Intervention de Philippe Bas

Réunion du 4 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, beaucoup d’entre vous le savent, j’ai consacré une part importante de ma vie publique à la protection de l’enfance, comme ministre en charge notamment de la famille et comme président de conseil départemental. J’ai ainsi eu l’honneur de défendre devant le Parlement, en 2007, la loi refondant la protection de l’enfance, adoptée à l’unanimité des deux chambres.

Puisque Mme la secrétaire d’État et plusieurs d’entre vous, chers collègues, nous ont invités à être dignes de l’héritage de Simone Veil, je m’efforcerai, moi aussi, d’être à la hauteur de la fidélité que je lui dois, ayant été l’un de ses plus proches collaborateurs – je pense être le seul dans ce cas au sein de notre assemblée.

Je n’ai qu’un objectif aujourd’hui, protéger les enfants et, plus précisément, protéger tous les enfants, et pas seulement une partie d’entre eux. Et je pense que la solution proposée par la commission des lois est la plus protectrice de toutes.

Je veux rappeler que le droit pénal français est déjà un droit très protecteur de l’enfant victime, même si nous pouvons bien sûr encore l’améliorer, en particulier sur la prescription et sur la caractérisation de la contrainte qui entre dans la définition du viol ; j’y reviendrai.

Aujourd’hui, le viol d’un enfant, c’est vingt ans de prison ; l’agression sexuelle d’un enfant, dix ans ; l’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans, cinq ans. Fort heureusement, les magistrats sont généralement d’une grande sévérité pour réprimer ces crimes et ces délits graves. C’est d’ailleurs le moins que l’on puisse attendre face à l’intolérable. Nous proposons d’aller encore plus loin.

Il peut, certes, y avoir des décisions de justice choquantes. Mais le meilleur moyen de corriger les erreurs d’une justice qui reste une œuvre humaine n’est pas de modifier la loi pénale quand elle est déjà sévère, c’est de rénover et de réformer la justice, comme le Sénat l’a proposé depuis plusieurs années, et de la réformer vigoureusement.

Si nous devions modifier la loi pénale chaque fois que le réquisitoire d’un procureur ou le jugement d’un tribunal nous choque, alors nous ferions fausse route et nous serions, de surcroît, inefficaces. Dans un État de droit, la régulation du fonctionnement des tribunaux se fait par l’appel et la cassation.

À la suite d’un avis très rigoureux du Conseil d’État, le Gouvernement a dû renoncer à créer une présomption irréfragable de culpabilité, c’est-à-dire une présomption qui ne permet pas à l’accusé d’apporter la preuve de son innocence, pour tout acte sexuel avec pénétration commis par une personne majeure sur une personne mineure de quinze ans. L’Assemblée nationale l’a suivi. En effet, nos droits fondamentaux prévoient, et c’est à notre honneur, que même le pire des assassins a le droit de plaider sa cause et de tenter de démontrer son innocence pour se disculper. Un tel principe ne saurait connaître de dérogation et n’en a jamais connu dans notre République. Il n’en connaît d’ailleurs nulle part en Europe.

Tout automatisme dans la sanction d’un crime est un déni de justice. Le rôle du juge consiste à réunir les preuves du crime et à apprécier la réalité de l’intention criminelle. La présomption irréfragable de culpabilité ferait de lui une sorte de greffier, voire de robot, constatant des faits sans avoir de responsabilité d’appréciation pour les qualifier ou non de crimes. Dans des affaires si graves, il faut pourtant entendre chacun, respecter les droits de la défense de l’accusé et vérifier la réalité du crime avant d’enfermer pour vingt ans un individu. C’est parce que cette fonction aura été bien remplie que la peine sera légitime, si lourde soit-elle, et nous souhaitons bien sûr qu’elle soit lourde quand la victime est un enfant.

Ces principes ont une force considérable. Le Gouvernement l’a admis, comprenant qu’il ne suffisait pas de bonnes intentions pour faire de bonnes lois. Il a donc inventé une formule consistant à éclairer la cour d’assises sur l’interprétation de la notion de contrainte morale, qui permet de définir un viol sans violence ni menace.

Cette proposition est nettement meilleure que la précédente, mais elle comporte deux faiblesses : d’une part, l’introduction d’un seuil d’âge, quel qu’il soit, ne permet pas de protéger tous les enfants ; d’autre part, c’est une simple disposition interprétative, sans portée juridique, qui aurait pu relever en réalité d’une instruction de la Chancellerie aux procureurs.

La solution adoptée par notre assemblée le 27 mars dernier, à l’unanimité moins trois voix, me paraît bien meilleure, car elle est plus sévère pour l’agresseur. Aujourd’hui, l’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que le procureur de la République ait prouvé sa culpabilité. Notre solution consiste à énoncer une présomption simple de contrainte morale quand le discernement de la jeune victime, quel que soit son âge, rend impossible un consentement libre et éclairé.

Cette présomption de viol imposerait à l’agresseur de prouver son innocence, sa culpabilité étant présumée jusqu’à preuve contraire. Il y aurait donc bien une inversion de la charge de la preuve. La différence d’âge entre l’agresseur et la victime serait également prise en compte. Un agresseur de trente ans ne pourrait jamais se prévaloir de l’éventuel discernement d’une victime de douze ans pour s’exonérer de son crime. Cette solution est beaucoup plus rigoureuse pour l’accusé et beaucoup plus protectrice pour la victime que la proposition actuelle du Gouvernement.

Certains de nos collègues, qui ont pourtant voté la proposition de loi adoptée par le Sénat en mars dernier, ont considéré qu’il fallait en réalité reprendre la proposition initiale du Gouvernement, en décidant que « constitue un crime puni de vingt ans de prison, tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans ».

Mes chers collègues, je vous invite à être cohérents par rapport au vote de mars. La mise en œuvre d’une telle proposition apporterait aux enfants une fausse protection : comment pourrait-on justifier que la protection d’un enfant de « treize ans moins un jour » soit différente de celle d’un enfant de « treize ans plus un jour » ? Accepterions-nous qu’une relation amoureuse entre deux mineurs prenne soudain un caractère criminel, simplement parce que l’aîné des deux aura fêté son dix-huitième anniversaire ? Que décideront les juges en cas d’agression sexuelle sur des enfants de treize à quinze ans si le législateur marque lui-même la nécessité de différencier ces victimes au regard de la loi pénale ?

Nous avons bien sûr à nous préoccuper de la constitutionnalité de ce que nous votons, car, la Constitution, ce sont les droits fondamentaux des Français. C’est ainsi que nous continuerons à mériter d’être considérés comme la chambre de la réflexion, de la sagesse, des libertés, mais aussi comme une assemblée réellement protectrice de l’enfance en danger.

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