Ces réflexes d’autocensure sont encore beaucoup plus marqués quand on aborde la question des religions. L’objet de la proposition de loi dont nous allons discuter aujourd’hui va faire débat. Cela tombe bien, parce que c’est le but !
Parler des ministres des cultes, de leur formation ou des associations cultuelles ? J’entends déjà les commentaires : nous ne sommes plus au temps de Napoléon, ne stigmatisons pas les musulmans et l’islam, le texte est inconstitutionnel…
Je pense que personne dans cet hémicycle ne doute que nous ayons une vision totalement républicaine de l’islam. Les membres de la mission d’information sur l’islam ici présents peuvent en témoigner.
Le débat sur les questions religieuses est tendu et délicat. Il est néanmoins de notre responsabilité politique de l’aborder. C’est ce que fait le groupe Union Centriste, qui a décidé d’inscrire à son ordre du jour réservé une proposition de loi déposée par André Reichardt au nom du groupe Les Républicains.
Dans sa rédaction initiale, comme beaucoup de propositions de loi, ce texte comportait des dispositions d’appel et d’autres perfectibles, mais les objectifs sont clairs. Madame le ministre, nous vous l’avons soumis dès le mois de janvier, afin que vous nous livriez votre analyse, vos critiques, vos commentaires.
À ce stade, je voudrais remercier notre rapporteur de ses efforts pour obtenir un vote favorable de la commission des lois, après avoir taillé à la serpe druidique bretonne un texte qui, encore une fois, était perfectible.
J’approuve totalement l’intitulé de la proposition de loi tel qu’il résulte des travaux de la commission des lois : « proposition de loi relative aux conditions d’exercice de la liberté de culte dans un cadre républicain ».
Notre texte répond en partie à de vraies préoccupations. Il se heurte d’ailleurs aux mêmes obstacles que ceux que vous aviez rencontrés à propos d’un texte relatif au contrôle des écoles hors contrat, madame le rapporteur.
Mon collègue André Reichardt, auteur de cette proposition de loi, évoquera plus longuement l’aspect constitutionnel. Pour ma part, je consacrerai mon propos aux questions de fond.
Le premier sujet est celui de l’alignement des statuts des lois de 1901 et de 1905.
Contraindre les associations gestionnaires de cultes à adopter un statut, celui prévu par la loi de 1905, serait inconstitutionnel, nous dit-on. Autrement dit, nous entretenons le doute, nous continuons le jonglage entre les statuts fixés par les lois de 1901 et de 1905 et les latitudes de gestion afférentes.
La commission ayant supprimé l’article 1er du texte, nous avons déposé un amendement visant non pas à contraindre l’adhésion au statut de 1905, mais à aligner les obligations financières et de transparence des deux statuts. Cette mesure avait été adoptée dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, dont Françoise Gatel était déjà le rapporteur. Elle est aujourd’hui prônée par l’Union des mosquées de France, qui demandait expressément, dans un document publié le 18 mars dernier, le placement des associations gestionnaires de mosquées sous le régime de la loi de 1905. L’autre option serait d’imposer aux associations régies par la loi de 1901 les mêmes exigences en matière de gestion et de transparence que celles qui s’appliquent aux associations régies par la loi de 1905. Nous ne demandons pas autre chose.
Notre proposition de loi reprend donc des mesures prônées par les musulmans eux-mêmes. Je ne vois pas quels autres cultes pourraient être opposés à une telle disposition.
Le deuxième sujet, également très important, est celui de la formation des ministres du culte.
L’an dernier, lors du dîner du Conseil français du culte musulman, le CFCM, le président Macron s’est exprimé sur ce sujet dans les termes suivants : « Notre […] combat, c’est celui de la formation des imams et des enseignants. […] L’enjeu est simple : il importe de former les imams sur le sol français et de façon adaptée aux valeurs de la République. »
C’est la raison pour laquelle nous proposons d’instituer une formation civique obligatoire. D’ailleurs, aux termes de la proposition n° 10 du document publié le 18 mars dernier par l’Union des mosquées de France, il faut veiller à la « complémentarité entre la formation théologique dispensée par les instituts musulmans » et « la formation profane des diplômes universitaires sur 1’interculturalité, les principes et les institutions de la République ». Il est donc extrêmement important que ces deux formations soient dispensées de manière concomitante. Pour l’instant, ce n’est pas obligatoire.
Je voudrais m’arrêter maintenant sur la loi de 1905 et sur les conventions signées entre nos ministres français et les ministres du culte de pays étrangers pour la formation théologique des futurs imams de France et la politique officielle des imams détachés.
La déclaration conjointe franco-marocaine, que j’ai entre les mains, est tout de même un modèle du genre. Signée par Laurent Fabius et par le ministre marocain des affaires islamiques – quel formidable signe de respect de la laïcité… –, elle rappelle « la volonté des autorités françaises d’accompagner la formation d’un islam pleinement ancré dans les valeurs de la République, […] dont les imams seront à terme formés en France ». Il y est indiqué plus loin qu’« une formation académique supplémentaire est dispensée en France selon les modalités arrêtées par les autorités françaises » – mais on ignore quelles sont ces modalités – et qu’un comité bilatéral assurera la coordination régulière entre la formation profane et la formation religieuse, dont on a bien compris qu’il n’était pas question dans ce débat.
Si cette déclaration conjointe est conforme aux principes de laïcité, notre simple proposition d’aligner les statuts des lois de 1901 et de 1905 et de rendre obligatoire une formation civique de l’ensemble des ministres des cultes l’est tout autant !
Dans la période très difficile que nous traversons, nous ne pouvons pas laisser le débat sur les cultes aux extrêmes. Il est impératif de définir avec les représentants de tous les cultes un modus operandi, un socle de notre vie républicaine. C’est exactement ce que propose Françoise Gatel, en s’inspirant du modèle britannique de conseil consultatif des cultes. Je pense que c’est une excellente initiative, et j’espère que la Haute Assemblée votera ce dispositif.
Notre pire ennemi est l’ignorance. Il faut former les cadres religieux en France conformément aux principes de la République. Il faut absolument que l’enseignement du bloc de légalité soit formalisé et obligatoire. C’est une partie fondamentale de la proposition de loi que je défends aujourd’hui. Il faut sortir de la crainte révérencielle du hashtag #pasdamalgame. N’abandonnons pas ce débat aux moins républicains d’entre nous…
Madame le ministre, utilisez le travail parlementaire que nous avons fait pour éclairer les annonces attendues du Président de la République. Notre conviction est que l’ordre public républicain s’applique à tous et à toutes partout sur le territoire de la République. C’est aux religions de s’adapter à la République et à l’état de droit, et certainement pas à la République de s’adapter aux pratiques religieuses des uns et des autres.