Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat et les sénateurs ont, dans la vie publique, une fonction d’exemplarité, tout particulièrement à l’égard des élus locaux. Or, alors que nous nous apprêtons aujourd’hui à appliquer au Sénat les dispositions de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, je souhaiterais que notre Haute Assemblée puisse, par son exemplarité, aider à rassurer ces mêmes élus locaux.
Je commencerai mon propos en livrant à ceux d’entre vous qui n’en auraient pas pris connaissance le résultat de la consultation réalisée par le groupe de travail du Sénat sur le statut des élus locaux : 45 % des 17 500 élus ayant répondu pensent ne pas se représenter. Cette crise des vocations est justifiée avant tout – 27 % des réponses – par le temps accordé au mandat au détriment de leur famille et de leur travail, puis par le degré d’exigence des citoyens – 13, 4 % des réponses – et le risque juridique et pénal – 12, 7 % des réponses. Sur 100 élus, 13 envisagent d’abandonner leur engagement public en raison du risque juridique lié à l’exercice de leur mandat.
C’est un constat qui rend nécessaire, voire indispensable, un travail de publicité et de pédagogie au sujet des obligations déontologiques et de la prévention des conflits d’intérêts, que je propose d’effectuer ce soir.
Ce constat peut être étendu à nombre d’élus et s’inscrit dans le contexte général d’un renforcement des obligations déontologiques. Il en va de même du débat que nous avons aujourd’hui sur cette proposition de résolution, qui revêt une importance majeure pour le bon fonctionnement du Sénat et le respect des nouvelles prescriptions normatives.
L’adoption de cette proposition de résolution permettra au Sénat de se conformer à l’article 3 de la loi pour la confiance dans la vie politique. Cette loi, que notre assemblée a votée à une large majorité – 298 voix pour et 5 contre –, constitue ce que l’on appelle une « loi d’opinion », c’est-à-dire un texte visant à rassurer l’opinion publique dans le contexte d’alors, que nous connaissons tous.
Nous avons adopté ce texte. Je l’ai moi-même voté. Cela dit, je tiens à nous interpeller collectivement sur les risques que peuvent engendrer des lois de réaction mettant en cause les élus de manière générale et alimentant un climat de défiance de la population envers eux.
Pour en revenir à la proposition de résolution que nous soumet le président du Sénat, nous ne pouvons que saluer cette initiative et nous réjouir que notre institution dispose des moyens optimaux de prévenir les conflits d’intérêts.
La mise à jour des sanctions contre l’absentéisme parlementaire, notamment leur adaptation à la disparition de l’IRFM, va globalement dans le bon sens. Il en est de même des modalités de saisine du comité déontologique parlementaire, qui ont été élargies au terme des travaux de la commission.
Le mécanisme de déport, quant à lui, permettra à un parlementaire de se retirer publiquement d’un débat qui le placerait en situation de conflit d’intérêts. Cela constitue une meilleure garantie pour les sénateurs concernés et permettra d’attester de notre profonde conviction que la déontologie doit jouer un rôle important dans la vie publique.
La difficulté réside dans le fait que la démarche incombe au parlementaire et se fonde sur sa seule appréciation et sa seule déclaration, d’où l’intérêt de suivre avec précision l’ordre du jour et le contenu des textes inscrits, pour mieux signaler un déport en amont, avant, par exemple, que le vote n’intervienne par voie de procuration en cas d’absence.
Se pose alors la question centrale de la définition du conflit d’intérêts, sur laquelle je me permettrai de revenir un peu plus longuement.
La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a pour la première fois harmonisé les textes existants et donné une définition légale du conflit d’intérêts, en son article 2 : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »
Cette définition met en évidence trois critères : la détention d’un intérêt par l’élu, qu’il soit direct ou indirect, matériel ou moral ; l’interférence peut être matérielle ou temporelle ; l’intensité de l’interférence s’examine au cas par cas. Il y a conflit d’intérêts quand l’interférence est suffisamment forte pour soulever des doutes raisonnables quant à la capacité de l’élu d’exercer ses fonctions en toute objectivité.
La loi du 15 septembre 2017, dite « loi Bayrou », a défini le conflit d’intérêts des parlementaires selon un rapport privé-public, et non un rapport public-public, lequel n’est mentionné que dans la loi de 2013 et ne touche que les élus locaux.