Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos trois commissions compétentes ont adopté la proposition de résolution européenne relative aux directives de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, d’une part, et la Nouvelle-Zélande, d’autre part.
À travers cette résolution, le Sénat demande à faire valoir son point de vue le plus en amont possible. Il exercera une vigilance constante tout au long des négociations à venir. Il veillera aussi aux conditions de mise en œuvre des accords déjà conclus et de ceux qui le seront, et ils sont nombreux !
L’accord le plus emblématique est celui signé avec le Canada, communément appelé CETA, entré en vigueur à titre provisoire le 21 septembre dernier. D’autres ont été signés, ou sont en cours de discussion, avec Singapour, le Japon, le Vietnam, l’Indonésie, le Mexique, le Mercosur.
Devant la frénésie de l’Union européenne à signer des accords commerciaux tous azimuts, le Président de la République française a demandé à ses homologues un débat sur la stratégie commerciale de l’Union, et cela dans la perspective d’une Europe qui protège enfin les Européens.
Pour y arriver, le président Macron veut non seulement freiner la signature de ces nouveaux accords de libre-échange, mais surtout mieux armer l’Europe contre le dumping social. Force est de constater que notre président n’a rencontré qu’un succès d’estime avec cette proposition, et quelques autres…
Pourtant, le président Macron ne demande qu’une politique commerciale fondée sur l’équité et la réciprocité. Si le Président de la République veut tempérer la frénésie libre-échangiste de l’Union européenne, c’est qu’il a des raisons.
Il s’agit tout d’abord d’une question de forme : l’accord avec les États-Unis communément appelé TAFTA a été négocié dans le plus grand secret, suscitant méfiance et défiance. L’Union européenne affiche une volonté de transparence nouvelle pour les accords à venir avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Toutefois, en raison de l’aide bienvenue de la Cour de justice de l’Union européenne, les parlements nationaux n’auront plus à approuver ces accords, car on prendra la précaution de ne pas y inclure les investissements directs et les cours d’arbitrage… L’accord étant soumis au seul Parlement européen, aucun parlement national ne pourra plus en bloquer la ratification dans ce nouveau format.
Soit dit en passant, il n’est pas très malin d’écarter les représentations nationales en pleine ratification du CETA, comme vient de le faire le Parlement européen à travers l’adoption, le 26 octobre dernier, d’une résolution allant dans ce sens. Et si la Commission et le Parlement européen veulent écarter les parlements nationaux de la ratification des traités, c’est parce qu’il y a de sérieux problèmes de fond, à commencer par la vive contestation dont les traités commerciaux font l’objet de la part d’organisations syndicales, d’organisations non gouvernementales et de représentants politiques, qui les accusent de négliger les normes sociales, la santé et l’environnement.
Le CETA concentre sur lui toutes les critiques, y compris celles, sévères, de la commission d’experts indépendants mise en place par le président Macron. Selon eux, cet accord est en totale contradiction avec les ambitions affichées par la France pour la protection du climat.
Comme le défunt TAFTA, le CETA et les accords en cours de discussion ont pour objectif non pas de supprimer les petites barrières douanières existantes, mais de liquider les barrières non tarifaires, c’est-à-dire les normes des pays d’Europe qui traduisent notre histoire économique, nos rapports sociaux et notre conception de la protection du consommateur. Tout cela pour le plus grand bénéfice des multinationales de l’agroalimentaire et de l’industrie.
L’accumulation, depuis des années, des accords de libre-échange, qu’ils soient multilatéraux ou bilatéraux, a fait à ce jour le bonheur de la Chine et des multinationales, mais certainement pas celui de la classe moyenne européenne ni des agriculteurs, sans cesse sommés de s’adapter, en particulier les éleveurs.
Certes, l’Union européenne commence enfin à se protéger contre la Chine, mais cela donne tout de même l’impression que les multinationales arrivent progressivement à imposer un nouvel ordre mondial dans lequel les États sont réduits à l’impuissance et les citoyens au rôle de consommateurs.
En conclusion, il faut qu’une majorité de parlements nationaux veille à ce que l’Union européenne ne fasse pas, en matière de libre-échange, l’erreur déjà commise avec son élargissement vers l’est, à savoir se précipiter d’abord et réfléchir ensuite.
La résolution européenne approuvée par nos trois commissions montre la lucidité de notre assemblée en la matière. Nous pouvons donc l’adopter en l’état, éventuellement enrichie d’amendements allant dans son sens.