Intervention de Marie Mercier

Réunion du 4 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Madame la présidente, madame le garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, que celles-ci concernent les femmes ou les hommes, les mineurs ou les majeurs, est un sujet sociétal gigantesque qui nous tient particulièrement à cœur.

Ce sujet n’est pas nouveau. Nous en avons déjà débattu, notamment dans le cadre du groupe de travail pluraliste de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, qui a étroitement associé la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Le sujet a également été longuement évoqué lors de l’examen de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, présentée par le président de la commission des lois et adoptée le 27 mars dernier à la quasi-unanimité.

Ce projet de loi a l’objectif louable et ambitieux de mieux lutter contre les violences sexuelles et sexistes : il propose à cette fin d’allonger certains délais de prescription, de mieux réprimer les viols commis à l’encontre des mineurs, ou encore de mieux réprimer les faits de harcèlement sexuel ou moral, notamment lorsqu’ils sont commis sur internet.

La commission des lois a tenu à aborder ce texte dans un esprit constructif. Nous partageons tous les mêmes objectifs que le Gouvernement.

Il est indispensable de continuer le combat contre les violences sexuelles et sexistes, violences qui touchent en majorité les femmes, mais aussi et trop souvent les mineurs, filles comme garçons.

Comme le Gouvernement, nous considérons qu’il est essentiel de lutter contre les comportements sexistes dont sont victimes les femmes dans l’espace public. Ces comportements anciens sont trop souvent tolérés, banalisés, voire intégrés par les femmes elles-mêmes, qui ont tendance à adapter leurs comportements et leurs déplacements en fonction de ce risque.

Comme le Gouvernement, nous considérons que les violences sur internet ne sont pas virtuelles. Bien que peu médiatisées, elles n’en restent pas moins réelles, avec des conséquences psychiques et physiques tout aussi dramatiques.

Si la commission des lois a partagé sans réserve les objectifs du projet de loi, elle a néanmoins eu à cœur d’améliorer l’efficacité de certaines mesures et, évidemment, de reprendre l’ensemble des dispositions que le Sénat avait adoptées le 27 mars dernier lors du vote de la proposition de loi de Philippe Bas.

Certaines de ses dispositions avaient déjà été reprises à l’Assemblée nationale.

Ainsi, l’article 2 du projet de loi a été modifié afin d’étendre la surqualification pénale de l’inceste aux viols et autres agressions sexuelles commis à l’encontre de majeurs. C’est la proposition n° 14 du rapport d’information.

De même, l’article 2 du projet de loi, dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, aggrave les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. C’est la proposition n° 15 du rapport d’information.

Enfin a également été adoptée à l’Assemblée nationale l’aggravation des peines en cas de non-assistance ou de non-dénonciation d’actes de mauvais traitements, ce qui correspond à l’article 6 bis de la proposition de loi sénatoriale.

Nous nous en félicitons, tout en regrettant néanmoins que ces travaux n’aient pas été cités.

L’ensemble des modifications apportées en commission des lois ont été guidées par la volonté de rendre plus efficace ce texte : nous ne voulons pas de mesures purement symboliques, au détriment non seulement des règles constitutionnelles, mais aussi de l’efficacité de la loi.

Que retenir de l’examen en commission des lois ?

La commission a d’abord adopté l’allongement à trente ans du délai de prescription pour les crimes sexuels et violents commis à l’encontre des mineurs. Elle a également adopté, sur l’initiative de François-Noël Buffet, une disposition innovante visant à faciliter le recours à l’obstacle de fait insurmontable, qui vise à suspendre la prescription. Elle a modifié le régime de prescription de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription.

Concernant le harcèlement sexuel et moral, notamment commis sur internet, la commission a approuvé les modifications de l’Assemblée nationale en les enrichissant. Elle a ainsi adopté une disposition permettant de mieux lutter contre le cyberharcèlement en conférant de nouvelles obligations aux plateformes en la matière.

Concernant l’outrage sexiste, la commission des lois en a approuvé le principe tout en refondant le dispositif. En effet, elle n’a pas jugé opportun d’en faire une contravention : comme l’a rappelé le Conseil d’État au Gouvernement, la création d’une contravention relève du pouvoir réglementaire, et non du pouvoir législatif.

Au regard de la gravité des faits et de la complexité des éléments constitutifs de l’infraction, qui devront être constatés par les policiers et gendarmes, la commission des lois a jugé plus pertinent d’en faire un délit.

Néanmoins, afin de permettre une constatation en flagrant délit et une sanction rapide, la commission des lois a prévu l’application de la procédure de l’amende forfaitaire en matière délictuelle pour cette infraction.

Concernant la répression des viols, commis sur majeurs ou sur mineurs, la commission des lois a approuvé, en en améliorant la rédaction, l’extension de la définition du viol adoptée par l’Assemblée nationale aux actes de pénétration forcés, commis non pas sur la victime, mais sur l’auteur des faits, au détriment de la victime : il s’agit des fellations réalisées de force sur de jeunes mineurs, qui n’étaient jusqu’à présent pas considérées comme un viol.

Concernant la répression des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, le Gouvernement est revenu sur ses premières déclarations. Initialement en effet, il avait annoncé la création d’une présomption irréfragable de non-consentement attachée à un seuil d’âge pour les mineurs. Une telle annonce, un peu précipitée, se dispensait d’une réflexion sur les pratiques judiciaires ou d’une évaluation de l’arsenal pénal existant.

À l’inverse, la commission des lois a choisi de prendre le temps de la réflexion avant d’annoncer une évolution de la loi : par la création d’un groupe de travail pluraliste, elle a proposé son analyse des défaillances actuelles dans la répression des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Pourquoi un arsenal pénal si vaste est-il aussi peu connu et mobilisé ? Pourquoi les crimes sexuels font-ils autant l’objet d’une correctionnalisation ? Ce n’est pas parce que la loi est incomplète, et la seule création de nouvelles dispositions de nature pénale n’y changerait rien.

Évidemment, comme nous l’avions déjà souligné dans notre rapport d’information, le Conseil d’État a considéré que de telles dispositions paraissaient contraires à plusieurs dispositions constitutionnelles. Il a rappelé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel empêchait toute création de présomption irréfragable de culpabilité, surtout en matière criminelle. Or la création d’une infraction qui reviendrait à créer une présomption irréfragable de culpabilité pour tout majeur ayant une relation sexuelle avec un mineur de quinze ans porterait une atteinte disproportionnée au principe de la présomption d’innocence et aux droits de la défense.

Comme l’a rappelé le Conseil d’État, la seule circonstance que l’auteur « ne pouvait ignorer l’âge de la victime » ne répond pas à l’exigence constitutionnelle relative à l’élément intentionnel en matière criminelle.

En conséquence, le Gouvernement a renoncé à son projet initial pour proposer la création d’une disposition interprétative concernant la contrainte morale ou la surprise pour les viols commis sur les mineurs de moins de quinze ans et la création d’une circonstance aggravante pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas d’acte de pénétration sexuelle.

La commission des lois a choisi de modifier la disposition interprétative. Elle a supprimé la circonstance aggravante pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas d’acte de pénétration sexuelle. En effet, une telle disposition crée une possibilité supplémentaire de requalification du viol en atteinte sexuelle et accroît donc le risque de correctionnalisation. Le viol reste un crime.

Surtout, la commission des lois a choisi d’aller plus loin : elle a décidé de protéger tous les mineurs victimes de viols, pas seulement ceux de moins de quinze ans, pas seulement ceux de moins de treize ans.

En conséquence, elle a proposé la création d’une présomption de contrainte qui inverse la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs, lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure. Ce sera à l’agresseur de prouver qu’il n’y a pas eu contrainte !

Cette disposition, plus souple que l’instauration d’une présomption simple reposant sur un seuil d’âge des victimes, permet de s’adapter à la diversité des situations et, surtout, de protéger tous les mineurs.

Il convient de faire très attention à toute modification de la loi pénale : nous ne pouvons instrumentaliser son évolution au profit d’une communication politique ! Nous ne pouvons pas non plus simplifier de manière excessive le code pénal au risque d’affaiblir la protection actuelle des mineurs ! À cet égard, la commission des lois a également supprimé tous les « neutrons législatifs ».

Enfin, la commission des lois a réparé les oublis du projet de loi. Ce texte ne parle en effet que de la réponse pénale. Or la prévention des violences est essentielle ! Cela doit être la priorité. C’est pourquoi elle a proposé que ce projet de loi porte véritablement les orientations de la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Je ferai miens les propos de Lamartine, qui a vécu en Saône-et-Loire : « J’ai eu le courage et le chagrin de vous déplaire, mais de vous déplaire pour vous servir. » Là, il s’agit de servir les victimes de violences sexuelles.

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