Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 30 juin 2009 à 22h00
Inceste sur les mineurs — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise doit être examinée avec prudence. Même si nous devons d’abord penser aux victimes de l’inceste, l’émotion ne doit pas prendre le pas sur la raison.

Certes, l’émotion est forte lorsque l’on pense aux victimes, aux témoignages bouleversants que certaines ont osé livrer, aux personnes qui, toute leur vie, ont été hantées par l’inceste. Que l’on songe aux chansons de Barbara ! M’exprimant en présence d’un spécialiste de son œuvre, notre collègue Jean-Pierre Sueur, j’avancerai avec prudence. Je crois cependant pouvoir l’affirmer : il aura fallu attendre que Barbara publie ses mémoires et ose dire ce qu’elle avait vécu pour que, finalement, nous puissions comprendre tout le sens d’Au cœur de la nuit, de L’Aigle noir, ou encore de Nantes, où elle raconte comment, appelée au chevet de son père mourant, de ce père qu’elle n’avait jamais plus revu, elle était arrivée trop tard pour le retrouver avant « l’heure de sa dernière heure ».

Oui, l’inceste provoque des traumatismes aux conséquences graves et indélébiles, tout au long de la vie, non seulement sur la santé physique, psychologique et mentale, mais aussi sur la vie affective, familiale et sociale des victimes, sur leur comportement. Il s’agit là d’un véritable meurtre psychique.

L’inceste touche à l’inavouable. L’interdit est universel, le tabou structure pratiquement toutes nos sociétés, quelles qu’elles soient, sauf peut-être quelques sphères très élevées de sociétés très anciennes, comme ce fut le cas en Égypte. Claude Lévi-Strauss y voit même le fondement des sociétés au sens où le tabou de l’inceste oblige à sortir du premier cercle pour constituer la société et contraint ainsi à élargir le cercle social. Freud, on le sait, a bâti toute sa théorie sur l’inceste entre Œdipe et sa mère. Je suppose cependant que tous deux étaient majeurs …

La demande des victimes est que l’inceste soit nommé afin qu’il soit mieux stigmatisé et qu’elles puissent ainsi, pensent-elles, mieux accomplir le travail psychologique indispensable pour se reconstruire, pour retrouver leur véritable personnalité, alors qu’elles ont été agressées au sein même de la cellule familiale censée les protéger. Pour autant, est-ce vraiment l’objet d’une loi que de compléter le travail des psychiatres et des psychologues ?

Si cette proposition de loi est votée, le ministère de la justice disposera demain de statistiques sur le nombre de condamnations pour inceste ; sur le fond, son adoption ne changera vraisemblablement rien.

La raison nous commande d’examiner sérieusement ce texte sur le plan juridique. Certes, aujourd'hui, l’inceste ne figure pas comme incrimination spécifique dans le code pénal, mais la notion apparaît dans le code civil, à travers toutes les prohibitions au mariage, au PACS et – ce fut un apport du Sénat – au concubinage, et correspond bien au tabou universel de l’inceste entre les membres d’une même famille, quel que soit leur âge. Or, avec la proposition de loi, on arrivera à ce que deux définitions de l’inceste, totalement différentes, soient inscrites l’une dans le code civil, l’autre dans le code pénal. De mon point de vue, c’est une très mauvaise chose.

La prohibition des relations sexuelles entre les membres d’une même famille, quel que soit leur âge, tel est le tabou de l’inceste. C’est Phèdre et Hippolyte, c’est Œdipe et Jocaste…

La question avait été évoquée lors de l’élaboration du nouveau code pénal. Finalement – je parle sous le contrôle de notre cher président de la commission des lois –, il n’a pas été jugé opportun d’incriminer l’inceste, et on a laissé à la jurisprudence, aux magistrats, le soin de déterminer, sur le fondement de circonstances aggravantes, les actes d’inceste avérés et de les condamner – heureusement, très sévèrement ! – au cas par cas.

Toutefois, comme l’a souligné tout à l'heure M. le rapporteur – et j’ai pu moi aussi l’observer en tant que magistrat –, dans bien des cas, aucun élément matériel ne peut conforter la thèse de l’inceste, car aucune constatation médico-légale ne peut être faite, surtout lorsque l’inceste est révélé par des victimes majeures. Ces actes sont par conséquent très difficiles à juger.

Cette position de prudence se retrouve chez toutes les associations de défense des enfants ainsi que dans les rapports de Mme Claire Brisset et le propos de Mme Dominique Versini, ancienne et nouvelle défenseures des enfants.

Bien entendu, par respect pour les victimes, quand on comprend ce qu’elles recherchent, on n’ose finalement pas dire que l’on est contre, mais on le laisse entendre...

Quand on interroge les magistrats, comme je l’ai fait, on constate qu’ils sont extrêmement réticents, notamment ceux qui président des cours d’assises, quant à l’introduction de précisions qui risquent finalement de semer la confusion.

Il sera précisé, nous dit-on, que l’inceste a été commis sur mineurs. Mais de quels mineurs s’agit-il ? Ceux de dix-huit ans ? Ceux de quinze ans ? Nous avons cru comprendre qu’il s’agissait des mineurs de dix-huit ans et que la minorité de quinze ans serait une circonstance aggravante supplémentaire – ce qu’elle est déjà aujourd’hui.

La notion d’inceste est beaucoup large que celle que l’on veut inscrire aujourd’hui dans le code pénal par le biais de cette incrimination nouvelle.

Je remercie le rapporteur, qui a fait un travail très précis en commission des lois...

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