Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, entre 2005 et 2008, la France a conclu trois accords-cadres de coopération sanitaire transfrontalière avec l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Les deux accords-cadres que nous examinons aujourd’hui, signés avec la Suisse et le Luxembourg, sont de même nature et de facture similaire. Ils compléteront ainsi le tissu conventionnel en ce domaine avec deux autres pays frontaliers et définiront le cadre juridique de nos relations avec ces États voisins.
Les parlements suisse et luxembourgeois ont chacun adopté l’accord-cadre qui les concerne, respectivement en décembre 2017 et en juin 2018. À noter qu’aucun des neuf cantons suisses concernés n’a demandé une approbation par votation.
L’Assemblée nationale a, quant à elle, adopté ce projet de loi, à l’unanimité, le 23 mai dernier. Son examen au Sénat constitue donc la dernière étape avant la ratification des accords et leur entrée en vigueur.
Dans le domaine sanitaire, notre pays est déjà lié à la Suisse et au Luxembourg par des conventions de sécurité sociale, signées respectivement en 1975 et en 2005. S’agissant de la prise en charge des soins, les modalités applicables sont définies par les règlements européens relatifs à la coordination des régimes de sécurité sociale, qui s’appliquent également à la Suisse. Toutefois, les deux accords-cadres dont nous discutons ce matin vont beaucoup plus loin. Ils ont pour objectif de permettre aux assurés sociaux qui résident dans les régions frontalières d’être soignés au plus près de leur lieu de résidence, aussi bien dans leur pays que sur le territoire d’un État voisin. Ces accords concernent aussi toutes les personnes qui nécessitent des soins urgents et qui relèvent du règlement de coordination de l’Union européenne. Pour ce faire, les accords-cadres veulent favoriser la mobilité des professionnels de santé et des patients dans les régions frontalières et développer des coopérations qui leur sont directement profitables, tant en matière de secours d’urgence que de soins programmés. Il convient de souligner à ce titre que l’accord-cadre franco-suisse règle la question du franchissement de la frontière pour faciliter la circulation des services de secours.
Ces deux accords visent donc à définir le cadre juridique de la coopération sanitaire entre deux États voisins, ouvrant la voie à davantage de mutualisation des savoir-faire, des moyens matériels et, surtout, des moyens humains. Leur champ d’application territorial se limitera aux deux départements limitrophes du Luxembourg, à savoir la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, et aux six départements limitrophes de la Suisse que sont le Haut-Rhin, le Territoire de Belfort, le Doubs, le Jura, l’Ain et la Haute-Savoie.
L’esprit de ces accords-cadres constitue une réelle avancée pour nos concitoyens frontaliers. Toutefois, ils ne dressent qu’un cadre général qui appelle l’adoption ultérieure d’accords d’application pour fixer les modalités de leur mise en œuvre. La conclusion de conventions locales de coopération entre les autorités sanitaires compétentes sera donc nécessaire pour assurer une complémentarité des offres de soins de part et autre de la frontière, suivant les besoins et les insuffisances préalablement identifiés.
M. Bruno Fuchs, rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale et député de mon département du Haut-Rhin, a conduit un travail très approfondi sur la question, que je tiens à saluer, même si cela a retardé l’adoption du texte de plus d’un an… La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a en effet constitué un groupe de travail, qui a conduit deux déplacements en Suisse, à Bâle et à Genève, et a procédé à une vingtaine d’auditions – directeurs d’administration, directeurs d’hôpital, élus locaux et, bien entendu, associations de travailleurs frontaliers. En effet, 175 000 travailleurs frontaliers vont en Suisse et 95 000 au Luxembourg.
Le rapport de M. Fuchs, très complet sur le sujet, identifie les lacunes de ces textes trop généraux et établit une liste de recommandations destinées à assurer leur bonne application. Cette application bénéficiera en premier lieu aux travailleurs frontaliers qui sont déjà familiarisés avec le système sanitaire du pays voisin. Plusieurs de ces recommandations méritent d’être soulignées.
Premièrement, l’accord-cadre conclu avec la Suisse désigne la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie comme seul « référent » des différentes caisses de sécurité sociale suisses. Or le département du Haut-Rhin bénéficie d’un régime de droit local alsacien-mosellan en matière de sécurité sociale dont les spécificités peuvent échapper à la CPAM de Haute-Savoie. Il serait donc préférable de désigner trois CPAM au titre de la partie française, c’est-à-dire une caisse, évidemment proche de la frontière, par région concernée – Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est.
Deuxièmement, un effort de communication doit être entrepris au bénéfice de l’ensemble des habitants des départements frontaliers, qu’ils travaillent ou non de l’autre côté de la frontière, pour les informer de leurs droits en matière d’accès aux soins transfrontaliers et d’affiliation. Je précise à cet égard que les litiges relatifs à l’affiliation des travailleurs français en Suisse sont résolus à la suite de l’arrêt du 15 mars 2018 de la Cour de cassation. En effet, les intéressés ont officiellement obtenu leur radiation du système de sécurité sociale français, ainsi que la restitution des cotisations sociales indûment versées.
Troisièmement, sur le plan administratif, les trois agences régionales de santé devront intégrer un volet transfrontalier à leur projet, ainsi que le prévoit déjà la loi. Cependant, il apparaît que ce n’est pas dans leur priorité. En effet, la mobilisation des acteurs institutionnels régionaux est indispensable pour proposer des réponses adaptées aux situations rencontrées par nos concitoyens des zones frontalières.
Quatrièmement, il faudra veiller à la participation de chacune des parties dans la construction d’une offre transfrontalière de soins, afin d’éviter toute concurrence entre établissements de soins ou professionnels de santé. À cet effet, l’analyse des ressources et des besoins de chaque bassin de vie devra intégrer la dimension transfrontalière pour aboutir à des diagnostics partagés, qui permettront à chaque État d’optimiser ses infrastructures, ses équipements et son personnel médical et paramédical. C’est là tout l’intérêt de ces accords-cadres ! Chaque résident frontalier aura alors accès à l’offre de soins la plus adaptée, au plus près de son domicile.
Enfin, cinquièmement, les accords-cadres prévoient la mise en place de commissions mixtes chargées de suivre leur application, composées uniquement de représentants des autorités sanitaires de chaque partie. Il m’apparaît toutefois indispensable d’élargir leur composition aux personnes directement confrontées aux enjeux sanitaires transfrontaliers, à savoir les usagers, les professionnels de santé et les élus locaux. Il s’agit d’éviter l’entre-soi entre administrations et caisses d’assurance maladie.