Intervention de Claude Nougein

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 novembre 2019 à 8h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Missions « gestion des finances publiques et des ressources humaines » « crédits non répartis » « action et transformation publiques » et compte d'affectation spéciale cas « gestion du patrimoine immobilier de l'état » - examen du rapport spécial

Photo de Claude NougeinClaude Nougein, rapporteur spécial :

Nous avons parlé à l'instant des efforts insuffisants du Gouvernement en matière de maîtrise des dépenses publiques et de réduction de la masse salariale de l'État. S'il est bien une mission qui participe à ces efforts, c'est la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». Principale mission du pôle économique et financier de l'État, elle porte les crédits des deux grandes administrations de réseau que sont la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

D'un montant de 10,46 milliards d'euros, ses crédits devraient ainsi se stabiliser entre 2018 et 2019 - ils augmentent de 0,14 % seulement - avec une baisse des dépenses de personnel. La réduction des effectifs de la DGFiP devrait ainsi compter pour un tiers des 15 000 postes de fonctionnaires d'État qui seraient supprimés d'ici à la fin du quinquennat.

Ce sont de bonnes nouvelles, mais nous risquons d'en rester là. En effet, la stabilisation de ces crédits provient moins d'une logique de rationalisation arrivée à son terme que de la nécessité de marquer une pause afin que la DGFiP et la DGDDI puissent répondre aux défis auxquels elles devront faire face ces prochaines années.

Le premier grand défi de ces administrations de réseau, qui comptent à elles deux plus de 117 000 emplois équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) - 100 000 à la DGFiP, 17 000 à la DGDDI - est celui de leur réorganisation.

Cela implique, d'abord, la réorganisation du réseau territorial. Le ministre de l'action et des comptes publics nous avait adressé à l'été un courrier pour défendre le nouveau processus de concertation mis en place dans chaque département. Selon les informations dont nous disposons, la mise en place de la nouvelle carte des implantations de la DGFiP pourrait être reportée dans une quinzaine de départements, faute d'accord. La DGFiP contribuera également aux trois quarts au processus de « déconcentration » des services publics, des administrations centrales vers les villes des territoires périurbains et ruraux. Les villes éligibles ont peu de temps pour se porter candidates et le cahier des charges indique clairement que ce seront surtout les villes moyennes qui satisferont à l'ensemble des critères.

Nous alertons sur les risques inhérents à de tels projets de restructuration, qui visent à rationaliser les coûts et les effectifs. Si nous ne sommes pas opposés à ces objectifs, nous craignons que ces processus s'accompagnent de coûts de transition extrêmement élevés. Tel est ainsi le cas des dispositifs d'accompagnement proposés aux agents des finances publiques ou des douanes qui ne voudraient pas effectuer une mobilité géographique ou changer de métier.

Nous ne disposons en outre que de peu d'informations sur les effets réels sur le personnel des réformes déjà à l'oeuvre : prélèvement à la source, suppression progressive de la taxe d'habitation, dématérialisation, ou encore unification du recouvrement. Pour vous montrer la sensibilité du sujet, aucun de nos interlocuteurs n'a voulu nous donner de chiffres précis ! Ils ont certainement peur que ce chiffre ne devienne un nouveau chiffon rouge dans un contexte social déjà très délicat.

En 2020 commencera également l'expérimentation visant à confier aux buralistes l'encaissement et le décaissement des recettes de l'État, des établissements publics de santé et des collectivités territoriales, jusqu'ici confiés au comptable public. La mise en oeuvre de ce marché devrait coûter, la première année, 1,7 million d'euros à la DGFiP, notamment pour financer l'achat d'équipements et la formation des buralistes.

Le deuxième défi de la DGFiP et de la DGDDI concerne leurs systèmes informatiques. Thierry Carcenac et moi-même alertons depuis plusieurs années sur la vétusté des systèmes d'information de ces deux administrations, un vrai problème pour notre sécurité et pour l'exercice de leurs missions. À titre d'exemple, parmi les 9 % de logiciels que la DGFiP juge obsolètes figure celui qui est chargé d'éditer les bulletins de salaire et de pension des agents publics. Attention à ne pas créer un nouveau Louvois !

La situation est devenue tellement préoccupante que la Cour des comptes, comme nos interlocuteurs, parle de dette technologique. C'est même une dette insoutenable qui connaît son propre effet boule de neige. En effet, les crédits informatiques sont happés par la maintenance et ne sont donc que très peu consacrés à l'investissement et à la création de nouveaux systèmes innovants, ce qui entretient l'obsolescence des systèmes d'information.

Enfin, le troisième défi pour la DGFiP et la DGDDI est celui de la transformation de leurs métiers. J'ai parlé plus tôt de l'unification du recouvrement. Cela concerne aussi le contrôle fiscal, qui devra dans l'avenir faire davantage appel aux nouvelles technologies que sont l'intelligence artificielle ou le data mining. La mission « Requête et valorisation » devrait ainsi être à l'origine d'un tiers des contrôles l'an prochain et de la moitié en 2021.

Sur le recours à ces outils, nous avons entendu des choses très diverses. Cela tient le plus souvent à deux conceptions opposées du contrôle fiscal. Le directeur général des finances publiques défend cette programmation centralisée des contrôles, qui permet selon lui de décloisonner les bases de données, tandis qu'une partie des agents estiment qu'il faudrait davantage prendre en compte les spécificités du tissu fiscal et économique local. Si nous pensons qu'il est encore trop tôt pour trancher ce débat, nous regrettons de ne pas disposer d'indicateurs de performance plus robustes pour nous éclairer. Il est en effet impossible de connaître le nombre de contrôles qui n'auraient pas été menés sans l'appui de la mission « requête et valorisation ». Difficile alors de savoir si nous pourrons enfin redresser les résultats du contrôle fiscal.

Pour résumer, la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » semble, en apparence, bien fonctionner : ces administrations se modernisent et rationalisent leurs coûts. Toutefois, lors de nos auditions, nous avons pu constater que ces transformations ne se faisaient pas dans un contexte apaisé et qu'il y avait, au sein de la DGFiP et de la DGDDI, de réelles fragilités, du point de vue tant des moyens que des ressources humaines.

Sans remettre en cause les logiques aujourd'hui à l'oeuvre au sein de ces administrations, il est nécessaire de donner davantage de visibilité aux agents touchés par ces transformations. Il n'est pas normal, comme nous l'a expliqué la directrice des Douanes, que les agents d'un même site subissent leur troisième restructuration en six ans. Cela démontre à tout le moins un grave problème d'anticipation dans la gestion des effectifs, problème relevé par la Cour des comptes. Les programmes support de la mission, qui représentent 11 % de ses crédits, sont en outre trop faibles pour accompagner les agents et les administrations.

Pour finir, s'il y a un point sur lequel nous serons particulièrement vigilants, c'est bien la réorganisation du réseau. La DGFiP sera amenée à participer aux maisons France services (MFS). Aujourd'hui, selon un décompte du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), les agents des finances publiques assurent des permanences dans 460 maisons de services au public (MSAP), sur les 1 340 existantes. Outre cette présence, la DGFiP assure également une formation à destination des animateurs des MSAP, afin qu'ils puissent répondre aux interrogations les plus simples des contribuables, ou tout du moins les orienter.

Alors que l'objectif du Gouvernement est de monter en gamme, par le biais du label maison France services, la DGFiP devra fournir un effort supplémentaire pour assurer une présence dans chacune des MFS, sachant qu'il devrait y en avoir 2 000 d'ici à la fin du quinquennat, soit une par canton. Cet effort devra être autant humain, par la mobilisation d'agents capables d'assurer une permanence régulière, que financier.

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