Ainsi, l’article 2 crée une interdiction administrative de manifester dans une version plus répressive que la version sénatoriale. Selon nous, cet article porte atteinte à la liberté d’expression collective des opinions et à la liberté d’aller et venir, en raison du pointage en commissariat, déjà évoqué.
Bien qu’elle soit contextualisée, la mesure de police administrative reposerait sur la seule constatation, par le représentant de l’État dans le département ou par le préfet de police, d’agissements doublés d’un risque supposé de « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » et, a fortiori, pourrait s’appliquer à des manifestations non déclarées « dont [le représentant de l’État] a connaissance ».
Faute d’énoncer des critères suffisamment précis et restrictifs, la décision d’interdiction préventive de manifester sera laissée à la seule appréciation du préfet.
Les garde-fous prévus dans le texte à l’article 2 présentent un caractère formel : dans certains cas, l’arrêté du préfet serait « exécutoire d’office et notifié à la personne concernée par tout moyen, y compris au cours de la manifestation ». En d’autres termes, le droit à un recours effectif devant le juge sera rendu impossible dans les faits.
L’article 4 de la proposition de loi crée un délit passible d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour dissimulation du visage dans une manifestation. À la suite des travaux du Sénat visant à caractériser l’intentionnalité du délit, Mme Alice Thourot, rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée nationale, avait souhaité apporter encore plus de précisions, dans le but de garantir la proportionnalité de la mesure. En séance publique, toutefois, l’adoption d’un amendement inversant la charge de la preuve a simplifié à l’excès et a fortement déséquilibré le dispositif.
L’article 4 de la proposition de loi viserait ainsi, outre des personnes qui se trouveraient « au sein » de la manifestation, des personnes qui seraient à ses « abords immédiats », alors que des troubles à l’ordre public ne sont pas en train d’être commis, mais « risquent d’être commis », sans qu’un lien caractérisé soit établi entre le trouble et la personne qui dissimulerait seulement une « partie de son visage ».
Pour que la loi qui impose une restriction à ses droits garantis soit accessible au citoyen, celle-ci doit être précise et prévisible, de sorte que celui-ci soit en mesure de connaître la règle qui lui est appliquée. Cette exigence de précision est le corollaire du principe de sécurité juridique. Elle est inhérente à l’objectif d’intelligibilité de la loi.
J’ai, pour ma part, du mal à imaginer ce que recouvriraient en pratique, sur le terrain, les « abords immédiats » d’un parcours Bastille-République.
L’article 6 bis a été inséré dans la proposition de loi par l’Assemblée nationale à la faveur d’un amendement de sa rapporteure adopté au stade de l’examen du texte en commission des lois. Il complète la liste des obligations et des interdictions auxquelles une personne peut être astreinte dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il y ajoute notamment l’interdiction de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par le juge d’instruction ou par le juge des libertés et de la détention. Or, dans le droit en vigueur, le contrôle judiciaire peut d’ores et déjà comporter l’interdiction, pour le mis en cause, de se rendre dans certains lieux. L’article 6 bis est donc superflu.
Par cette motion, notre groupe souhaite attirer l’attention du plus grand nombre de sénateurs sur les risques que ce texte comporte.
En première lecture, de nombreux collègues de la majorité présidentielle avaient assumé leur choix et marqué leur opposition à ce texte. Nous leur donnons aujourd’hui l’occasion de réitérer cette affirmation de leurs convictions. Le nombre de personnes interpellées au cours des manifestations récentes comme la lourdeur des peines prononcées en comparution immédiate indiquent que des réponses juridiques existent déjà.
Je vous demande très solennellement, mes chers collègues, que nous assumions, que le Sénat assume son rôle de gardien des libertés publiques. Épargnons-nous ce texte inutile, imprécis et dangereux.
Même contre les brutes, monsieur le ministre, même contre les vandales, même contre les ultra-violents, suivant en cela l’avis défavorable exprimé au nom du Gouvernement par M. Laurent Nunez en première lecture, le groupe socialiste et républicain affirme que, jamais, le préfet ne pourra remplacer le juge !