Intervention de Philippe Bas

Réunion du 4 juillet 2018 à 21h45
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Article 2, amendements 129 23

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Pour en avoir longuement délibéré avec Marie Mercier, vous me permettrez de vous exposer, en notre nom à tous deux, notre point de vue.

Je sais bien que cette matière est vraiment difficile et, en réalité, on se rend compte qu’elle est compliquée. Il ne s’agit pas ici de la principale innovation de la commission des lois. Celle que nous portons consiste à dire que, dans la mesure où il n’est pas possible de prévoir la présomption irréfragable, prévoyons au moins la présomption simple ; cette question sera abordée dans un instant.

Pour l’instant, on parle de ce qu’est un viol. Il faut bien que le droit le définisse pour que des condamnations pour viol puissent être prononcées.

Depuis 2010, l’article 222-22-1 du code pénal prévoit que la contrainte peut caractériser un viol et qu’elle peut être physique ou morale. Mais qu’est-ce qu’une contrainte morale ? Pour aider le juge, le législateur a précisé que la contrainte morale peut résulter d’une différence d’âge, combinée à l’exercice d’une autorité de droit ou de fait que l’agresseur exerce sur la victime, ces deux conditions étant indissociables et non pas exclusives l’une de l’autre.

Dans un premier temps, nous avons estimé qu’il suffisait, pour qu’il soit plus facile pour le juge de reconnaître la contrainte morale et, donc, de condamner la personne pour viol, que l’une des deux conditions soit remplie, au lieu des deux obligatoirement, pour caractériser cette contrainte, à savoir l’autorité sur la victime ou bien la différence d’âge : si l’un de ces deux éléments est présent dans l’affaire à juger, le juge peut alors estimer qu’il y a vraiment contrainte morale. Cela vaut non pas seulement pour les mineurs, mais aussi pour tous les viols, à tous les âges de la vie.

On peut évidemment se dire que l’on a peut-être eu tort d’introduire en 2010 dans la loi pénale des éléments d’ordre interprétatif. D’ailleurs, précédemment, je me suis assez clairement exprimé contre ce procédé. Mais dès lors qu’ils y figurent, autant qu’ils soient clairs. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a souhaité procéder de cette manière.

Ensuite, nous avons pensé que nous devions aussi nous occuper des mineurs, et tel est d’ailleurs l’objet principal du texte que nous examinons. Toujours dans le cadre du viol – l’âge de la majorité sexuelle est fixé depuis longtemps à quinze ans –, avec les mineurs de moins de quinze ans – nous ne parlons pas ici des mineurs tout jeunes, pour lesquels nous avons pensé à la présomption simple, et non pas irréfragable certes, de contrainte morale caractérisant le viol, qui inverse la charge de la preuve, dont nous avons parlé précédemment –, nous avons tout de même affaire à de grands adolescents. Même si nous ne savons pas quelle est globalement leur vie sexuelle, c’est l’âge où arrive la sexualité, avec une pratique qui diffère d’un adolescent à l’autre. C’est ce que nous avons voulu exprimer avec la notion de maturité sexuelle : la contrainte morale sera bien sûr présumée lorsque la victime a moins de quinze ans, sauf s’il est établi que cette jeune victime a déjà une vie sexuelle harmonieuse et épanouie. On ne pourra pas alors dire que la relation sexuelle a eu lieu sans que celle-ci connaisse les conséquences de cet acte. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu viol, mais le juge appréciera.

Je comprends bien l’appréciation du juge dans certains cas et j’entends bien ce que disent certaines associations, qui veulent que le juge se comporte comme un greffier – j’ai parlé de « robot » précédemment pour pousser l’analogie à l’excès – et préfèrent le jugement automatique au jugement humain. Pour ma part, j’estime que, dans un pays, il n’y a pas de bonne régulation par les tribunaux si l’on substitue le jugement automatique au jugement humain.

Il ne s’agit ici que d’apporter une aide au juge pour lui permettre d’avoir des références : il reste libre de décider qu’il y a eu contrainte morale ou pas.

Nous ne voulons pas revenir au texte du Gouvernement. Madame la garde des sceaux, je vous ai vraiment écoutée avec beaucoup d’attention et je reconnais toute la valeur du point de vue que vous avez énoncé, un point de vue de prudence en fait, et je le comprends. Au fond, vous pensez que le droit pénal n’est pas si mal fait que cela, qu’il sera bon d’introduire dans la loi un peu plus d’éléments pour guider le juge, mais qu’il ne faut surtout pas le modifier de fond en comble. Selon vous, il n’est même pas certain que la présomption simple soit reconnue comme étant conforme à la Constitution. Moi, je suis plus optimiste que vous.

Je vous ai lu la décision du Conseil constitutionnel : il est absolument impossible de prévoir la présomption irréfragable, mais la présomption simple n’est pas interdite à certaines conditions, et nous estimons, pour notre part, que les conditions sont réunies.

Mes chers collègues, vous reprochez parfois à Marie Mercier et à moi-même de faire trop de droit, mais je tiens à vous dire que nous prenons, nous aussi, des risques : nous ne voulons pas aller jusqu’à la certitude de l’inconstitutionnalité, mais nous sommes prêts à défendre la conformité de la présomption simple à nos droits fondamentaux. C’est pourquoi nous émettons un avis défavorable, comme vous l’aviez anticipé, madame la garde des sceaux, sur l’amendement n° 129, ainsi que sur l’amendement n° 23 rectifié de Mme de la Gontrie.

Nos intentions sont pures, je tiens tout de même à le dire, même si cela va de soi, je le sais – veuillez m’excuser de le dire sur le ton de l’humour, alors que le sujet appelle à la gravité –, mais cette disposition nous semble non pas contraignante, mais interprétative. Nous voulons protéger les mineurs qui approchent les quinze ans, car ils ne sont pas tous faits sur le même modèle : dans certains cas, il n’y aura réellement pas eu de contrainte, contrairement à d’autres. Aussi, il importe que le juge ait la capacité d’examiner individuellement chaque affaire en fonction de la réalité de la situation qui lui est soumise. Je vous en conjure, faisons quand même confiance au juge, dès lors que la loi est suffisamment précise.

Permettez-moi de remercier Mme la présidente de séance de m’avoir permis de développer cette argumentation. Veuillez m’excuser, mes chers collègues, s’il vous est apparu que celle-ci était trop juridique. Mais je ne peux pas m’empêcher de faire du droit dans la mesure où nous faisons la loi. Par ailleurs, je veux que l’on fasse du droit pour trouver la formule de nature à protéger le mieux nos enfants, et c’est vraiment cet objectif qui nous unit, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.

Pour ma part, j’ai la conviction profonde que notre proposition donne au juge les armes nécessaires pour protéger nos enfants – beaucoup plus que les autres propositions – : une formule ne pourra pas prospérer, ce qui reviendra à avoir fait ce que je crois être un coup d’épée dans l’eau, tandis que la formule basse, si je puis me permettre cette expression, madame la garde des sceaux, une formule prudente, ne constitue pas un pas en avant fort avec une modification de la charge de la preuve, afin que le coupable puisse être plus facilement condamné et que la victime ne voit pas peser sur elle une contribution à la démonstration de la culpabilité de son agresseur, ce qui la conduirait à devoir se justifier. Or ce n’est vraiment pas un état d’esprit convenable pour punir les agresseurs de mineurs.

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