Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la menace maximale, constante et durable qui pèse sur notre pays mobilise nos forces de sécurité de façon éprouvante. Les actes terroristes survenus sur notre territoire depuis plus de deux ans ont tous révélé la nécessité de donner à nos forces de sécurité tous les moyens utiles dans le domaine du renseignement, pour pouvoir prévenir dans le domaine de la lutte opérationnelle, pour pouvoir neutraliser, sans oublier une réponse pénale précise et ferme pour punir et empêcher que l’horreur ne se réitère.
Monsieur le ministre, vous le savez, le Sénat n’a jamais failli, comme l’a rappelé le président du Sénat à l’occasion de ses vœux la semaine dernière. Nous avons pris toute notre part de responsabilité dans le combat contre ce fléau en donnant aux forces de sécurité et à la justice des moyens pour une plus grande efficacité.
Le groupe auquel j’appartiens aurait souhaité aller plus loin et plus vite. Le Gouvernement nous a entendus pour partie, mais bien tardivement. Je pense à la création de deux nouveaux délits terroristes – le délit d’entrave au blocage des sites incitant à la commission d’actes de terrorisme et celui de consultation habituelle de tels sites – ou bien à la création d’un régime procédural spécifique permettant d’empêcher l’accès des personnes condamnées pour terrorisme à la libération conditionnelle, que nous avions proposée dès février 2016 à travers la proposition de loi du président Bas et que le Sénat avait adoptée, sans votre consentement, cependant que vous en actiez en définitive la nécessité en juin dernier.
Hors de toute polémique sur la méthode employée par le Gouvernement, notre conscience républicaine nous implique et nous impose de poursuivre nos efforts collectifs, sans faiblesse, pour plus d’efficacité.
Si nous avons accepté d’apporter des réponses immédiates, à la suite des tragiques événements passés, nous n’avons cessé de vous rappeler la nécessité de renforcer les moyens donnés aux personnes dépositaires de l’autorité publique. En effet, l’autorité de l’État, nécessaire pour protéger les Français, passe par ces personnes dévouées, au service de l’État et, surtout, de tous les Français.
Il est urgent, monsieur le ministre, de rétablir cette autorité. Nous ne pouvons nous contenter de communiqués de presse, comme celui de la semaine dernière, annonçant tout bonnement que, « depuis 2012, nous observons une tendance globale à la baisse des principaux indicateurs statistiques de délinquance », ou qu’il n’y aurait plus de « zone de non-droit ».
Comment expliquer que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales relève que, pour l’année 2016, la violence sur notre territoire est en hausse de 4 % ? Il faut dire les choses telles qu’elles sont.
Nous devons aux Français un discours de vérité, celle que nous connaissons tous, celle que les représentants de l’autorité publique constatent dans leur activité quotidienne, celle que les Français veulent connaître. Oui, la violence augmente ! Oui, l’autorité publique, singulièrement celle de l’État, est affaiblie, pour ne pas dire contestée, parfois ! Oui, la délinquance gangrène les rapports sociaux, faute de sanctions effectives !
Nous avons donc besoin de l’ensemble des forces vives de ce pays, qui doivent s’engager dans la voie de la coopération, à tous les niveaux de la chaîne, depuis le renseignement, la surveillance, l’interpellation, la neutralisation, jusqu’à la sanction pénale, qui doit être certaine et effective.
Sans remettre en cause la compétence des agents, qui effectuent un travail minutieux et opérant, il est utile de donner la possibilité aux services spécialisés, notamment aux services de renseignement, d’échanger avec l’autorité judiciaire lorsque les procédures concernent les infractions terroristes.
Nous allons mieux armer, dans ce texte, la police nationale et les polices municipales, alors que, depuis cinq ans, la justice pénale a parfois été désarmée. La délinquance ne peut être maîtrisée en l’absence de sanction, de vision globale et de confiance dans le terrain.
Voilà quel a été le cri des policiers à l’automne dernier ! Leur action volontariste n’a souvent pas été suivie d’effets, l’impunité révélant un manque d’autorité de l’État.
La profession policière est par définition à risques, mais ces agents ne se sont pas engagés dans la police pour devenir des cibles, à l’image de ces hommes enfermés dans leur voiture en feu et ne pouvant se défendre. Il faut en effet que la peur change de camp !
Tous les policiers vous le diront : saisir sa crosse de pistolet, c’est le début d’un très long marathon administratif, procédural et parfois judiciaire. Pour certains, c’est même le début des ennuis.
Le texte que la commission des lois nous propose d’adopter est pertinent à plusieurs titres, notamment parce qu’il répond à cette exigence nouvelle d’implication généralisée des forces vives de notre pays.
Ce texte répond à une demande des personnels opérationnels qui, aux termes de la rédaction initiale du texte proposé par le Gouvernement, craignaient de ne pas être suffisamment sécurisés juridiquement pour agir : le cadre proposé est plus lisible et répond aux exigences d’absolue nécessité et de proportionnalité, auxquelles nous sommes tous fermement attachés.
Au regard de la place fondamentale que la police municipale occupe dans la sécurité de nos concitoyens, comme l’avaient, dès 2012, relevé nos collègues François Pillet et René Vandierendonck dans un rapport d’information, la commission des lois a élargi le bénéfice d’une partie des dispositions relatives à l’usage des armes aux policiers municipaux autorisés à porter une arme.
La question de l’armement n’est pas nouvelle pour la sécurité privée, mais les différents secteurs sont soumis à des régimes très divers. Certes, les principes constitutionnels s’opposent à ce que l’exercice d’une activité privée de sécurité empiète sur les prérogatives de puissance publique. Pourtant, le juge constitutionnel n’a jamais invalidé les règles qui assurent le contrôle et la solidité de la profession. C’est pourquoi permettre l’armement des agents privés de protection rapprochée uniquement dans les cas où il est rendu strictement nécessaire pour assurer la protection d’une personne exposée à des risques exceptionnels d’atteinte à sa vie est une mesure d’efficacité. La sécurité privée est en pleine mutation.
N’oublions pas que tous ces secteurs de la sécurité publique sont composés d’hommes et de femmes qui agissent avec professionnalisme au service de leurs concitoyens. Nous devons naturellement les accompagner. Là est sans doute un peu le point faible de ce texte, qui ne prévoit pas d’actions de formation supplémentaires.
Avant de conclure, je dirai un mot du « spectre des revenants ». Un grand quotidien a titré la semaine dernière en employant cette expression. Puis, les magistrats du pôle antiterroriste du parquet de Paris, auxquels je tiens à rendre un hommage particulier, n’ont cessé de la répéter.
Ce spectre n’est pas qu’un mirage lointain. Cela fait des mois que la majorité sénatoriale milite pour que ces hommes et ces femmes qui sont partis combattre les symboles de la liberté soient pris en charge à leur retour en France, afin que leur présence sur notre territoire ne soit pas une menace pour la République. L’UCLAT, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, évalue à 700 le nombre de Français sur zone irako-syrienne et à 1 000 le nombre de velléitaires candidats au départ, qui risquent d’alimenter un terrorisme endogène.
Si les frontières sont aujourd’hui de plus en plus difficiles à franchir et les départs sur zone moins nombreux, une question reste très préoccupante : celle de ces mineurs que le procureur Molins assimile à de « véritables bombes à retardement ». Le présent texte ne répond que partiellement à cette problématique. Ne faudrait-il pas envisager, en complément de la prise en charge par la protection de l’enfance, une prise en charge psychiatrique de ces enfants qui n’auront bien souvent connu qu’une conception de société glorifiant la haine et des valeurs que nous bannissons ?
Enfin, pour ce qui concerne les vétérans du djihad, la difficulté de l’ensemble de la chaîne de sécurité et pénale réside dans l’évaluation du risque que représentent, désormais, les individus suivis. Il est donc judicieux de prévoir que les mesures de contrôle administratif des personnes revenant des théâtres d’opérations de groupements terroristes ne puissent être levées à l’occasion d’une poursuite judiciaire pour un autre motif que le terrorisme.
Mes chers collègues, grâce au travail précis, pertinent mené par notre collègue François Grosdidier et à son écoute, le Sénat va adopter un texte répondant pour partie à l’épreuve humaine et physique subie quotidiennement par nos forces de sécurité intérieure. Les élus du groupe Les Républicains, auquel j’appartiens, le voteront avec confiance. Toutefois, nous ne cesserons de l’affirmer : la lutte contre le terrorisme, comme la lutte contre la délinquance classique, ne peut s’entendre que dans une politique de sécurité liée à une politique pénale ferme.