Pour poser les termes du débat qui nous intéresse aujourd’hui, j’ai choisi de partir du nom qu’on donne en escalade à celui qui se trouve à l’autre bout de la corde, tout en bas : il s’agit de l’assureur. Ce terme résume à lui seul toutes les interrogations auxquelles cette proposition de loi veut apporter des réponses, soit la prise de risque, la responsabilité qui y est liée et le financement des dommages en cas d’accident. Autrement dit, qui pratique, qui sécurise et qui paye ?
Ce texte trouve notamment son origine dans un accident d’escalade à Vingrau et dans une décision de justice s’y rapportant. Mais les questions posées intéressent tous les pratiquants de sport de pleine nature, l’ensemble des fédérations qui en régissent la pratique, les propriétaires de sites naturels et les collectivités territoriales qui en assurent le développement et la promotion.
Plusieurs questions philosophiques sous-tendent nos débats aujourd’hui. Quelle place accordons-nous à la prise de risque dans notre société, notamment dans les espaces naturels ?
Quelle part d’acceptation du risque de la part des pratiquants eux-mêmes ? Sur ces sujets, qu’est-ce qui doit relever de la responsabilité individuelle ou de l’assurance d’un tiers ?
Jusqu’où les fédérations et les collectivités doivent-elles être responsables des pratiques individuelles ? Quel est le juste coût des assurances que doivent prendre en charge les pratiquants ?
La première des questions que nous nous sommes posées en commission était : devons-nous légiférer sur la base d’un cas précis et d’une décision de justice, toujours en appel ? Autrement dit, faut-il attendre la Chancellerie et la prochaine réforme du droit de la responsabilité ? Nous avons répondu positivement.
Au-delà du seul cas de Vingrau, c’est tout le développement des sports de pleine nature qui est suspendu aux incertitudes juridiques. Le régime de la responsabilité civile est, me dit-on, intouchable. Pourtant, les textes de 1804, comme la construction jurisprudentielle qui les accompagne, ne sont plus à même de répondre à la complexité des situations auxquelles nous devons faire face aujourd’hui.
Vous avez sans doute lu le récit dans la presse cette semaine du sauvetage héroïque d’Élisabeth Revol. Son histoire a bien commencé, quand elle est devenue la première femme à réussir l’ascension hivernale du Nanga Parbat, en compagnie d’un alpiniste polonais. Le risque fut payant. Puis l’histoire s’est ternie dans la descente, durant laquelle Mme Revol n’a pu s’engager que seule, quand son compagnon de cordée a dû rester au sommet, à l’agonie. Elle a été rejointe par d’autres ressortissants polonais venus à sa rescousse de nuit, à la lampe frontale, dans des conditions dantesques.
Cette histoire, terrible, ne nous intéresse pas aujourd’hui que par son contexte : les montagnes françaises ne sont pas l’Himalaya et l’initiative législative du jour n’aurait que peu d’impact au Pakistan. Elle nous interpelle par les messages qu’elle porte. Nul n’imaginait qu’une opération de sauvetage dans l’Himalaya puisse être payée grâce à un appel au financement participatif, à hauteur de 50 000 dollars, en temps réel, au moment même du drame vécu par Élisabeth Revol sur le Nanga Parbat.
Les pratiques sportives actuelles, dans l’environnement juridique contemporain, requièrent des réponses nouvelles. J’ai le sentiment que cette proposition de loi nous les apporte. Je crois également que le travail de précision juridique, apporté avec beaucoup de minutie par notre rapporteur, va dans le bon sens.
Le grand grimpeur et alpiniste italien Reinhold Messner nous dit que « la montagne n’est ni juste, ni injuste, elle est dangereuse ». Sur la question du risque lié à la pratique des sports de pleine nature, nos efforts doivent précisément porter sur la juste responsabilité de chacun des acteurs concernés. Cela vaut pour les risques ordinaires comme pour les risques exceptionnels.
Pour la clarté de la démonstration, je veux dresser le tableau noir, dans le champ de l’escalade, des conséquences possibles d’une situation où le régime de la responsabilité sans faute continuerait à prévaloir : une fédération, la Fédération française de la montagne et de l’escalade, qui suspend tout ou partie des 800 conventionnements qui la lient à des propriétaires partout en France ; des propriétaires qui interdisent l’accès à leurs sites ; un niveau d’équipement et de sécurisation des sites qui diminue ; des pratiques sauvages ou clandestines qui prospèrent ; des collectivités qui mettent la pédale douce sur la promotion de l’escalade – Loïc Hervé a insisté sur l’intérêt touristique du développement des sports de pleine nature – ou qui, à l’inverse, surinvestissent dans un équipement déraisonnable visant à « bétonner », dans tous les sens du terme, les sites.
Au-delà des risques en matière d’accidentologie, ou des crispations possibles entre propriétaires et pratiquants, il faut considérer sérieusement cette perte de ressource réelle de développement local pour des communes, intercommunalités ou départements qui auraient été prêts, littéralement, à « investir dans la pierre ».
Vous aurez compris que je prône au nom de mon groupe – c’est de circonstance s’agissant d’escalade