Merci, chers collègues, d'être venus si nombreux à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, sur le fichier « titres électroniques sécurisés » (TES). Merci, monsieur le ministre, d'avoir accepté notre invitation. Je vous ai saisi dès le 18 octobre pour exprimer la préoccupation de la commission des lois sur le décret dont nous allons débattre, soit deux semaines avant sa publication.
Le Sénat s'est préoccupé dès 2005 de la sécurisation des titres d'identité. À cette époque avait été lancé le projet « identité nationale électronique sécurisée » (INES). Une mission avait été confiée au sénateur Jean-René Lecerf, donnant lieu à la publication d'un rapport, la même année, émettant des propositions sur la sécurisation des titres d'identité.
Le point de départ de cette démarche était la propagation des identités fictives ; des usurpations d'identité, dont les victimes sont bien malheureuses puisque plongées, avec leur famille, dans une grande précarité ; des échanges d'identité ; des utilisations d'identité de personnes décédées. Le nombre de titres usurpés avait été évalué à 200 000. Ce phénomène, ni anecdotique ni accessoire, doit être traité par les pouvoirs publics.
MM. Jean-René Lecerf et Michel Houel ont déposé une proposition de loi débattue en 2011 et 2012, dont le rapporteur était M. François Pillet. L'Assemblée nationale et le Sénat se sont entendus sur un texte en commission mixte paritaire, puis - fait inhabituel - le Gouvernement a demandé à l'Assemblée nationale de débattre en premier sur les conclusions de la CMP, en y ajoutant un amendement élargissant les possibilités d'accès au fichier à d'autres finalités que la sécurisation des titres d'identité. Le Sénat a donc rejeté les conclusions de la CMP sur un texte qu'il avait pourtant élaboré lui-même. Le Conseil constitutionnel, saisi, a donné raison au Sénat en le déclarant non conforme à la Constitution.
Il a fallu attendre quatre ans pour que la question soit à nouveau abordée par le Gouvernement. Si l'on reconnaît qu'il en a eu le courage, on déplore que le sujet soit demeuré inerte pendant plusieurs années. Un décret est donc paru. On comprend, sur un sujet aussi sensible, que le Gouvernement se soit donné le temps de la réflexion quant à la méthode. On comprend moins, en revanche, que la parution du décret n'ait pas été précédée d'un débat.
Désormais, le Sénat doit s'assurer de la nécessité du fichier créé, vérifier que ses finalités sont bien restreintes pour respecter la décision du Conseil constitutionnel et la loi de 1978 sur l'informatique et les libertés, s'assurer que la configuration technique déterminée par le décret ne soit pas déformable par le Gouvernement, qu'elle est sûre vis-à-vis des atteintes qui pourraient lui être portées, notamment que la recherche de l'identité d'une personne par ses empreintes digitales ou sa photographie n'est pas possible.
Afin de nous assurer de la pertinence du dispositif technique, nous entendrons aujourd'hui la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ainsi que le président du Conseil national du numérique, puis, prochainement, le directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et les représentants des autres instances collaborant avec le Gouvernement contre les dérives d'un tel fichier.
Enfin, le Gouvernement vient d'annoncer qu'il allait réviser son décret afin d'autoriser chaque Français demandeur d'un titre d'identité à refuser que ses empreintes et sa photographie soient saisies dans le fichier. Monsieur le ministre, vous semblez renoncer à l'apport principal de cette base contre l'usurpation de titres. Si le fichier est perforé, il ne sera pas fiable et vous ne pourrez pas réaliser vos objectifs légitimes. À quoi sert de mettre en place un fichier qui ne présente pas toutes les caractéristiques nécessaires à l'accomplissement de sa mission ?