Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 18 avril 2018 à 21h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Article 1er quater, amendement 55

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Si surtransposition il y a, c’est pour mieux protéger les entreprises. En effet, les États membres sont libres de prévoir un volet pénal en cas d’atteinte grave au secret des affaires. Madame la garde des sceaux, l’Italie est le seul pays, parmi les Vingt-Sept, à avoir officiellement déclaré, dans les négociations et dans cette phase de transposition de la directive, qu’elle envisageait d’assortir cette transposition de la création d’un volet pénal.

Deuxièmement, la définition du secret des affaires serait trop générale ou imprécise pour pouvoir fonder une incrimination pénale conforme au principe de légalité des délits et des peines, qui suppose de définir l’infraction de façon suffisamment précise. C’est exact ! Pour cette raison, l’incrimination est plus précise que la seule atteinte au secret : elle comporte un élément matériel précis, le fait de contourner sciemment les mesures de protection mises en place par le détenteur légitime du secret, et un élément intentionnel tout aussi précis, le but d’en retirer un avantage de nature exclusivement économique.

De plus, pour être constituée, cette infraction nécessitera la preuve du dol général – la volonté d’obtenir une information protégée en contournant sciemment des mesures de protection, donc en ayant conscience de violer la loi pénale –, mais aussi la preuve d’un dol spécial – la volonté d’en retirer un avantage de nature économique.

Que les mesures de protection soient mises en place par une personne privée, ce que discute l’auteur de l’amendement n° 55, est sans portée : dans un vol ordinaire, il s’agit bien de contourner des mesures de protection mises en place par une personne privée pour protéger son bien.

Le texte de la commission ne soulève donc pas de problème de constitutionnalité. Il tient compte des objections du Conseil d’État. Le Gouvernement n’oppose d’ailleurs pas cet argument de l’inconstitutionnalité.

Troisièmement, les incriminations pénales existantes suffiraient à sanctionner toutes les hypothèses d’atteinte au secret des affaires.

Tel n’est pas le constat que je tire de mes auditions, même si l’atteinte au secret professionnel, l’atteinte au secret des correspondances, le vol, l’abus de confiance ou encore l’intrusion dans un système informatique peuvent être invoqués et ont été admis par la Cour de cassation dans quelques cas d’atteinte au secret des affaires. Pour les atteintes les plus graves et frauduleuses à celui-ci, une incrimination pénale spécifique est nécessaire, comme en matière de contrefaçon, laquelle permet, au choix, une action civile ou une action pénale.

L’espionnage économique est une réalité qui frappe les entreprises françaises et pour laquelle l’action civile n’est pas suffisante. Tout le monde s’accorde à le dire. Cette sanction pénale est donc également nécessaire en raison de sa portée plus dissuasive, à l’égard de certains intérêts économiques étrangers, qui, parfois, ne reculent devant aucun moyen pour piller le patrimoine informationnel des entreprises françaises.

Enfin, contrairement à ce que laissent suggérer les auteurs de l’amendement n° 84 rectifié, cette disposition n’a strictement rien à voir avec les journalistes ou les lanceurs d’alerte. C’est évidemment délibéré, car il s’agit de sanctionner une entreprise concurrente particulièrement malveillante.

Pour terminer tout à fait, je veux dire que le débat sur ce sujet est non pas technique, mais bien conceptuel : il s’agit véritablement de savoir ce que nous voulons exactement pour protéger le secret des affaires. Dans la guerre économique que nous connaissons, les Chinois et les Américains, pour ne pas les citer, se sont dotés d’un arsenal juridique et législatif avec un volet pénal particulièrement agressif à l’égard de ceux qui se risqueraient à violer le secret des affaires. Je pense notamment, pour les États-Unis, au Cohen Act.

Je rappelle également qu’une résolution européenne adoptée par le Sénat le 11 juillet 2014, citée à la page 17 du rapport, recommande à chaque État de conserver la faculté d’instituer un délit pénal spécifique.

Le choix qui nous est offert maintenant porte sur la conception même que nous nous faisons de la protection du secret des affaires. Comme l’a déclaré l’une des personnes que j’ai auditionnées, dans cette guerre économique, l’amende civile est une épée de bois. Aujourd’hui, nous offrons, dans cette guerre, un volet pénal.

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