Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte, adoptée par l’Assemblée nationale le 29 janvier 2019, après engagement de la procédure accélérée.
L’objet de ce texte est technique et très circonscrit. Je n’y reviendrai pas longuement, car M. le secrétaire d’État nous l’a déjà exposé : il porte sur le régime procédural de la rétention administrative à Mayotte, et il vise à corriger une erreur de coordination commise par l’Assemblée nationale lors de l’examen, en nouvelle lecture, du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Cette erreur doit être corrigée rapidement, avant le 1er mars, faute de quoi il y aura des conséquences néfastes pour l’efficacité des services en charge, à Mayotte, de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, auxquels je veux ici rendre hommage.
À Mayotte, le JLD dispose en effet d’un délai maximal de cinq jours pour contrôler une mesure de placement en rétention, sur l’initiative du retenu, ou pour autoriser sa prolongation, à la demande du préfet, par dérogation au délai de quarante-huit heures applicable sur le reste du territoire.
La proposition de loi qui vous est soumise vise donc simplement à conserver l’état du droit actuel à Mayotte, en y maintenant le délai dérogatoire un peu plus long dont dispose le JLD pour intervenir.
Ce délai spécifique à Mayotte existe dans notre droit depuis 2017, et peut-être n’est-il pas inutile de rafraîchir les mémoires sur son origine. C’est sous le précédent gouvernement socialiste qu’il a été introduit, grâce à deux de nos collègues députés mahorais, à l’époque dans la majorité, soutenus par le rapporteur Victorin Lurel, et avec l’avis favorable de la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts.
De portée limitée, cette adaptation législative est parfaitement conforme à la Constitution, puisqu’elle permet de tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières » de Mayotte, comme le prévoit l’article 73 de notre texte fondamental.
Vous connaissez en effet tous le contexte particulièrement difficile dans lequel s’inscrit la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte. L’île subit depuis des années une pression migratoire exceptionnelle. La mission d’information menée en 2012 par MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan sur la mise en place de la départementalisation en faisait déjà le constat.
Cette pression migratoire tient d’abord à l’attractivité économique propre du territoire – comme beaucoup de collectivités d’outre-mer, Mayotte a un niveau de vie moyen plus élevé que ses voisins –, mais il faut aussi prendre en compte le contexte géopolitique particulier et les liens historiques existant entre les îles de l’archipel des Comores.
Les chiffres sont éloquents : selon les premiers résultats du recensement de la population de 2017, près de 48 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère, ce qui constitue de loin la part la plus élevée de tous les départements français. On estime, en outre, qu’au moins la moitié des étrangers non natifs de Mayotte se trouvent en situation irrégulière. Ainsi, alors que l’île compte 256 000 habitants, le nombre d’étrangers en situation irrégulière oscillerait entre 60 000 et 75 000 individus.
Les migrants, pour la quasi-totalité Comoriens venant des autres îles de l’archipel, effectuent leur voyage vers Mayotte grâce à des barques de fortune, les kwassa-kwassa, dans des conditions déplorables d’hygiène et de sécurité.
Cet afflux constant de personnes en situation irrégulière contribue à désorganiser les services publics mahorais. Ai-je besoin de rappeler la situation de la maternité de Mamoudzou, qui doit accueillir près de 10 000 nouveau-nés chaque année ?
Mayotte connaît ainsi une densité de population exceptionnelle, une urbanisation incontrôlée, la prolifération de l’habitat insalubre, et le développement de véritables filières d’immigration et de travail clandestins, aux dépens du développement socio-économique de l’île.
Enfin, avec environ 20 000 reconduites à la frontière effectuées depuis Mayotte chaque année, ce qui représente près de la moitié des reconduites effectuées depuis l’ensemble du territoire national, et, en moyenne, 50 éloignements par jour, juridictions, associations, forces de police et services préfectoraux sont très fortement sollicités.
Le maintien d’une disposition dérogatoire de portée limitée et purement procédurale à Mayotte répond ainsi à d’impérieuses nécessités opérationnelles.
Dans un contexte de relations difficiles avec les autorités de l’Union des Comores, vers laquelle est reconduite la quasi-totalité des retenus en situation irrégulière, les éloignements doivent souvent être interrompus ou déplanifiés pendant quelques heures, voire plusieurs jours, incidents que le délai dérogatoire de cinq jours permet aujourd’hui d’absorber.
La configuration géographique particulière de l’archipel de Mayotte doit également être prise en compte. Il n’est pas possible de multiplier les escortes entre le centre de rétention administrative de Pamandzi, situé à Petite-Terre, et le tribunal de grande instance, situé, lui, à Grande-Terre, sans détourner les forces de police de leurs missions.
Enfin, ce texte ne modifie pas les garanties matérielles ou juridiques offertes aux étrangers retenus. Le centre de rétention administrative de Pamandzi, qui a ouvert en septembre 2015, leur offre des conditions sanitaires, de sécurité et d’accompagnement pleinement satisfaisantes, bien supérieures, même, à celles constatées habituellement sur l’île, comme le reconnaissent d’ailleurs, dans leurs récentes observations, les délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
L’adoption de ce texte technique est donc nécessaire – j’espère que nous le voterons tout à l’heure, mes chers collègues –, mais, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, ce sont surtout des moyens et des mesures concrètes que les Mahorais attendent aujourd’hui.
Je me félicite de ce que l’État ait récemment consenti des efforts importants dans la lutte contre l’immigration irrégulière dans notre département : des moyens techniques, tels que radars et vedettes, ont été débloqués pour l’interception des embarcations clandestines ; des renforts humains ont été déployés pour lutter contre les filières d’immigration clandestine et s’attaquer aux ressorts économiques et financiers du phénomène.
Sur place, nous constatons que ces efforts commencent enfin à payer. Pour preuve, avec près de 2 400 éloignements réalisés au mois de décembre 2018, les forces de police ont retrouvé des niveaux d’efficacité inconnus depuis 2016. Il faut donc évidemment saluer ces avancées et le changement dans l’ampleur des moyens consacrés à ce problème.
Cependant, je tiens aussi à insister sur le fait qu’il ne s’agit, pour l’essentiel, que d’un rattrapage, sur la base d’une situation extrêmement dégradée, qui a longtemps donné aux Mahorais le sentiment d’être abandonnés par l’État.
Ces efforts méritent donc d’être non seulement poursuivis, mais amplifiés dans toutes leurs dimensions : les équipements et les renforts d’effectifs ne sont souvent pas assez nombreux, et ils restent encore sous-dimensionnés par rapport aux objectifs ambitieux affichés.
Des moyens supplémentaires devraient être alloués à la lutte contre l’habitat et le travail illégaux, qui alimentent de véritables filières.
Je n’oublie évidemment pas que la recherche d’une solution durable au problème passe aussi par la poursuite de la coopération diplomatique avec l’Union des Comores, pour favoriser le développement économique de toute la région et mieux dissuader ainsi les candidats au départ.
Je souhaiterais aussi que les dispositions adaptant les conditions d’acquisition de la nationalité française à la situation migratoire particulière de Mayotte, introduites par le Sénat sur mon initiative dans la loi du 10 septembre 2018, soient accompagnées sur place de plus larges campagnes d’information.
Je veux saluer, pour conclure, l’attitude constructive et pleinement respectueuse du rôle du Sénat qui a présidé aux échanges que j’ai eus avec le Gouvernement et avec mon homologue rapporteure de l’Assemblée nationale, Ramlati Ali.
Nous avons ainsi, de notre commune initiative, modifié le texte initial par un amendement, adopté à l’Assemblée nationale, pour permettre au Parlement de disposer d’une information plus exhaustive sur les chiffres de l’immigration dans les outre-mer et à Mayotte, en particulier. Il s’agissait d’une demande récurrente, que je portais depuis de nombreuses années, et qui avait reçu l’appui du rapporteur, notre collègue François-Noël Buffet, lors de la discussion du projet de loi Immigration, asile, intégration.
Je me réjouis de la qualité des discussions en commission sur ce texte. Je le sais, il en sera de même aujourd’hui en séance publique.
Je souhaite enfin remercier M. Philippe Bas, président de la commission, de la confiance qu’il m’a témoignée pour conduire ce rapport. Il l’a fait, j’en suis convaincu, dans l’intérêt supérieur de la population mahoraise.
Au bénéfice de ces observations, votre commission des lois recommande au Sénat une adoption conforme de ce texte utile et urgent.