Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 juin 2018 à 9h00
Projet de loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Audition de M. Julien deNormandie secrétaire d'état auprès du ministre de la cohésion des territoires

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur :

J'entends bien vos propos : ce projet de loi a été coconstruit. La conférence de consensus sur le logement, voulue par le président du Sénat et acceptée par le Président de la République, prévoyait la possibilité d'enrichir le texte. Nous sommes malheureusement restés quelque peu sur notre faim. Si nous pouvons continuer à apporter des améliorations, nous le ferons dans un esprit de coconstruction.

Je suis néanmoins étonnée que vous n'ayez pas fait référence à ce qui s'est passé l'automne dernier lors de l'examen du projet de loi de finances. Que vous le vouliez ou non, le projet de loi ÉLAN aurait dû être présenté avant la discussion budgétaire, laquelle a créé un traumatisme auprès des bailleurs sociaux. L'objectif du choc de l'offre que vous affichez encore ici est de plus en plus difficile à atteindre. La baisse du budget pour les bailleurs sociaux avec la réduction de loyer de solidarité (RLS) pour compenser la baisse des APL conduit à une capacité d'autofinancement stagnante ou en diminution. Les promoteurs privés comme les organismes de logements sociaux constatent un net ralentissement de la construction - 14 % en moyenne. Même si vous voulez poursuivre le mouvement en 2019 et 2020, nous continuerons notre combat lors de la discussion budgétaire. Construire plus, mieux et moins cher, peut-on lire dans l'exposé des motifs de votre projet. Vu les besoins affichés dans nos territoires, nous sommes inquiets. Pour une bonne part, les mesures qui nous sont proposées ne sont que la conséquence de la loi de finances.

Bravo pour la simplification des autorisations d'urbanisme, des actes de construire et des contentieux de l'urbanisme. Vous avez réalisé ce que les uns et les autres ont réclamé pendant des années ! Le titre IV comprend aussi de bonnes choses. Mais il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Concernant les ordonnances - vous n'en avez pas parlé -, trop d'articles encore prévoient que le Parlement habilite le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance sur des sujets ô combien importants : la compatibilité entre les normes en matière d'urbanisme, la politique des loyers dans le parc social, l'habitat indigne. Cela ne nous satisfait pas. Grâce à la conférence de consensus sur le logement, la réforme du logement social ne sera pas faite par ordonnance. Avez-vous avancé sur la rédaction de ces différentes ordonnances ? Pourquoi ne proposez-vous pas des modifications du droit en vigueur ? Pourquoi ne retirez-vous pas certaines ordonnances, telles que celle qui concerne la réforme du droit de copropriété pour les proposer sous forme de projet de loi autonome ?

Le deuxième point important à nos yeux concerne le rôle et la place des collectivités territoriales. Vous avez parlé de contractualisation. Certaines mesures sont de nature à susciter des inquiétudes. Vous le savez, le Sénat est particulièrement attaché aux collectivités territoriales, les pièces maîtresses qui mettent en oeuvre les politiques locales et territorialisées de l'habitat. En matière d'urbanisme, les communes sont les grandes oubliées des opérations d'urbanisme -les projets partenariaux d'aménagement (PPA) et les grandes opérations d'urbanisme (GOU)- puisqu'elles permettent le transfert automatique de la compétence de délivrance des autorisations d'urbanisme du maire à l'échelon intercommunal, même à l'encontre de l'avis des communes, par arrêté préfectoral. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais avoir des éclaircissements sur ce point particulier.

L'hypercentralisation et l'hyperverticalité constituent d'autres lignes rouges. Nous craignons, au titre II, l'hyperverticalité concernant la restructuration du secteur social. Ne pensez-vous pas que la date du 1er janvier 2021 à partir de laquelle tous les organismes de logements sociaux comprenant 15 000 logements devront être regroupés est un peu trop proche ? La situation est fort différente selon les territoires. Nous sommes également inquiets concernant la réforme du logement social, car, en dépit de l'adoption de certains amendements par l'Assemblée nationale, certains points ne sont toujours pas résolus. Confirmez-vous qu'un bailleur social pourra appartenir à un groupe et à une société de coordination ? Dans l'affirmative, n'est-il pas paradoxal d'interdire aux bailleurs sociaux d'appartenir à plusieurs sociétés de coordination ? J'observe que les offices publics de l'habitat ne sont pas favorables à cette double appartenance. Attention à la gouvernance, y compris dans les sociétés de coordination. Il importe que les collectivités territoriales soient respectées et ne soient pas exclues de ces sociétés de coordination, qui vont avoir des compétences extrêmement importantes. Vous avez apporté des améliorations pour ce qui concerne le plan stratégique de patrimoine (PSP), mais vos mesures ne sont pas suffisamment formelles pour la gouvernance. Ne donnons pas simplement un strapontin aux collectivités territoriales, comme c'est le cas pour les associations de locataires.

Concernant la vente des HLM, pourquoi avoir prévu la vente de 40 000 logements sociaux, sachant que 8 000 logements sont actuellement vendus. On ne pourra atteindre cet objectif ambitieux ! Il n'existe pas de marché d'accession à la propriété dans le parc social, pas à cette hauteur en tout cas. Nous craignons des ventes en bloc, des ventes à la découpe, avec les conséquences qui en découlent : la financiarisation du logement social. Pourquoi ouvrir aussi largement les ventes des HLM et, dans le même temps, maintenir les dispositions actuelles de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU ? Cela me paraît contradictoire. Comment le maire sera-t-il associé à ces ventes ? Le droit de préemption des maires a été rétabli, mais ce n'est pas suffisant.

Vous n'avez pas parlé de la loi SRU, mais on ne saurait aborder une loi sur le logement sans en débattre au Sénat, dans la pluralité des idées. La loi SRU reste le grand absent, même si la durée pendant laquelle les logements sociaux vendus sont décomptés dans les quotas passe de cinq ans à dix ans. Les conclusions du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) montrent que même si les communes font, pour la plupart d'entre elles, des efforts pour avancer dans le domaine de la construction de logements sociaux, en vue d'atteindre le seuil des 25 % d'ici à 2025, nombre d'entre elles seront carencées. L'augmentation exponentielle du taux prévu par la loi conduira, bilans triennaux après bilans triennaux, de plus en plus de communes à être dans l'impossibilité de respecter cet objectif. Quid des communes entrantes, qui comptent aujourd'hui 3 500 habitants, mais qui n'ont plus que neuf ans pour atteindre cet objectif ? Quid des communes nouvelles ? Nous ne pourrons pas faire l'économie de toutes ces questions. Il nous faudra envoyer des signaux forts aux élus, aux maires et aux présidents d'intercommunalité.

Une question sur le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI) : on supprime la compétence disciplinaire pour des raisons purement financières, car ni l'État ni les professionnels ne veulent aujourd'hui financer cette instance. Que les professionnels de l'immobilier ne soient plus aujourd'hui soumis à un code de déontologie n'est-il pas problématique ?

L'article 51 prévoit opportunément de renforcer l'encadrement des meublés de tourisme, en vue de mieux lutter contre les investisseurs qui soustraient des logements au marché locatif traditionnel, plus particulièrement en zone tendue. L'engagement d'une fédération professionnelle réunissant la plupart des principales plateformes du secteur de nettoyer leurs stocks d'annonces, n'est-ce pas la simple application de la loi ?

Je laisserai mon collègue Patrick Chaize, expert en matière de numérique, s'exprimer sur ce point. Toutefois, je relève que les députés ont adopté à l'article 55 ter des dispositions relatives au carnet numérique de suivi et d'entretien du logement, qui avait été prévu dans le cadre de la loi de transition énergétique pour la croissance verte et dans le cadre du plan de rénovation énergétique présenté Nicolas Hulot en avril. Or ce carnet n'est toujours pas mis en oeuvre en raison de certaines imprécisions juridiques. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? J'ai cru comprendre que vous étiez défavorable aux dispositions adoptées par les députés en la matière.

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