Intervention de François Rebsamen

Réunion du 18 novembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de François RebsamenFrançois Rebsamen :

Nemo auditur propriam turpitudinem allegans : cet adage est fréquemment employé par les juristes. Or, à force de diminution des recettes et de hausse continue des dépenses publiques, nous en sommes malheureusement là !

Aujourd’hui, nous débattons du dernier budget du président Sarkozy, ou plutôt du dernier budget du candidat de 2007, avant de débattre l’an prochain du budget – j’espère, à titre personnel, que ce sera le dernier ! – du candidat de 2012.

Le projet de loi de finances pour 2011 est d’ailleurs significatif. Il s’agit, comme le déclarait ce matin Mme la ministre, de « rétablir des comptes publics sans compromettre la reprise ». C’est un peu la quadrature du cercle, le Gouvernement étant corseté par des contraintes idéologiques posées par le Président de la République. « Ce n’est pas un budget de rigueur », nous déclarait tout à l’heure M. le rapporteur général. J’ajouterai : sauf pour quelques-uns !

Au moment même où, reconduit dans ses fonctions, François Fillon déclarait que l’emploi, les solidarités et la sécurité relèveraient des priorités de l’exécutif, on constate, et c’est à peine croyable, que ces priorités se retrouvent bien dans le projet de loi de finances pour 2011, mais dans des missions dont les crédits sont rognés… Drôle d’ambition !

Relevons à cet égard les coupes franches du programme « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » : les crédits qui lui sont affectés chutent de plus de 56 % !

Pour ce qui concerne la sécurité, le Gouvernement, non comptant de réduire les effectifs, diminue l’investissement de 19 %, ce qui en dit long sur la réalité des pratiques.

Et que dire de cette « riche » idée lancée par Benoist Apparu d’imposer au secteur HLM une taxe nouvelle de 2, 5 % portant uniquement sur les loyers des plus modestes ? Nous aurions pu comprendre, tout en la combattant, la logique d’une taxation de tous les loyers. Mais la création d’une taxe affectant uniquement les plus modestes de nos concitoyens ne peut pas se justifier ! Et tout cela pour alimenter le budget de l’État à hauteur de 340 millions d’euros.

Or notre commission des finances estime que ce dispositif « ne constitue pas un outil adéquat de péréquation et de mutualisation, puisqu’il frappe indistinctement et uniformément les organismes d’HLM, sans tenir compte de leur situation financière particulière », ni, surtout, des investissements qu’ils ont réalisés ces dernières années.

La commission des finances considère également que le comblement du déficit de financement des opérations de rénovation urbaine de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, ne peut être mis deux fois à la charge des bailleurs sociaux, mais relève du budget général de l’État.

La perte qui en résultera pour les organismes d’HLM devra de toute façon être compensée, aux dépens de la production, de la réhabilitation ou du service. Quant à la nouvelle version du dispositif dont j’ai eu connaissance, elle pénaliserait tout autant les locataires. Et ce sont bien les locataires qui seront les plus visés, monsieur le ministre.

J’ai examiné plus spécifiquement les conséquences des dernières modifications apportées au projet pour l’OPAC de Dijon : elles seraient catastrophiques, puisqu’il s’agirait d’une ponction, sur trois ans, de près de 840 euros par logement pour les locataires les plus modestes.

Par ailleurs, la politique actuelle menée par le Gouvernement dans la mise en œuvre et la gestion des contrats aidés est aussi en contradiction avec les principes affichés : une diminution de leur nombre de 60 000 est prévue pour 2011.

Les structures d’insertion par l’activité économique, que vous vous connaissez sur le plan local, monsieur le ministre, accueillent et salarient chaque année plus de 65 000 personnes très éloignées de l’emploi ; elles les accompagnent et les forment afin de les soutenir sur le chemin du retour à l’emploi.

Les contrats aidés sont cependant utilisés comme variables d’ajustement pour les chiffres du chômage. Certaines de ces structures d’insertion par l’activité économique qui ont signé des conventionnements avec l’État se retrouvent dans une situation complexe qui les empêche d’atteindre les objectifs de retour à l’emploi et de lutte contre le chômage et donc de mener à bien leur mission.

S’agissant des recettes, il existe, bien sûr, des marges de manœuvre efficaces, mais elles ont été ignorées.

Elles ont été présentées par mes collègues, mais je les rappelle rapidement.

Il s’agit de supprimer la loi TEPA ; créer une tranche supérieure d’impôt sur le revenu ; réviser les bases de la fiscalité locale ; élargir le périmètre de la taxe sur les logements vacants ; rendre permanente la taxation des rémunérations variables des opérateurs de marché, c'est-à-dire leurs bonus ; supprimer les outils permettant l’optimisation fiscale, dont l’utilisation pourrait parfois être assimilée à un abus de droit tant leur caractère fictif ou leur motivation exclusivement fiscale sont nets…

C’est le sens d’amendements qui ont été déposés.

Sur ce sujet précis, l’augmentation constante du nombre et du coût des dispositifs fiscaux dérogatoires applicables aux entreprises ces dernières années témoigne, je le crois, du caractère non maîtrisé de ces mesures. Leur coût étant estimé à plus de 71 milliards d’euros en 2010, contre 19, 5 milliards d’euros en 2005.

Cette réalité, monsieur le ministre, contraste fortement avec les efforts croissants de maîtrise des dépenses budgétaires que vous prétendez engager. Et ce, alors que, dans le même temps, vous demandez des efforts aux ménages souvent les plus modestes et aux collectivités locales, ce qui – cela a été dit sur toutes les travées -, pénalisera l’investissement public.

Cette politique contraste encore plus avec votre plan de communication, qui consiste à nous dire que ce projet de loi de finances « s’inscrit dans la stratégie du Gouvernement de retour progressif à l’équilibre, stratégie qui repose elle-même sur une volonté sans faille de réduire les déficits publics ».

Les pratiques d’optimisation fiscales sont favorisées, on le sait, par la complexité de notre système. Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2007 ainsi que celui d’octobre 2010 relèvent qu’en France les difficultés demeurent, car notre pays a accumulé des retards en matière d’évaluation.

Tout est, à mon avis, affaire de volonté, et cette volonté le Gouvernement ne l’a visiblement pas pour peser sur d’autres leviers qui seraient efficaces économiquement, justes socialement et fiscalement, des leviers qui ne feraient pas porter sur les plus modestes et sur les collectivités le poids de la dette et du déficit public, alors même que le taux d’effort des uns et des autres est déjà très important.

Il n’est pas normal, Mme Bricq l’a rappelé tout à l’heure, que le taux implicite d’imposition des entreprises françaises soit en moyenne de près de 18 %, soit 16 % de moins que le taux facial, et de 8 % pour les entreprises du CAC 40.

À cet égard, les chiffres concernant l’accélération des dépenses fiscales créées depuis 2006 sont inquiétants. Voilà la réalité. Voilà les chiffres de l’attentisme et du dogmatisme politique de ce gouvernement !

Parallèlement, des comportements scandaleux sont constatés. Ils ne sont pas suffisamment combattus, je me dois de le répéter ici.

Je pense à ces géants du CAC 40, qui font, certes, honneur à la France, qui ont, certes, engrangé, d’après les journaux du matin, 42 milliards d’euros de bénéfices, en hausse de 87 % sur un an, mais dont le comportement est, pour le moins, non vertueux, puisque, en quatre ans, les effectifs des quarante groupes ont diminué de près de 40 000 personnes.

« Le transfert de dettes du privé vers la sphère publique, la crise grecque, l’attaque de notre monnaie, nous ont rappelé l’ardente nécessité de mener une politique vertueuse sur le plan de nos finances publiques. Nous devons désormais nous atteler à réduire les déficits publics ». Voilà ce que vous rappeliez, monsieur le ministre, à l’Assemblée nationale.

Mais Lao Tseu l’a dit : « Nommer n’est pas définir ». C’est déjà sans doute avoir fait une partie du chemin que de définir les problèmes et les objectifs. Mais si une partie du chemin est faite, la tâche n’est pas pour autant accomplie.

S’il y a bien un marqueur de ce gouvernement, c’est celui des grandes déclarations. La solidarité, la croissance et la justice sociale ne se décrètent pas, elles se créent. Nous vous avons proposé des pistes, de nombreuses pistes d’action en ce sens. Je n’en ai rappelé que quelques-unes.

Mais la résistance gouvernementale est intense ! Je me demande encore dans quel but. Ce n’est pas, à mon avis, dans l’intérêt général des Français. C’est pourquoi nous ne pourrons pas voter ce projet de loi de finances pour 2011.

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