Je vais vous parler, moi aussi, des territoires et des États non coopératifs. Juste pour le plaisir, parce que nous sommes entre nous, j’évoquerai l’excellent rapport d’Éric Bocquet, qui date tout de même de 2012. Aussi, lorsque vous estimez, les uns et les autres, que nous avons beaucoup progressé, je trouve que l’on fait plutôt du surplace…
J’en viens à la carte du tendre des paradis fiscaux – je reprends le plan du rapport : une cartographie à géométrie variable ; des paradis perdus – mais pas pour tout le monde ; des paradis à l’ombre des listes officielles ; 2012, des listes allégées ; le Forum mondial : la transparence au milieu du gué – on n’en est toujours pas sorti ; une grille de lecture complexe de la liste française ; une liste française à dimension discrétionnaire – c’est toujours le cas aujourd’hui.
La deuxième partie du rapport évoquait les paradis retrouvés ; les « territoires coquilles », où l’on retrouve l’ensemble des territoires cités, dont la Barbade, les Seychelles, l’île Maurice ; les paradis officiels, comme les Îles Marshall ; un début théorique – j’insiste sur ce mot, mon cher collègue de La République En Marche – de transparence ; le marché ciblé de l’évasion fiscale ; les milliers de mètres carrés de ports francs en Suisse ; les 30 000 mètres carrés de nouveaux ports francs au Luxembourg ; le Liechtenstein et les îles anglo-normandes, bien entendu ; les « paradis sélectifs » de Monaco et d’Andorre.
Enfin, le rapport de 2012 avait identifié les paradis technologiques et le problème irrésolu de l’imposition des bénéfices du numérique. Nous avions le tort d’avoir raison trop tôt !
La mise à jour de la liste française des États et territoires non coopératifs, les ETNC, se fait, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, sur la base de l’article 238-0 A du code général des impôts. L’actualisation de la liste, qui a lieu chaque année, est largement mécanique : la simple signature d’une convention fiscale avec la France suffit à retirer un État de cette liste. Cette situation n’est pas satisfaisante !
La radiation ne devrait intervenir qu’a posteriori, une fois constaté que la mise en œuvre de la convention signée par la France avec cet État ou territoire permet effectivement à l’administration fiscale d’obtenir les renseignements nécessaires à l’application de la législation fiscale française.
Ce n’est pas nouveau : c’était la proposition 40 figurant à la page 585 du rapport de 2012, qui n’est toujours pas appliquée ! Je vous en donne lecture : « Conditionner le retrait d’un État de la liste française des ETNC non pas à la simple signature d’une convention fiscale avec la France, mais à la mise en œuvre effective d’une coopération fiscale de cet État avec la France au titre de cette convention. » Nous avons une marge de progrès très importante.
Sur ce sujet majeur, notre collègue député Fabien Roussel vient de déposer une proposition de loi extrêmement intéressante et fournie visant à établir une liste française des paradis fiscaux. Nous la soutiendrons, comme nous soutiendrons la proposition de résolution présentée ce soir par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La proposition de loi est d’ailleurs intéressante, car, pour faire court, c’est toujours : « Un scandale, une annonce » ! En 2015, dans le sillage de LuxLeaks, on annonce un premier pas vers une approche commune et cohérente, à l’échelon européen, des paradis fiscaux, ainsi qu’une première liste noire. La méthode retenue souligne la portée symbolique de la démarche. La liste, dépourvue de sanctions, est laissée à la libre appréciation des États ; Gibraltar et Jersey n’y figurent pas.
Deux ans plus tard surviennent les « Paradise papers ». Là encore, un scandale, une annonce ! Le 5 décembre 2017, les ministres des finances des pays membres de l’Union européenne annoncent une nouvelle liste. Là encore, le résultat déçoit : 17 noms sont inscrits sur la liste noire, 47 sur une « liste grise ». Pourquoi avoir écarté les États membres de l’Union européenne ? Ce n’est pas pour autant qu’ils respectent les règles ! L’organisation Oxfam, citée tout à l’heure, a établi que l’Irlande, les Pays-Bas, Malte et le Luxembourg auraient dû figurer sur la liste noire.
Cette fois encore, il faudrait retenir plus de critères. Sur la base de ceux qui ont été retenus par Oxfam, ce sont cinquante-huit pays, et non plus dix-sept, qui figurent sur la liste noire. L’association Tax Justice Network effectue également un travail remarquable.
Dans ces conditions, autant dire que le bricolage européen et les annonces purement cosmétiques constituent, madame la secrétaire d’État, une insulte réitérée à notre intelligence. Les listes s’allongent et se rétrécissent…
Le Conseil constitutionnel ayant estimé que l’intervention du législateur dans la fixation de la liste des paradis fiscaux contreviendrait à la distinction des domaines de la loi et du règlement opérée aux articles 34 et 37 de la Constitution, je vous propose, madame la secrétaire d’État, en cette saison de modifications constitutionnelles, celle de l’article 34, en précisant, au quatrième alinéa, que la loi fixe également les règles concernant « les dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale ». Ce serait au moins aussi intéressant que d’y inscrire la lutte contre le changement climatique !
Ainsi, mes chers collègues, cela permettra au Parlement d’avoir toute compétence sur un sujet qui, reconnaissez-le, nous concerne tout de même un petit peu.