Intervention de Jean-Jacques Panunzi

Réunion du 26 janvier 2017 à 15h00
Ratification d'ordonnances relatives à la corse — Rejet en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Jacques PanunziJean-Jacques Panunzi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances relatives à l’instauration d’une collectivité unique en Corse. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, il s’agit bien de la déclinaison de l’article 30 de la loi NOTRe. C’est dire, monsieur le ministre, que le débat repose non pas sur le principe de la collectivité unique, mais sur les modalités de son instauration.

Mes chers collègues, que ce fût en 1982, en 1991 ou en 2002, les évolutions statutaires propres à la Corse ont été menées dans le cadre d’un projet de loi spécifiquement dédié. Celui de 2003 a même pu bénéficier d’une consultation référendaire, dont l’issue négative a repoussé la mise en œuvre de la loi pourtant validée par le Parlement. Cette issue négative s’expliquait principalement par la rupture du lien de proximité provoquée par la disparition des conseillers généraux et par le choix d’un mode de scrutin qui ne permettait de pérenniser ni ce lien ni l’incarnation, à la fois de représentation et opérationnelle, des différents territoires.

Or le principe de la réforme devait permettre la mise en place d’une organisation simple et d’un fonctionnement facile à assimiler par tous. Outre qu’elle devait assurer un partage clair des responsabilités, elle devait également renforcer le lien entre les différents niveaux de l’organisation territoriale et permettre le maintien de l’indispensable proximité entre la population et ses élus.

A contrario, cette fois-ci, c’est par un amendement à la loi NOTRe qu’a été actée la mise en place d’une collectivité unique en lieu et place des trois institutions actuelles : la collectivité territoriale de Corse, région à statut particulier, et les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, collectivités de droit commun.

L’amendement de principe dans la loi NOTRe, devenu article de la loi promulguée, se contente de substituer une entité nouvelle aux trois collectivités. Cela explique le renvoi à des ordonnances pour procéder au travail fastidieux de réécriture des codes en vue d’y remplacer les références aux trois collectivités par celles de la collectivité de Corse, sans que les sujets essentiels des compétences, des moyens et des équilibres politiques, comme territoriaux, soient débattus. Les ordonnances traduisent tout simplement un travail d’empilement.

Lors de la session du 6 septembre 2016, 20 élus sur les 51 que compte l’Assemblée de Corse ont voté contre les ordonnances relatives à la collectivité unique. Parmi les 31 membres ayant voté pour, 24 d’entre eux sont nationalistes et 7 sont des radicaux de gauche. Sur les 20 membres ayant voté contre, et ce, malgré le fait que tous sont favorables à la collectivité unique sur le principe, 11 sont des élus de droite, 2 ont l’étiquette « divers gauche », 3 sont communistes et 4 appartiennent au Front national. Leur opposition au projet du Gouvernement repose, de mon point de vue, sur deux raisons principales.

Première raison, l’absence d’équilibre des pouvoirs et des territoires au sein de la nouvelle collectivité unique. Aucune discussion n’a eu lieu sur le mode de scrutin ni sur la représentation des territoires, alors que c’est, on le sait, ce qui a manqué en 2003. Ce n’est pas avec une prétendue « chambre des territoires » dotée d’un rôle accessoire que l’on atteindra cet objectif ! Et l’on n’y parviendra pas davantage en changeant simplement la dénomination première de cet organe, appelé dans le premier projet « conférence de coordination des collectivités territoriales » ! On crée un président de plus dans la galaxie des présidents. On accorde une satisfaction fictive à la ville de Bastia – il fallait contenter les nordistes ! –, mais on crée surtout la confusion et de la complexité, et on aggrave les charges financières supportées par les contribuables.

Vous rendez-vous compte, mes chers amis, mes chers collègues, des risques liés à la concentration des pouvoirs en une seule main ?

Je reprendrai la formule de mon collègue et ami Dominique Bucchini, élu communiste, qui a présidé l’Assemblée de Corse entre 2010 et 2015. Lors de la session de décembre 2014, il avait alerté la représentation insulaire sur le fait que le président de l’exécutif à la tête de la future collectivité unique serait « le roi de Corse ». Il n’avait pas tout à fait tort, car, dans toute organisation démocratique, il faut des poids et des contrepoids.

Montesquieu a théorisé avant nous la nécessité de l’équilibre des pouvoirs. Selon lui, « la concentration des pouvoirs en politique est aussi perverse que l’abus de position dominante dans le monde des affaires ».

Une loi propre à la Corse aurait permis d’établir des champs de compétences précis, notamment celles que la collectivité de Corse pourrait partager avec les intercommunalités, lesquelles, de par la disparition des conseils généraux, sont appelées à assumer des compétences de proximité. Le choix de recourir aux ordonnances ne permet pas de procéder à cette réorganisation équilibrée des pouvoirs et nécessite impérativement le recours à la loi.

Seconde raison, l’inexistence de tout accompagnement économique, financier et fiscal, pourtant indispensable à la réussite de la collectivité unique et au développement de la Corse. Bien au contraire, le risque est de voir s’aggraver la pression fiscale territoriale.

Pour exemple, au moment où je vous parle, le budget de la nouvelle collectivité s’élèvera à environ 1 100 millions d'euros, avec un encours de la dette de 850 millions d'euros, sans compter les dettes accumulées dans les différents offices, qui s’élèvent à plusieurs millions d’euros pour celles qui sont connues. Vous le comprendrez bien, mes chers collègues, le remboursement des intérêts impactera fortement l’épargne brute de la future collectivité. Cette situation aura pour conséquence une diminution très nette de la capacité d’autofinancement et du niveau d’investissement. D’ailleurs, dans son rapport, le comité stratégique précise que le niveau des ressources propres de la collectivité de Corse ne suffira pas à assurer son autonomie financière.

Au moment où les fonds européens se raréfient, où le programme exceptionnel d’investissement s’achève, où les dotations de l’État s’amenuisent, la Corse a un besoin vital de ce soutien pour poursuivre sa modernisation et le rattrapage du retard historique de nos équipements collectifs. Quid de la prime à la bonne gestion d’une collectivité à l’autre ? De loin, depuis maintenant plus de dix ans, le département de la Corse-du-Sud, par opposition à la collectivité territoriale de Corse et au département de la Haute-Corse, affiche un niveau d’investissement routier de plus de 55 millions d'euros par an, avec un très faible recours à l’emprunt.

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