Intervention de François Bonhomme

Réunion du 14 février 2019 à 10h30
Élection des membres du parlement européen — Discussion générale

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui autorise l’approbation de la décision du Conseil de l’Union européenne modifiant l’acte électoral de 1976, lequel définit les grands principes d’organisation des élections européennes dans chaque État membre.

Disons-le d’emblée, l’impact de ces modifications techniques sur notre droit électoral et sur l’organisation des prochaines élections européennes dans notre pays sera pour ainsi dire nul.

Toutes les prescriptions formulées dans ce texte, qu’elles portent sur le seuil minimal pour l’attribution des sièges, sur les échanges d’informations avec les autres États membres, sur le délai de dépôt des candidatures ou sur les mesures à prendre contre la pratique du double vote, ont d’ores et déjà trouvé leur traduction dans le droit national. Quant aux autres dispositions, elles demeurent optionnelles et, à l’exception notable du recours au vote électronique pour les Français de l’étranger, elles sont déjà appliquées.

Dans ces conditions, le groupe Les Républicains ne voit pas de raison fondamentale de faire obstacle à ce projet de loi, qu’il votera donc.

Mais davantage que le contenu de ces propositions, ce sont les objectifs qui leur sont assignés qui retiennent l’attention. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, c’est animés de la volonté de « redynamiser le projet européen » et de lutter contre « l’érosion progressive et systématique » de la participation aux élections européennes que les États membres ont entrepris l’élaboration de ce texte suggéré par le Parlement européen.

Au vu du contexte européen actuel, pour le moins tumultueux, de l’ampleur des défis auxquels l’Europe doit répondre, mais aussi de la désaffection croissante des citoyens pour le scrutin européen, ces objectifs apparaissent particulièrement pertinents. Il est toutefois très difficile d’imaginer, même avec la meilleure volonté du monde, que ces propositions permettront d’atteindre ces objectifs.

De manière plus pragmatique, il convient sans doute de se contenter avec ce texte de viser une finalité plus modeste, à savoir le renforcement des « principes communs qui régissent les élections au Parlement européen, afin d’en souligner le caractère européen ».

Il est en effet normal que les modalités d’organisation des élections européennes reflètent dans une certaine mesure le fait qu’il s’agit d’un scrutin à dimension continentale. À cet égard, je tiens à souligner le profond paradoxe qu’il y aurait à soutenir cette logique tout en accolant à ces élections la tenue d’un référendum. Dans une telle hypothèse, les enjeux européens ne pourraient que s’effacer derrière des enjeux nationaux de sortie de crise, ce qui serait une bien curieuse façon de souligner le caractère européen de la journée du 26 mai.

Pour autant, je n’estime pas que le renforcement des principes communs qui régissent les élections européennes doive nécessairement aller jusqu’à l’instauration de l’éventuelle « procédure uniforme dans tous les États membres » qui est mentionnée dans le traité.

Ériger cette notion en totem, comme le font certains, me semble à la fois vain et contre-productif. L’essentiel pour susciter l’adhésion des citoyens au projet européen ne réside absolument pas dans la standardisation de toutes les procédures électorales ou des jours de vote.

Et si des règles communes à tous les États membres sont évidemment essentielles, elles ne doivent pas conduire à ignorer les traditions, les particularités et les sensibilités nationales, auxquelles les citoyens se révèlent parfois très attachés.

Dans le domaine électoral comme dans les autres, l’Union européenne doit avant tout trouver la bonne distance et laisser aux démocraties nationales d’indispensables espaces de respiration. Évitons ce réflexe pavlovien qui consiste en matière européenne à confondre harmonisation et uniformisation.

Et si cela est vrai en termes de procédures, cela l’est évidemment encore plus en termes politiques. Je fais ici référence à l’une des propositions phares du Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à savoir l’élection d’une partie des députés européens sur des listes transnationales.

Malgré le revers considérable subi au Parlement européen lors des discussions sur l’affectation des sièges bientôt laissés vacants par le Royaume-Uni, le Gouvernement laisse entendre dans l’exposé des motifs du projet de loi que ce projet serait la suite logique, voire « naturelle », du processus d’harmonisation des procédures électorales.

Je souhaite réaffirmer notre opposition à de telles listes, car elles reposent sur une illusion, celle qu’il existerait un peuple européen. En outre, imaginer, comme Guy Verhofstadt l’a soutenu l’année dernière, que des listes transnationales pourraient et même devraient contribuer à le faire advenir relève tout simplement de la billevesée ou de la pensée totémique.

Si les différents peuples qui composent l’Union européenne se sentent à l’évidence liés par une profonde communauté de destin – c’est d’ailleurs le sens même de la construction européenne–, ils ont avant tout pour cadre de référence la communauté nationale ou l’État-nation.

Qu’on le veuille ou non, c’est au sein de cet espace public national que doivent s’organiser la vie et le débat politiques. Il demeure le creuset de la légitimité et de l’exercice de la démocratie, et ce ne sont pas les grandes envolées lyriques aux accents fédéralistes sur la « souveraineté européenne » qui changeront quoi que ce soit à cet état de fait. C’est une réalité tenace que l’on ne veut pas voir.

À la différence d’une capacité d’action accrue des parlements nationaux dans le débat et le processus législatifs européens, par exemple via l’instauration d’un droit d’initiative, voire d’un droit de veto, les listes transnationales ne seront en aucun cas capables de rapprocher l’Europe des citoyens et d’apporter une réponse au déficit démocratique de l’Union européenne. Il y a là une chimère aux couleurs européennes.

Bien au contraire, de telles listes ne feraient que favoriser l’élection de députés européens « hors sol », et je dirais même « hors peuple », sans aucune prise avec les réalités du terrain ni aucun ancrage territorial, en d’autres termes, sans aucun lien avec les électeurs.

Mais peut-être s’agit-il là, après tout, du véritable projet recherché par le Gouvernement, puisque c’est exactement la voie qu’il a suivie au niveau national en imposant le recours à une circonscription unique. On attend avec impatience l’afflux électoral qu’on nous a promis le 26 mai prochain.

Il faut certes convenir que les huit circonscriptions interrégionales, trop étendues et ne correspondant à aucune réalité administrative, économique ou historique, étaient complètement vides de sens. Il faut aussi admettre que les députés européens élus dans ces conditions souffrent nécessairement d’un déficit démocratique et d’un déficit d’identification lié notamment à leur absence d’assise territoriale.

Toutefois, la conclusion logique qui s’imposait face à ce constat aurait dû être l’introduction de davantage de proximité, par exemple en redécoupant les circonscriptions pour les faire coïncider avec des délimitations territoriales et électorales cohérentes. On a finalement choisi de mettre en œuvre une politique de Gribouille, consistant, pour ne pas se mouiller, à se jeter à l’eau, en passant de circonscriptions interrégionales à une circonscription nationale, ce qui pose un problème d’identification.

On aurait pu aussi, dans l’idéal, élire nos députés européens au scrutin majoritaire dans 74, et bientôt 79 circonscriptions électorales. Certes, on nous oppose comme argument que l’acte électoral de 1976 impose un scrutin de type proportionnel – n’est-ce pas finalement le défaut originel de l’élection au Parlement européen ?

Ce serait pourtant, de loin, la meilleure solution si l’on considère que tout élu se doit d’être « à portée d’engueulade » de ses électeurs.

Au lieu de cela, le Gouvernement et sa majorité ont pris une direction diamétralement opposée. Nous voici donc revenus à la circonscription nationale, qui souffrira nécessairement des mêmes maux, en pire, que les circonscriptions interrégionales.

J’entends déjà les déplorations vertueuses, le soir du scrutin, où l’on s’interrogera doctement sur le niveau de participation.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’argument selon lequel cette réforme permettrait de réduire l’abstention n’est que pure fantaisie.

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