Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 juillet 2018 à 14h45
Projet de loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteure :

La stratégie quinquennale du Gouvernement en matière de logement, présentée en septembre dernier, se déclinait selon trois axes : construire plus, mieux et moins cher pour provoquer un choc d'offre ; répondre aux besoins par la mise en oeuvre d'une politique en faveur du logement et par le renforcement de la mobilité sociale ; améliorer, enfin, le cadre de vie. Le projet de loi ELAN en constitue la traduction.

Le texte a fait l'objet d'une procédure exceptionnelle et innovante, puisque la Conférence de consensus sur le logement, souhaitée par le Président du Sénat et acceptée par le Président de la République, a permis de débattre, avec les professionnels, de cinq thèmes en amont de son examen par le Conseil d'État. Si cet échange a conduit le Gouvernement à modifier sa copie sur certains points - le bail mobilité a vu son champ d'application restreint et certaines ordonnances, notamment de réforme du secteur social, ont été supprimées - d'autres sujets - les relations entre bailleurs et locataires ou la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) par exemple - n'ont pas davantage été considérés. Le projet de loi a été au coeur de longs débats à l'Assemblée nationale, où plus de 5 000 amendements ont été déposés. Alors qu'il comportait initialement 65 articles, il en comprend désormais 180. Plus de 700 amendements ont ainsi été adoptés, majoritairement avec l'accord du Gouvernement. Nous sommes loin des annonces gouvernementales sur l'amélioration de la qualité de la loi et la limitation du nombre d'amendements par le renforcement des règles de recevabilité !

Il serait si fastidieux de vous présenter chaque article, que je vous exposerai seulement les dispositions majeures du texte, ainsi que mes propositions, guidées par quatre principes essentiels. Tout d'abord, j'ai prêté une attention particulière au rôle des collectivités territoriales, en particulier du maire, dans la mise en oeuvre des politiques locales de l'habitat, afin d'éviter une recentralisation des dispositifs au profit du préfet et d'assurer la prise en compte de la diversité des territoires. En outre, dès lors que nous avions, en Conférence de consensus, marqué notre attachement au débat parlementaire, j'ai supprimé certaines ordonnances prévues par le texte, il en reste désormais une dizaine. Je vous proposerai également de supprimer des articles relevant de l'affichage politique, comme celui relatif aux résidences junior, ou prévoyant des expérimentations sans déroger à une quelconque règle législative. Ces mesures contribuent inutilement à rendre la loi bavarde ! Enfin, je serai, par principe, défavorable à toute nouvelle disposition fiscale, qui devront plus logiquement être intégrées au prochain projet de loi de finances.

Le projet de loi comprend quatre parties. Le titre Ier, intitulé « construire plus, mieux et moins cher », rassemble des dispositions en matière d'urbanisme et de normes de construction. Il crée de nouveaux outils associant l'État et les collectivités territoriales dans la réalisation d'opérations d'urbanisme d'ampleur. Si le régime des opérations d'intérêt national (OIN) et des zones d'aménagement concerté (ZAC) est rénové à la marge, l'apport principal du texte est le contrat de projet partenarial d'aménagement (PPA), associant État et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour l'aménagement de périmètres de grandes opérations d'urbanisme (GOU). La contractualisation croissante des grands projets apparaît certes moderne, mais les communes semblent être oubliées de ces nouveaux outils. Je vous proposerai donc d'associer pleinement les maires à ces projets structurants pour les territoires.

Une attention particulière a également été portée à la rationalisation des procédures de concertation, souvent perçues comme contraignantes par les porteurs de projet. Il apparaît effectivement nécessaire d'améliorer le dialogue entre les acteurs du parcours d'autorisation et de faciliter la participation par voie électronique des citoyens pour s'inscrire pleinement dans l'ère de la démocratie participative. Le texte ambitionne, en outre, de simplifier et de rationaliser les procédures d'urbanisme qui s'imposent aussi bien aux collectivités lors de l'élaboration de leurs documents d'urbanisme qu'aux porteurs de projets au quotidien. Deux habilitations à légiférer par ordonnance sont demandées à cet effet par le Gouvernement.

Le foncier représente une ressource clé pour les collectivités territoriales comme pour l'État : le projet de loi facilite les modalités de cession de foncier public au bénéfice de la réalisation de logements sociaux. Je vous proposerai de donner aux établissements publics fonciers (EPF) locaux, qui jouent un rôle central dans le développement des politiques foncières territoriales, les mêmes compétences que celles des EPF d'État. Pour lutter contre le phénomène de vacance, je vous proposerai, de renforcer et prolonger le dispositif volontaire de mise à disposition temporaire de locaux vacants et de mieux encadrer les modalités de réquisition à fin d'hébergement d'urgence, dans le respect du droit de propriété.

Les députés ont intégré des dispositions destinées à pallier les blocages et les incohérences des prescriptions de la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral. Le Sénat se fait, depuis longtemps, le relais du besoin de flexibilité exprimé par les élus, afin de permettre le comblement des dents creuses et le développement des communes littorales : soutenons-les !

Au service des objectifs de couverture numérique du territoire et de lutte contre l'habitat indigne, la portée contraignante de l'avis des architectes des bâtiments de France (ABF) est assouplie dans des cas limitativement énumérés. Le poids de la décision des maires sera renforcé, afin qu'ils puissent se prononcer sur les projets essentiels au développement de leur commune. Par ailleurs, dans la continuité des travaux réalisés par le Sénat, notamment la proposition de loi de nos collègues MM. François Calvet et Marc Daunis, le texte poursuit la réflexion sur l'amélioration du contentieux de l'urbanisme. Une justice efficace, qui garantit le droit au recours et qui sécurise les constructions existantes tout en faisant respecter le droit des sols, apparaît essentielle à la politique du logement et de l'aménagement.

En matière de construction, les normes d'accessibilité sont assouplies en prévoyant que 10 % de logements seraient accessibles, les autres devant être évolutifs. Le sujet est sensible et il nous revient d'arbitrer entre une nécessaire simplification des normes et l'accessibilité des logements à nos concitoyens handicapés : je vous soumettrai une solution de compromis. Enfin, il est prévu, pour limiter le gaspillage, de permettre à tout acheteur sur plan de se réserver l'exécution de travaux de finition et d'installation d'équipements.

Le titre II, intitulé « évolutions du secteur du logement social », comprend les dispositions relatives à la restructuration du parc social. Il aurait, à mon sens, mérité d'être présenté avant la dernière loi de finances, qui a instauré la réduction de loyer de solidarité pour compenser la baisse des aides personnalisées au logement (APL). Chacun a pu constater combien cette réforme aussi brutale qu'unilatérale s'était traduite, au lieu du choc d'offre promis, par un net ralentissement de la construction privée comme sociale. Le projet de loi précise notamment les modalités de regroupement des organismes de logement social selon un double critère : un seuil de 15 000 logements pour les organismes HLM ou de 50 millions de chiffres d'affaires pour les sociétés d'économie mixte. Ces seuils ne me paraissent nullement en adéquation avec la situation des bailleurs sociaux, aussi je vous proposerai de les abaisser à 10 000 logements gérés et à 25 millions d'euros de chiffres d'affaires.

Le projet de loi interdit, par ailleurs, l'appartenance simultanée à deux sociétés de coordination (SAC) mais permet l'affiliation à une SAC et à un groupe. Or, la SAC est élaborée sur le modèle d'un groupe : définition d'une unité identitaire, communication commune, consolidation des comptes, contrôle financier. Cette double appartenance me semble problématique en ce qu'elle mettra les organismes doublement rattachés dans des situations insolubles à devoir trancher entre les orientations du groupe et celles de la SAC.

Dans la mesure où il n'existe pas de marché d'accession à la propriété dans le parc social à un niveau suffisant, la vente de 40 000 logements sociaux constitue un objectif irréaliste ! Pire, le Gouvernement n'est pas à une contradiction près en facilitant les ventes tout en maintenant des obligations de construction de logements sociaux... Le maire ne doit cependant pas être oublié de la procédure : son vote conforme sur la vente de logements sociaux doit être exigé.

La loi SRU demeure la grande absente du projet de loi puisqu'il est seulement prévu d'allonger le décompte des logements sociaux vendus de cinq à dix ans. Nous avions déjà qualifié ce calendrier d'irréaliste lors de l'examen de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté. Les communes devront faire en un triennat ce qu'elles ont réalisé en vingt ans ! Il faut desserrer le calendrier en vigueur et instaurer un délai spécifique pour les communes entrantes. Je vous proposerai également de décompter les logements financés par un prêt social location accession (PSLA) et ceux objets d'un bail réel solidaire. Mes propositions sont pragmatiques et raisonnables : il ne s'agit pas d'exonérer les communes de leurs obligations mais de leur donner les moyens de les réaliser. Le texte élargit enfin les compétences des organismes HLM à leur demande. Le sujet de l'usufruit fait encore débat ; je suis favorable à ce que ne soit pas prolongée l'expérimentation en la matière.

Le titre III, « répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale », comprend des dispositions diverses. Concernant le parc social, il donne aux commissions d'attribution des logements la mission de réexaminer la situation des locataires en situation de sur-occupation ou de sous-occupation. Cette révision pourrait avoir lieu tous les six ans et non tous les trois ans. Il prévoit également la généralisation du système de cotation, le renforcement des obligations de mixité sociale et la gestion en flux. Ces dispositifs doivent pouvoir s'adapter à la diversité des situations et des territoires.

S'agissant du parc privé, le bail mobilité est instauré, les dispositions en matière d'encadrement des loyers deviennent une expérimentation fondée sur le volontariat des EPCI et la compétence disciplinaire du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI) est supprimée, point sur lequel un compromis m'apparaît nécessaire. Il nous reviendra également d'établir un meilleur équilibre entre bailleurs et locataires, afin de lever le frein au retour des investisseurs institutionnels dans l'investissement locatif.

Le projet de loi comprend, en outre, plusieurs dispositions relatives aux établissements du secteur social et médico-social. En matière d'hébergement des personnes sans domicile ou éprouvant des difficultés à se loger, il renforce le pilotage des établissements en vue d'assurer un meilleur accueil du public visé et permet une accélération du programme de construction de résidences hôtelières à vocation sociale. Il répond également, à travers le statut de l'habitat inclusif, à une demande des personnes âgées et handicapées pour la création d'un statut intermédiaire entre le domicile et l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) reposant sur un projet collectif élaboré et mis en oeuvre par les principaux concernés. Enfin, le texte prolonge, s'agissant des meublés de tourisme, les lois du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) et du 7 octobre 2016 pour une République numérique, en clarifiant le droit applicable et en instaurant des sanctions associées aux obligations pesant sur les loueurs et les intermédiaires.

Le titre IV comprend enfin des mesures pour améliorer le cadre de vie. S'agissant du dispositif de revitalisation des centres-villes, je vous proposerai d'assurer au mieux sa conciliation avec la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Soyons clairs : il est peu vraisemblable que le dispositif sénatorial trouve entièrement sa place dans le projet de loi, dont la philosophie diverge. Je reste néanmoins persuadée qu'une partie de nos apports trouvera une oreille favorable auprès de nos collègues députés et du Gouvernement.

Plusieurs mesures concernent, en outre, la rénovation énergétique des bâtiments, les objectifs pour les bâtiments tertiaires sont précisés, afin de remédier à une censure du Conseil d'État. Je vous proposerai de supprimer les sanctions pour leur préférer des politiques incitatives. Les députés ont également souhaité, à raison, rattraper les malfaçons de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte s'agissant du carnet numérique d'information, de suivi et d'entretien du logement.

En ce qui concerne la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil, le projet de loi consacre des avancées non négligeables, grâce à une coopération remarquable entre le Gouvernement et nos collègues députés pour faire avancer cette cause. Le texte généralise les astreintes à l'ensemble des polices rattachables à la lutte contre l'habitat indigne, étend la durée de la peine complémentaire d'interdiction d'acheter applicable aux marchands de sommeil et la rend systématique, interdit à un marchand de sommeil de participer à une vente par adjudication. Je vous proposerai de contribuer à l'édification de cet ouvrage, en m'opposant néanmoins au traitement par ordonnance du sujet ô combien sensible de la répartition des compétences entre les communes et les EPCI en matière de polices de lutte contre l'habitat indigne.

En matière de copropriété, le texte prévoit une double habilitation à légiférer par ordonnance pour codifier le droit de la copropriété - cette clarification est attendue -, et pour clarifier, moderniser et adapter les règles d'organisation et de gouvernance de la copropriété. Cette seconde habilitation représente un blanc-seing donné au Gouvernement ! Je prône sa suppression au profit de dispositions législatives élaborées à partir des éléments figurant dans l'étude d'impact, des travaux du Groupe de recherche en copropriété et des auditions réalisées. Aucune ne concernera néanmoins la différenciation des règles applicables selon le type et la taille des copropriétés, le sujet n'étant pas mûr.

S'agissant du volet relatif au déploiement des réseaux numériques, il s'agit de permettre une simplification des procédures sans créer un droit d'exception spécifique aux communications électroniques. Le projet de loi apporte des réponses concrètes aux attentes de nos concitoyens ; l'équilibre trouvé sur l'information-consultation des maires apparaît notamment satisfaisant. Sur ce volet, Patrick Chaize a des propositions à nous faire.

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