme de cette année d’études, la porte, de préférence celle du DEA, s’ouvrait vers le doctorat.

En 2002, le LMD a produit ses effets sur cette organisation, mais, en réalité, d’une manière que j’oserais dire cosmétique. DEUG et licence sont « fusionnés » pour constituer ensemble les six semestres de la « nouvelle licence », soit le premier cycle. Le deuxième cycle de quatre semestres a priori insécables résulte du rapprochement de la maîtrise et du DEA/DESS, avec une distinction entre « master recherche » et « master professionnel », vite dénommé « master pro », qui n’était pas sans renvoyer à celle entre DEA et DESS. Le troisième cycle est composé du seul doctorat.

S’agissant du deuxième cycle, on comprend bien que l’étiquette « master » avait été apposée sur deux diplômes distincts, qui se retrouvaient faire diplôme unique sans réelle remise en question. Dans ce paysage, les établissements avaient continué de pratiquer une sélection à l’entrée de la seconde année de master, comme cela se pratiquait à l’entrée du DEA ou du DESS.

Cette sélection, en plein milieu du diplôme, devenait vaguement ubuesque. Les inconvénients étaient légion, pour les étudiants placés dans l’incertitude de leur devenir au terme du M1 comme pour les équipes pédagogiques, qui ne pouvaient pas réellement proposer une progression cohérente de la spécialisation sur les quatre semestres menant au diplôme. Il convient en effet d’ajouter qu’avec le temps les maquettes des masters avaient traversé plusieurs campagnes d’habilitation et qu’elles avaient forcément évolué : nouveaux projets, nouvelles évaluations ; les équipes porteuses des diplômes de masters se heurtaient à l’incohérence de la construction. Ainsi allait la vie universitaire.

C’est un avis contentieux du Conseil d’État, en février dernier, certes bien tardif, qui porte le coup de grâce à cette architecture en trompe-l’œil. Le Conseil d’État avait été saisi d’une demande d’avis par un tribunal administratif confronté à un recours d’étudiant sur un refus d’inscription en master. Il a alors estimé que la sélection pratiquée était illégale, faute d’un décret listant les masters concernés, conformément à ce que la loi prévoyait.

Le Gouvernement a préparé en urgence le fameux décret. Le texte, pris en mai 2016, s’est retrouvé plaqué sur l’offre de formation pour tenter de sécuriser l’actuelle rentrée universitaire. Je dis « plaqué » sans que cela soit une critique du travail effectué : celui-ci était très compliqué à mener et le temps imparti très court. La nomenclature des masters n’est en effet pas unifiée. Ce travail est en cours. Nous constatons, au sein d’une même discipline, la coexistence de mentions de masters, dont certaines sont très générales et d’autres très spécialisées. C’est peu dire que la lisibilité n’est pas au rendez-vous.

Le décret de mai 2016 n’a pas apporté un apaisement juridique suffisant : la rentrée qui vient d’avoir lieu a été le théâtre de contentieux qui le démontrent. Il fallait donc très vite agir, pour sécuriser la rentrée de 2017. Le texte que j’avais déposé s’y attachait, avec un dispositif simple, non contraignant et transparent : d’une part, les universités choisissent, pour chacun des masters qu’elles offrent, le dispositif d’entrée, sélectif ou non ; d’autre part, les masters pour lesquels le dispositif de sélection demeurerait à l’entrée du M2, ce qui peut se justifier pour certaines filières, en particulier le droit et la psychologie, sont listés par décret – ces filières préparent à des concours ou à une certification professionnelle à bac+4, soit au niveau M1.

Dans le même temps, au terme d’une concertation engagée par le Gouvernement et qui ne fut pas – je crois pouvoir le dire – un long fleuve tranquille, un accord était trouvé au sein de la communauté universitaire pour accompagner cette sélection, admise, voire attendue par le plus grand nombre, grâce à l’introduction d’un dispositif destiné aux étudiants titulaires d’une licence non retenus dans un master sélectif et qui souhaiteraient néanmoins poursuivre leur formation. Ce sont les principes de ce dispositif qui ont été inscrits dans ma proposition de loi par voie d’amendement lors de l’examen du texte en commission, le mercredi 12 octobre.

J’ai accepté cet ajout, que je trouvais initialement contradictoire, sur lequel je conserve de vraies réserves, mais que je soutiens en définitive complètement, pour des raisons que je veux prendre ici le temps d’expliquer et dont je souhaite qu’elles retiennent favorablement l’attention de ceux de nos collègues qui ont des interrogations, déjà exprimées en commission.

La première raison est clairement pratique. Je l’ai dit, la rentrée de 2016 des masters a montré les fragilités juridiques du décret pris en urgence en mai ; il est finalement apparu indispensable de modifier préalablement la loi. Or une rentrée en master se prépare dès le printemps et s’accompagne très vite, en cas de mobilité géographique de l’étudiant, de questions matérielles, de logement notamment.

Mais, nous le savons bien, la session parlementaire sera suspendue le 27 février prochain. Il convient donc d’aller vite. Les étudiants et leur famille, pas plus que les responsables universitaires des masters, ne doivent être les otages du calendrier électoral.

La seconde raison me conduit à interroger la situation de nos universités, qui sont les principaux établissements porteurs de l’offre de masters, autant que celle de notre économie et des besoins de notre pays.

Après la grave crise économique dont nous peinons à voir l’issue, l’avenir et le redressement de la France passent par la jeunesse ; la question posée est celle du niveau de qualification qu’elle atteint lorsque, à l’issue de sa formation initiale, elle prépare son insertion professionnelle. C’est un défi qui doit être relevé ; cela suppose une élévation du niveau de qualification et de diplômation bien au-delà du seul baccalauréat. Tel est d’ailleurs l’un des objectifs de la StraNES, ou stratégie nationale de l’enseignement supérieur, dont nous avons débattu ici même au premier semestre. J’ai même dit à cette tribune que, si j’en partageais le postulat de départ et les finalités, j’avais quelques sérieux doutes sur la capacité à les atteindre au vu des moyens mis en œuvre. La voie que nous nous préparons à emprunter, via le texte qui vous est soumis, peut y aider, partiellement certes, mais réellement.

J’ajoute toutefois – cela est important pour notre débat – qu’il ne faut pas confondre élévation du niveau de qualification et surdiplômation. Des diplômés qui auraient étudié cinq ans après le baccalauréat et peineraient à accéder à un emploi utilisant leurs compétences vivraient un véritable déclassement professionnel. Ils en seraient légitimement frustrés, et ce serait pour nous, politiques, un échec cuisant, pour ne pas dire une faute.

C’est dans ce contexte économique et social que fonctionne notre modèle français de formation post-baccalauréat. Il repose sur une double logique.

La première est une logique sélective, plutôt omniprésente : accès par concours aux grandes écoles ; accès sur dossier en STS et, au sein même des universités, en IUT ; poursuite d’études après concours en formations de santé ; accès sur moyens financiers dans des établissements privés dont il se dit qu’ils sont de plus en plus recherchés.

La seconde logique est celle du libre accès, en licence générale après traitement des demandes via le portail d’admission post-bac, avec, pour quelques filières de quelques universités, des capacités d’accueil limitées.

Cette logique de libre accès conduit en licence un certain nombre de néobacheliers non retenus dans des voies sélectives, souvent non armés pour réussir. Les « plans licence » déployés par les établissements ne sont pas une remédiation suffisante. Les universités et leurs enseignants ne peuvent, en dépit d’efforts réels de leur part, « rattraper » des étudiants que leurs études au lycée n’ont pas tous armés pour des études en licence, avec un niveau d’abstraction et de conceptualisation auquel certains ne s’adaptent pas. J’ajouterai que la remédiation à ce niveau n’est pas le métier des enseignants-chercheurs.

Nous savons les taux d’échec, les réorientations sauvages, les étudiants qui ne viennent aux examens que pour émarger et conserver leurs bourses d’études ; nous en mesurons le coût humain d’abord, économique ensuite, pour les familles autant que pour l’État. Où que nous siégions dans cet hémicycle, nous avons échoué à proposer un dispositif d’orientation positive.

Bon an mal an, bon gré mal gré, des étudiants cheminent, parfois lentement, et obtiennent leur licence. Je vous rassure : il y a aussi d’excellents étudiants qui mènent à bien leurs trois années d’études, réussissant dès la première session tous leurs examens. Mais ils sont rares. La compensation entre semestres et entre unités d’enseignement, la capitalisation des matières, les deux sessions ou le poids du contrôle continu y contribuent, et les universitaires constatent que des étudiants obtiennent leur licence sans être toujours au point sur les fondamentaux de leur discipline.

Se pose alors la question de la suite : recherche d’emploi, complément dans une filière voisine et, naturellement, master.

On ne saurait donc affirmer, au terme de ces parcours, que tout étudiant désireux de s’inscrire en master en possède les prérequis suffisants. Or les masters placent leurs titulaires au niveau de sortie – bac+5 – des diplômés de grandes écoles et, dans certains champs disciplinaires, ceux-ci seront en concurrence pour des emplois d’encadrement de niveau supérieur et des postes à responsabilités. Il y va indirectement de l’image même de nos universités.

En outre, n’oublions pas que le master ouvre la porte du doctorat, troisième marche du système LMD, et qu’il convient de préparer les futurs thésards à la recherche. Là aussi, nos équipes de recherche, notre recherche dans son ensemble, ont besoin d’excellence. Sa jouvence est essentielle pour préparer nos futurs Nobel et médailles Fields – notre pays, cette année encore, peut s’enorgueillir de figurer au palmarès.

L’accès sélectif au master ou, au moins, à un certain nombre de masters est donc une condition nécessaire à la construction de l’avenir et à la qualité de notre recherche scientifique.

Mais que faire pour tous ceux qui ne seraient pas retenus au terme d’un processus sélectif ? Ils sont pour la plupart, sans doute, les « maillons faibles » du cursus universitaire, passés vaille que vaille d’une année à l’autre du parcours licence.

Dès lors que nous n’avons su ni construire avec eux, depuis le début même de leurs études au lycée, un parcours solide ni leur permettre de mieux s’orienter, nous avons à leur égard un devoir d’accompagnement. C’est cette conviction d’une responsabilité qui a finalement, malgré toutes mes réserves, guidé mon choix de soutenir l’amendement de notre collègue Dominique Gillot. Présenté en commission, il reprend la partie législative de l’accord trouvé au début de ce mois, au sein de la communauté universitaire, par ses représentants.

Il ne s’agit pas de créer un droit au master pour tous, comme le soutiendraient les tenants d’un raccourci forcément caricatural ; il s’agit de ne pas laisser sans soutien des diplômés, certes parvenus au niveau bac+3, mais dont les compétences sont fragiles. Faut-il les orienter vers un autre master que celui ou ceux qu’ils convoitaient ? Oui, mais sans bouleverser l’économie de masters « rares » qu’il convient de préserver ! Oui, mais sans laisser non plus se constituer dans nos universités des masters « refuges », car je refuse, mes chers collègues, d’utiliser le terme de « poubelles », particulièrement dégradant pour les étudiants, leur famille, leurs enseignants et l’université dans son ensemble ! Oui, mais sans oublier que le bénéfice de ce droit au master peut être différé dans le temps : la formation continue tout au long de la vie existe !

Il faut laisser aux établissements le soin de veiller à la mise en œuvre de ce droit ; c’est leur autonomie pédagogique qui est en jeu, et je sais aussi leur éthique de responsabilité à l’égard des étudiants. Les recteurs seront associés dans leur rôle traditionnel de chanceliers des universités.

Le texte que la commission a examiné et amendé s’efforce donc de concilier la légalisation du droit à la sélection avec l’obligation d’une réponse à ceux qui seraient sans solution.

S’agissant du premier point, la possibilité d’une sélection dès l’entrée en première année de master, sélection liée aux capacités d’accueil fixées par les établissements, est affirmée et l’entrée en master, le cas échéant, subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Vous noterez qu’il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une possibilité laissée à l’appréciation de chaque établissement pour chacun des masters qu’il propose.

Les modalités de la sélection sont elles aussi ouvertes. Mais le droit existe de manière incontestable. Les étudiants ayant réussi les épreuves sanctionnant les deux premiers semestres de leur master accèdent de droit à la seconde année.

La loi réserve la possibilité d’une sélection à l’entrée de la seconde année pour certaines disciplines. Je n’y reviens pas : ces disciplines sont connues.

S’agissant du second point, introduit par amendement en commission, la loi permettra que, sur demande d’un étudiant non admis en première année de master, il lui soit proposé une inscription dans une autre formation de deuxième cycle, sur la base de son projet professionnel et en fonction de l’établissement dans lequel il étudiait en licence. Les modalités d’exercice de ce nouveau droit seront fixées par voie réglementaire, en l’espèce un décret en Conseil d’État, pris après consultation du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles ne sauraient en effet relever du domaine de la loi.

J’appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la distinction nécessaire, dans la démarche en cours, entre ce qui relève de l’information sur l’offre de master, extrêmement légitime et même attendue, et ce qui relèverait d’une volonté de gérer les vœux des étudiants en lieu et place des établissements et des équipes pédagogiques de chaque master. Ce serait là un coin enfoncé de manière inacceptable dans l’autonomie universitaire. Nous aurons l’occasion d’examiner tout à l’heure un amendement de notre collègue Jean-Claude Carle sur l’inscription dans la loi d’un dispositif spécial d’information et d’orientation des étudiants. C’est l’une des missions de l’université, et j’y attache beaucoup d’importance.

J’ajoute que j’ai souhaité, au regard de la nouveauté de ce dispositif et des réserves qu’il fait naître non seulement chez votre rapporteur, mais également chez plusieurs de nos collègues, que figure dans la loi un engagement d’évaluation de son fonctionnement après la troisième rentrée sous ce régime, soit à la fin de 2019. Cette évaluation, confiée au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, autorité administrative indépendante, comme vous le savez, sera transmise au Parlement au plus tard le 1er mars 2020 ; elle portera sur l’impact mesurable de ce dispositif sur la qualité de l’offre de formation de deuxième cycle et sur la réalité de la sécurité juridique qu’il doit apporter.

Mes chers collègues, le dispositif que je vous propose d’adopter ce soir ne saurait être ni une fin ni le simple moyen de surmonter les difficultés que j’évoquais au début de mon propos. Il nous oblige. Et il nous oblige sur toutes les travées, eu égard à la responsabilité partagée que nous portons sur la situation actuelle ! Il nous oblige à réfléchir à ce qui se passe en amont du master et, plus encore qu’à réfléchir, à agir.

Notre collègue Guy-Dominique Kennel a remis en juin au Sénat son rapport d’information intitulé Une orientation réussie pour tous les élèves, témoignant de l’urgence d’en finir avec l’orientation par l’échec. Sachons ici nous en souvenir. Si nous voulons, à l’avenir, que des étudiants en licence cessent d’échouer aux portes du master ou qu’ils puissent plus facilement, avec leur licence, s’insérer dans la vie active et si nous voulons que le dispositif que je vous propose d’adopter ne soit qu’une transition nécessaire et devienne un jour inutile, car alors chacun aura su trouver la voie positive de son parcours personnel, nous devons modifier le modèle actuel des parcours, du lycée à la licence.

La sélection, selon le Larousse, est notamment l’action de choisir les personnes qui conviennent le mieux. C’est donc une démarche positive et constructive. Mais elle impose aussi, lorsqu’il s’agit de notre jeunesse, de nos enfants, qu’aucun d’eux ne soit laissé seul et sans espérance. C’est tout le sens de l’équilibre recherché par ce texte.

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