Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 7 mars 2018 à 21h30
Finance mondiale harmonisation et justice fiscales — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on a beaucoup parlé, ces dernières années, de la « finance », souvent pour la diaboliser. Je crois que ce raccourci nous freine collectivement pour réfléchir sereinement sur l’économie financière et proposer des politiques publiques adaptées.

Nous sommes loin d’avoir affaire à un monde monolithique et caricatural : la diversité des métiers, des pratiques et des finalités de la finance, au service de l’économie réelle et des ménages, doit nous inciter à la prudence dans nos mots et dans nos actes.

Le système financier français est un fleuron souvent envié par bien d’autres pays ; sachons le préserver. Parlons plutôt ici d’impôt, de fraude, de mécanismes internationaux qui favorisent des pratiques d’évitement fiscal. Il me semble que l’amalgame entre finance et fraude qui est fait dans cette proposition de résolution participe à une confusion des genres.

Sans nier la réalité des pratiques frauduleuses, appuyées sur des montages financiers complexes, mettre tout le monde dans le même panier ne nous aide pas à apporter des solutions fines et précises sur un sujet de dimension internationale. Derrière la fraude fiscale internationale il y a, certes, des institutions financières complices, mais également des États, des entreprises et des particuliers coupables.

Il y a bien une galaxie d’acteurs dont les intérêts convergent et vont à l’encontre de ce que vous appelez, chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la « justice fiscale ». Comme vous, je le déplore et, comme vous, j’estime qu’il faut lutter contre la coalition des intérêts. En revanche, notre vision de la réponse à y apporter n’est pas la vôtre, celle de l’écrasement d’une économie qui serait intoxiquée par la finance. Nous croyons à l’efficacité des marchés et à l’internationalisation des flux de capitaux, à condition, bien sûr, que ces marchés soient régulés par des institutions pour tendre vers une justice sociale internationale.

En matière de régulation, force est de constater que des actions ont bien déjà été engagées depuis la crise de 2008, notamment sous l’impulsion d’un Français, que je souhaiterais saluer, Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE. Il mène depuis plusieurs années une véritable croisade contre la fraude fiscale internationale, qui a permis de moderniser le droit. L’OCDE a ainsi mis en place un cadre inclusif, rassemblant plus de cent pays et juridictions qui travaillent en collaboration pour mettre en œuvre des politiques de lutte contre l’érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices. La clause anti-abus, visant à éviter l’utilisation excessive des dispositions des conventions fiscales, en est une bonne illustration.

L’OCDE a également élaboré une norme d’échange automatique d’informations bancaires, adoptée le 29 octobre 2014 par l’ensemble des pays qui la composent et par les membres du G20.

En Europe, la Commission européenne a récemment relancé le projet de directive visant à l’adoption d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, pour mettre fin à la concurrence fiscale entre États membres. Le paquet TVA, en cours de négociation, a pour objectif de mettre fin à une fraude communautaire qui coûte plus de 150 milliards d’euros par an aux États de l’Union européenne.

Le cadre international de lutte contre la fraude fiscale n’a donc plus rien à voir avec ce qu’il était voilà encore quelques années. Néanmoins, je vous rejoins dans l’idée que des progrès sont toujours possibles. Si nous pouvons y contribuer, nous devons le faire. Soulignons, à cet égard, trois éléments.

Tout d’abord, les listes internationales de paradis fiscaux sont encore trop timides et soumises à des considérations politiques qui les vident de leur substance. Ensuite, les États, y compris européens, se livrent toujours à des politiques non coopératives en matière fiscale, avec une multiplication des « visas dorés » par des pays comme Chypre ou Malte, avec des rescrits fiscaux ou une course au moins-disant en matière d’impôt sur les sociétés. Enfin, la nouvelle économie, celle des GAFA, questionne les politiques fiscales des États, qui sont peu adaptées pour capter les bénéfices internationaux tirés des effets de réseaux. L’initiative française de taxation des géants du net est ainsi la bienvenue, même si elle doit être menée dans une logique d’équité et non punitive.

Des marges de progression existent donc pour atteindre la justice fiscale mondiale que nous appelons, bien sûr, tous de nos vœux. Cependant, je crois à la volonté des institutions et des professionnels pour combler ces lacunes et avancer dans le sens d’une régulation plus efficace. Nous ne pensons pas qu’il faille ajouter à cet ensemble une organisation de plus, dont la conception s’éloigne, de surcroît, de la logique pragmatique et technique qui nous semble devoir s’appliquer sur cette question.

Pour toutes ces raisons, et bien que nous partagions votre préoccupation devant l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, pas plus que La République En Marche, n’approuvera cette proposition de résolution.

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