Intervention de Philippe Bas

Réunion du 5 juillet 2018 à 10h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Articles additionnels après l'article 2 bis C

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Deux hypothèses sont à distinguer.

Première éventualité, la conviction profonde du médecin est que l’enfant se trouvant devant lui a subi des sévices, quelle qu’en soit la nature, appelant une intervention qui prendra la forme, dans l’urgence, d’une saisine du procureur. Dans ce cas, il n’y a pas de question. Tout le monde est absolument d’accord pour dire que, s’il constate des sévices sur un enfant, le médecin doit absolument saisir le procureur ; s’il ne le fait pas, il encourt lui-même des poursuites pénales pour non-dénonciation d’une infraction subie par un enfant. Il n’y a pas à barguigner : c’est clair et net, mais c’est déjà ce que prévoit le droit. Dans cette situation, le médecin doit déroger au secret professionnel, car il n’y a pas de secret professionnel qui tienne face à l’impérieuse nécessité de protéger l’enfant, dès lors que le médecin a la certitude de l’infraction.

Seconde éventualité, le médecin ne sait pas comment interpréter les signes qu’il a sous les yeux ; il ne peut pas dire si les souffrances de l’enfant résultent d’un accident, par exemple, ou de sévices. Que doit-il faire ? Il a le choix entre saisir le procureur ou la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP. Ce n’est pas la même chose.

Le travail de la CRIP consiste à mobiliser tous les personnels sociaux, éducatifs et médicaux qui peuvent avoir été en contact avec l’enfant et la famille, pour essayer de tirer au clair les éléments portés à sa connaissance par le médecin ou, parfois, par le professeur des écoles ou l’infirmière scolaire. À ce moment-là, il appartient au président du conseil départemental, qui est responsable de cette cellule, de prendre toutes dispositions utiles pour protéger l’enfant. Elles peuvent éventuellement, après ce complément d’enquête très rapide, comporter la saisine du procureur afin d’engager des poursuites et, éventuellement, de retirer en urgence l’enfant à sa famille.

Il faudrait faire en sorte que le médecin, en cas de suspicion, s’adresse par priorité à cette cellule plutôt qu’au procureur. En effet, les services de la gendarmerie et de la police reçoivent énormément de plaintes, qu’ils n’arrivent plus à traiter. Les officiers de police judiciaire sont saturés de plaintes. Or le médecin n’a pas la certitude de l’infraction : il a simplement un doute qu’il ne peut garder pour lui, qu’il doit absolument communiquer à une instance qui agira très rapidement pour protéger l’enfant si c’est nécessaire.

Il faudrait donc que, dans cette hypothèse, le médecin qui ne saisit pas la CRIP, alors même qu’il a un soupçon, puisse faire l’objet de sanctions. C’est ainsi que je vois les choses. Les amendements identiques de M. Milon et de Mme Meunier vont tout à fait dans ce sens, mais à une nuance près : ils prévoient non pas expressément une sanction pour non-signalement à la CRIP, mais, en réalité, par une combinaison de textes avec le droit pénal, une sanction pour non-transmission du signalement au parquet et à la police judiciaire.

C’est ce qui me gêne, et c’est la raison pour laquelle j’estime que ces amendements ne sont pas aboutis. Je suis néanmoins d’accord, pour m’en être entretenu notamment avec le président Milon, avec l’idée qu’il faudrait non seulement que le médecin ne soit pas réputé avoir violé le secret professionnel s’il transmet le signalement à la CRIP, mais aussi que, s’il a omis de le faire, il soit passible de sanctions. En effet, nous voulons avant tout protéger l’enfant, ainsi que le médecin qui a fait son devoir, afin qu’il n’encoure pas de reproche pour cette raison.

Ce n’est pas, monsieur Milon et madame Meunier, ce que prévoient vos amendements ; c’est pourquoi je ne peux m’y rallier au nom de la commission. À ce stade, je vous propose de retirer vos amendements au profit de celui de la commission. Ce qui m’importe, en tout état de cause, c’est d’introduire le dispositif dans le texte afin que la commission mixte paritaire puisse le finaliser.

Je suis profondément d’accord avec votre intention, mais je ne veux pas que l’on submerge davantage encore les officiers de police judiciaire et les parquets avec des signalements reposant sur une simple suspicion. Je préfère que l’on s’en tienne, quand il n’y a pas de certitude, à la voie normale, qui consiste à adresser le signalement à la CRIP, en instaurant tout l’appareil de dérogation au secret professionnel, d’une part, et de sanction du médecin n’ayant pas fait de signalement à la CRIP, d’autre part.

Telle est l’économie générale de la réponse que je souhaitais faire au nom de la commission. Je demande donc le retrait des amendements identiques n° 1 rectifié quater et 13 rectifié bis, ainsi que des amendements n° 27 rectifié, 2 rectifié quater et 14 rectifié bis ; à défaut, la commission y sera défavorable. L’important, c’est que nous arrivions à progresser ensemble vers une rédaction qui couvre tout le spectre de nos préoccupations.

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