Vous connaissez bien la situation de l'agriculture française. Dans la filière laitière, le prix des 1 000 litres est passé de 361 euros en 2014 à 307 euros en 2015, puis 280 euros au troisième trimestre 2016. Nous notons toutefois une légère reprise depuis quelques semaines. Vous connaissez aussi l'évolution de la filière porcine. Quant à celle des palmipèdes gras, elle a dû faire face au vide sanitaire mis en place. Les grandes cultures ont souffert d'un été très pluvieux, et d'un niveau préoccupant des cours mondiaux, surtout pour les céréales.
C'est dans ce contexte assez déprimé que nous allons aborder l'année 2017. Il faudra donc passer la vitesse supérieure en matière de gestion des risques économiques dans les exploitations agricoles, qu'il faudra moderniser tout en compensant les handicaps naturels.
La gestion des risques en agriculture est décisive pour faire face aux aléas climatiques. Or elle est un peu le parent pauvre du budget 2017.
Au niveau individuel, la déduction pour aléas (DPA) est aujourd'hui le seul instrument d'encouragement à l'épargne de précaution. Or elle ne décolle pas. Les derniers chiffrages des chambres d'agriculture indiquent que la DPA représentait 19 millions d'euros pour 6 900 bénéficiaires en 2015 contre 39 millions d'euros pour 11 400 bénéficiaires en 2014. Le budget 2017 reconduit la DPA à l'identique, mais il faut s'interroger sur sa faible attractivité. Dans la proposition de loi sur la compétitivité de l'agriculture, nous proposions de la simplifier et d'augmenter les plafonds.
Au niveau collectif, le développement de l'assurance multirisque climatique - ou assurance-récolte selon son ancienne dénomination - que l'on avait observé entre 2010 et 2013 s'est arrêté net. Le taux de couverture a même régressé depuis 2013 en grandes cultures. En 2016, cette baisse semble enrayée, mais la couverture assurantielle est encore très partielle : 26 % des surfaces en grandes cultures et 22,9 % en viticulture, 12,5 % en maraîchage et 2,6 % en arboriculture. Rien n'est fait au niveau budgétaire pour encourager l'assurance : une enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour subventionner la souscription des contrats d'assurance par les agriculteurs en 2017. Mais depuis 2016, cette enveloppe est intégralement prise sur des crédits européens et il n'y a plus de cofinancement national. Or les besoins ont été estimés en 2016 à 106 millions d'euros et devraient progresser, notamment sous l'effet des hausses de primes de 5 à 10 % du fait de la sinistralité élevée en 2016. On risque donc de manquer de fonds et de devoir minorer le taux de subvention en dessous de 65 % - ce qui serait une catastrophe - pour tenir dans l'enveloppe.
L'incertitude pour les agriculteurs sur le niveau réel de prime versée, combinée au caractère tardif du versement de la subvention, constituent des freins réels à la souscription d'assurances. La souscription des contrats est faite à un moment où les indications budgétaires de compensation ne sont pas connues. Enfin, l'exigence d'un sinistre avec 30 % de pertes pour faire jouer l'assurance, avec une franchise de 30 %, rend l'assurance peu attractive.
Le contrat-socle a été mis en place l'année dernière pour permettre aux agriculteurs de moduler leurs niveaux de couverture, avec des niveaux d'aide qui évoluent en fonction de la couverture choisie. Les assureurs proposent des produits encore plus élaborés pour couvrir les risques de rendement et les risques de prix. Si la dynamique de souscriptions d'assurances multirisques climatiques reprenait en 2017, ce que nous souhaitons, il faudrait dégager de nouveau des crédits nationaux pour y faire face. Le fait qu'ils ne soient pas prévus au budget est le signe d'un relatif désintérêt pour l'assurance qui est tout à fait regrettable.
Une autre inquiétude concerne l'alimentation du Fonds de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE). Celui-ci doit faire face à des dépenses importantes liées à différents phénomènes. Or, avec l'assèchement de l'enveloppe européenne sur les assurances, le FMSE pourrait se retrouver sans soutiens publics.
Enfin, l'instrument ultime de gestion des risques est le fonds des calamités agricoles. Comme les années précédentes, le budget 2017 ne prévoit pas de dotation pour les calamités agricoles, des crédits devant être ouverts en cours d'année en cas d'événements climatiques rendant son intervention nécessaire. Si les années 2013 et 2014 ont nécessité peu d'indemnisations au titre des calamités, l'année 2015 a été gourmande en crédits : 180 millions d'euros ont été nécessaires pour faire face à la sécheresse. Pour 2016, les indemnisations devraient aussi être élevées.
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la pertinence des deux décisions prises l'année dernière. D'abord, la division par deux du taux de la taxe additionnelle sur les contrats d'assurance souscrits par les agriculteurs conduit à réduire les ressources du régime des calamités agricoles de 120 à 60 millions d'euros. Ensuite, la ponction des 255 millions d'euros de réserves du Fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA) a totalement asséché les ressources du fonds et oblige à ouvrir sans cesse des crédits nouveaux en cas de calamité. La politique de gestion des risques du Gouvernement me paraît donc à la fois peu prudente et très peu ambitieuse. Si l'on veut développer l'assurance, il faudra que les moyens suivent.
Concernant la modernisation des exploitations et le soutien à l'investissement, indispensable pour améliorer la compétitivité et la performance des exploitations, le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), lancé en 2015, voit ses crédits pour 2017 maintenus quasiment à la même hauteur que dans le budget 2016, soit 84,5 millions d'euros. Cette enveloppe est complétée par des crédits européens, mais aussi des crédits des régions dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, ou encore des Agences de l'eau ou de l'ADEME. Au final, le Gouvernement indique que le PCAE permet de mobiliser 350 millions d'euros de subventions annuelles, permettant de financer 1 milliard d'euros d'investissements, dans l'attente des futurs dispositifs régionaux.
Le PCAE est donc censé jouer un rôle de levier pour le développement de l'investissement en agriculture. Encore faut-il que les versements suivent. Or nous observons des retards importants. Des retards de paiement par l'ASP ont été aussi constatés sur les avances de trésorerie remboursables (ATR) que les agriculteurs devaient recevoir au titre des aides PAC du premier pilier en octobre. La solution n'est donc pas optimale.
Une dotation supplémentaire de 11 millions d'euros est attribuée pour 2017 afin de résoudre toutes ces difficultés, qui ont pénalisé les agriculteurs en cette année si difficile pour leur trésorerie. Au-delà des lignes budgétaires, j'insiste sur la nécessité de tout mettre en oeuvre dans les services de l'État et les établissements publics rattachés pour ne pas freiner la dynamique d'investissement.
L'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) vise à maintenir l'activité agricole dans les zones défavorisées : montagne, piémont et zones défavorisées simples. Le budget 2017 voit son enveloppe augmenter encore de 3 %, passant de 256 à 264 millions d'euros. Il s'agit d'appliquer l'engagement pris fin 2013 de revaloriser de 15 % l'aide entre 2014 et 2017. Par ailleurs, l'ancienne prime herbagère agro-environnementale (PHAE) a été supprimée pour être intégrée à l'ICHN. L'ICHN a été également ouverte à de nouveaux bénéficiaires : les éleveurs laitiers en zones défavorisées simples et zones de piémont et les éleveurs de porcs de montagne.
En tenant compte des crédits européens du deuxième pilier, l'ICHN atteint plus d'1 milliard d'euros. C'est donc une aide tout à fait essentielle, qui concerne près de 100 000 exploitations.
Mais l'inquiétude monte avec le projet de nouvelle carte des zones défavorisées simples (ZDS). Cette nouvelle carte ne concerne pas les zones de montagne, mais uniquement les zones défavorisées simples. La réglementation communautaire exige en effet que la carte de cette dernière catégorie soit définie en fonction de critères objectifs : pente, basses températures, sécheresse, excès d'eau, profondeurs des sols, etc... Or l'application stricte de ces critères conduit à écarter du bénéfice de l'ICHN de très nombreuses exploitations. Le projet de carte des zones soumises à contraintes naturelles appliquant strictement les critères a été publié début septembre et on en voit très concrètement les effets sur nos territoires : des départements entiers ne bénéficieront plus de l'ICHN.
Certes, à l'échelle nationale, on dispose de marges de manoeuvre pour définir des zones soumises à des contraintes spécifiques qui, s'ajoutant à la liste des communes classées en ZSCN, pourront continuer à bénéficier de l'ICHN. Mais ces zones ne doivent pas représenter plus de 10 % du territoire national. Cela fait tout de même 5 millions d'hectares. Cette souplesse sera-t-elle suffisante pour rattraper toutes les zones défavorisées qui seraient rayées de la carte ? L'inquiétude des professionnels est forte.
La nouvelle carte doit être présentée au plus tard au 1er avril 2018, ce qui fera de 2017 une année de discussions et de choix. J'en appelle à la plus grande vigilance du Sénat dans l'application de cette réforme, qui peut avoir des effets massifs dans certaines communes : les exploitations pourraient perdre plusieurs milliers d'euros en sortant du bénéfice de l'ICHN. Nous attendons des précisions.
Pour conclure, j'émets le même avis défavorable sur l'adoption des crédits de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale.