Intervention de Jean-Jacques Hyest

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 mars 2015 à 15h05
Justice et affaires intérieures — Parquet européen - communication de mm. philippe bonnecarrère et jean-jacques hyest

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

La notion de Parquet européen est ancienne puisqu'elle a été suggérée par le Président Valéry Giscard d'Estaing dès 1977. C'est en 2000, plus de 20 ans plus tard, lors de la dernière conférence intergouvernementale de Nice, que l'idée fut relancée de conférer la protection des intérêts financiers de la Communauté économique européenne à un procureur européen indépendant.

Entre-temps, le principe d'une coopération judiciaire dans l'Union européenne était consacré en 1992 par le traité de Maastricht en matière pénale et confirmé par le traité d'Amsterdam en 1997.

Mais la relance des années 2000 donna, tout d'abord, naissance à EUROJUST, instance de coopération judiciaire créée en 2002, puis renforcée en 2008 par une décision du Conseil sous présidence française.

C'est le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qui a introduit, dans le nouveau traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), un article 86 dont les dispositions du premier alinéa énoncent : « Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un parquet européen à partir d'EUROJUST. Toutefois, le Conseil européen pourrait décider d'étendre les attributions du parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. À cette fin, il devrait statuer à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission. »

Le 17 janvier 2013, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen. La structure proposée consistait en une organisation unique à deux niveaux : une unité centrale, qui serait essentiellement chargée de superviser, de coordonner et, le cas échéant, de diriger les enquêtes et les poursuites menées dans les États membres, et les procureurs européens délégués, qui mèneraient ces enquêtes et poursuites de manière autonome. Ces procureurs européens délégués feraient partie à la fois du Parquet européen et des ministères publics nationaux. Le Parquet européen pourrait s'appuyer sur les règles de procédure nationale, les juridictions nationales et les services nationaux chargés de la répression tout en poursuivant l'objectif européen commun de lutte contre la fraude au préjudice du budget de l'Union.

Les différentes chambres des parlements nationaux se sont fortement mobilisées sur l'examen de cette proposition en adoptant notamment de nombreuses résolutions.

La discussion s'est articulée initialement autour de trois débats principaux :

- un débat sur la structure du Parquet européen ;

- un débat sur l'extension de la compétence du Parquet européen ;

- un débat sur la compétence partagée du Parquet européen avec celle des autorités judiciaires des États membres.

Pour sa part, le Sénat a accueilli favorablement la démarche de la Commission dans son principe. Dans une première résolution du 15 janvier 2013, adoptée à l'initiative de notre commission, il a soutenu la création d'un Parquet européen en jugeant possible de procéder par étapes en commençant par la protection des intérêts financiers de l'Union, tout en souhaitant une extension rapide des compétences du Parquet à la criminalité grave transfrontière.

Le Sénat a, cependant, exprimé des réserves par rapport à une formule trop intégrée dont on pouvait craindre qu'elle peine à s'imposer dans la pratique face aux réticences prévisibles des États membres.

Il s'est montré plutôt favorable à un Parquet européen de forme collégiale, désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre. Cette formule souple était apparue comme plus adaptée pour que le Parquet européen puisse progressivement s'ancrer dans les États membres et être accepté par les systèmes judiciaires nationaux.

Dans sa seconde résolution européenne portant avis motivé du 3 octobre 2013 le Sénat, à notre initiative, a jugé qu'en faisant un choix centralisateur et directif, la Commission européenne était allée au-delà du nécessaire pour atteindre l'objectif d'un meilleur pilotage et d'une coordination renforcée. Il a ainsi estimé que la proposition ne respectait pas en l'état le principe de subsidiarité.

On sait que conformément au protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé aux traités, les parlements nationaux disposent d'un délai de huit semaines à compter de la date de transmission d'un projet d'acte législatif pour estimer si celui-ci est ou non compatible avec le principe de subsidiarité.

Ce principe est consacré à l'article 5 § 2 du traité sur l'Union européenne aux termes duquel : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. »

En ce qui concerne le Parquet européen, les avis motivés émis par les parlements nationaux doivent atteindre le seuil d'un quart des voix attribuées aux parlements nationaux pour que la proposition soit réexaminée par la Commission.

Sur la base de cet examen, la Commission décide soit de maintenir la proposition, soit de la modifier, soit de la retirer, et elle doit motiver sa décision.

Quatorze chambres de parlements nationaux ont suivi la position du Sénat et ont transmis à la Commission des avis motivés. Le seuil était donc atteint pour qu'elles adressent à la Commission ce que l'on appelle un « carton jaune » au mois de décembre 2013.

La Commission européenne, comme elle en a le droit, a décidé de maintenir sa proposition. Dans un courrier qu'elle a notamment adressé au président de notre assemblée, elle a estimé que son texte « maintenait un juste équilibre entre l'objectif de protéger plus efficacement les intérêts financiers de l'Union en créant la fonction de procureur européen et l'effet potentiel de cette mesure sur les juridictions nationales ». Dès lors, a-t-elle jugé, « la proposition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs et respecte donc le principe de proportionnalité. »

Il ne paraît pas inutile de rappeler quelques-uns des principaux arguments qui ont été développés au Parlement européen ainsi que dans les parlements nationaux sur le projet de Parquet européen. Au cours d'une réunion interparlementaire, qui s'est tenue à la mi-septembre 2014 à Paris, des représentants de 16 parlements nationaux de l'Union ainsi que du Parlement européen ont engagé un débat informel.

L'actuel président de la commission « LIBE » du Parlement européen a considéré que le « carton jaune » avait activé la concertation avec les parlements nationaux et dégagé un consensus sur l'idée qu'un représentant de chaque État membre sera présent dans la structure du Parquet européen. Il a souligné que le débat devait désormais se concentrer sur :

- la compatibilité des règles relatives au fonctionnement du Parquet européen avec les droits internes des États membres ;

- la question de la recevabilité et de l'évaluation des preuves afin de garantir les droits de la défense ;

- la mise en place d'un recours judiciaire effectif.

Un membre de la commission des lois de la Seconde chambre des Pays-Bas s'est déclaré partisan d'une meilleure proportionnalité entre les compétences du Parquet européen et celle des autorités judiciaires nationales. Les enquêtes, selon lui, doivent continuer à relever de ces dernières.

Le président de la commission des affaires européennes du Bundestag a jugé indispensable d'harmoniser les droits des prévenus au niveau européen s'agissant notamment de l'accès aux données les concernant.

Le rapporteur du Bundestag a estimé, quant à lui, que le président du Parquet européen devait être désigné par le Parlement européen et qu'il fallait assurer le contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen par les tribunaux nationaux.

Le président de la commission des lois du Parlement de Croatie a jugé que la désignation des membres du Parquet européen devait obéir aux mêmes règles que l'élection des juges de la Cour de justice de l'Union européenne afin de s'assurer de leur qualité professionnelle et de leur intégrité.

Une représentante de la commission des affaires européennes du parlement de la Lituanie a jugé utile de clarifier la répartition des compétences entre le Parquet européen, les ministères publics des États membres, EUROPOL et EUROJUST. Il convient, selon elle, de ne pas encombrer le Parquet européen par des affaires mineures qui doivent continuer à relever des autorités nationales.

Le président de la commission des affaires européennes du Sénat italien a souligné la nécessité de garantir le principe du contradictoire dans la production des preuves et le respect des principes du procès équitable. S'agissant de la structure du Parquet européen, il a appelé de ses voeux un juste équilibre entre des éléments de centralité visant à assurer une vision unitaire et globale des enquêtes et des éléments de décentralisation par le biais des procureurs nationaux, dans le respect des caractéristiques spécifiques des législations nationales.

Confirmant la position britannique, le président de la commission des lois de la Chambre des Communes a fait, quant à lui, la déclaration suivante : « Nous partons du constat que les systèmes et pratiques judiciaires diffèrent profondément d'un pays à l'autre de l'Union. En conséquence, en l'état actuel des choses, nous considérons qu'EUROJUST et l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) suffisent largement à la tâche. »

En conclusion de cette réunion informelle, une déclaration commune des représentants des 16 parlements nationaux à l'exception des représentants de la Seconde chambre des Pays-Bas, de la Chambre des Communes du Royaume-Uni et du Parlement suédois, a été adoptée. Elle était articulée autour de trois points de consensus :

- la structure collégiale du Parquet européen composé de membres nationaux issus de leurs systèmes judiciaires respectifs ;

- la compétence partagée entre le Parquet européen et les autorités nationales avec un droit général d'évocation ;

- la nécessité de garantir l'indépendance, l'efficacité et la valeur ajoutée du Parquet européen.

Où en est actuellement le débat européen ?

Rappelons que lors des Conseils JAI des mois de mars et juin 2014, le principe de l'organisation collégiale du Parquet européen, sur la base d'un collège de procureurs originaires des États membres, les autorités nationales conservant toutefois en principe une compétence concurrente, a été retenu avec l'espoir que cette évolution contribuerait au consensus d'un plus grand nombre d'États sur le principe du Parquet européen.

Lors du Conseil JAI des 9 et 10 octobre 2014, sous présidence italienne, un nouveau débat d'orientation est intervenu. Il était axé autour de la question de savoir si le Parquet européen sera en mesure de fonctionner comme une instance unique par-delà les frontières des États membres participants, ou s'il sera nécessaire d'avoir recours aux instruments traditionnels d'entraide judiciaire et de reconnaissance mutuelle lorsque, par exemple, deux procureurs européens délégués issus de deux États membres différents s'occuperont du même litige transfrontière.

À l'issue du débat d'orientation, le Conseil de l'Union européenne a conclu :

- que, dans leur majorité, les délégations se sont déclarées favorables au principe selon lequel le Parquet européen devra fonctionner comme une instance unique ;

- qu'il conviendra d'élaborer un nouveau modèle de coopération transfrontière au sein du Parquet européen, afin de garantir que le Parquet apporte une véritable valeur ajoutée, et qu'il sera nécessaire de poursuivre les travaux pour mettre au point les détails de ce nouveau modèle.

Nous en sommes là aujourd'hui.

Le débat n'est pas achevé. S'agissant de la structure de l'institution, une majorité d'États s'est accordée, semble-t-il, sur l'idée du collège. Mais restent en discussion les conditions de l'intervention d'un Parquet européen, doté d'un statut spécifique, dans vingt-huit systèmes judiciaires dans lesquels les définitions d'infractions, les règles procédurales, les garanties des droits de la défense et les recours sont loin d'être homogènes.

On rappellera que certains États membres tels que le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark ou la Suède continuent de manifester une opposition résolue au principe même du Parquet européen.

Comme on l'a dit, la base juridique et les règles régissant la création du Parquet européen sont énoncées à l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le règlement proposé doit être adopté conformément à une procédure législative spéciale : le Conseil statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen.

En l'absence d'unanimité, les traités prévoient qu'un groupe composé d'au moins neuf États membres pourra établir une coopération renforcée.

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