Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 16 juillet 2009 à 22h30
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Article 10

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques années, le ministère de la défense est en pleine évolution, mais l’année 2009 restera surement marquée d’une pierre noire.

En témoigne cette loi de programmation militaire qui entérine à la fois les conclusions du Livre blanc de la défense et les conséquences de la RGPP.

Cela a déjà été dit plus tôt dans le débat par mes collègues du groupe socialiste, si nous comprenons la nécessité de certaines évolutions, nous ne partageons pas le sens de celle que vous mettez en place, qui consiste principalement à externaliser les activités industrielles et de soutien, avec 54 000 suppressions d’emplois civils et militaires à la clé. Vous engagez en fait un véritablement démantèlement de notre outil de défense !

DCNS n’échappe pas à cette funeste règle comme le prouve l’article 10 du projet de loi, qui fait entrer l’entreprise dans le droit commun des privatisations.

En 2001, j’avais voté contre le changement de statut et en 2004, au nom du groupe socialiste, j’avais déjà exprimé mes craintes sur le risque d’éclatement de DCN et sa filialisation tous azimuts. On m’avait répondu, en substance, en 2004, qu’il n’y avait aucun risque et que le législateur avait prévu des garde-fous. Aujourd’hui, ce sont justement ces garde-fous qui sont remis en cause puisque, comme cela est écrit explicitement dans l’exposé des motifs du projet de loi, ils constituent des « obstacles » !

Mes chers collègues de la majorité, je me souviens des propos rassurants que tenait à l’époque le rapporteur du texte, notre ancien collègue Yves Fréville. Il se plaisait à souligner la protection garantie par le recours au législateur au-delà de certains seuils ou effectifs.

Aujourd’hui, en bonne logique libérale, c’est justement le recours au législateur qui est un obstacle, et il faut donc gommer tout signe de l’appartenance de DCNS au secteur public.

J’avoue, mes chers collègues, ne pas comprendre pourquoi la majorité qui, en 2004, – nombre d’entre vous étaient déjà au Sénat – avait sciemment jugé nécessaire de prévoir des dispositions dérogatoires au droit commun des privatisations lorsque les opérations de filialisation étaient assorties d’un transfert d’actifs de DCN, choisit aujourd’hui de se déjuger. Que sont devenus les risques de dérives dont vous parliez en 2004 ? Ont-ils subitement disparus en 2009 ?

Pour ma part, ma position sur le sujet reste inchangée. Je demeure persuadé que la question de possibles coopérations industrielles ponctuelles avec d’autres industriels ne peut se concevoir que dans un schéma de conservation des patrimoines et des missions de chacun.

Au lieu de cela, le processus de filialisation-privatisation entrepris en 2004 a ouvert la boîte de Pandore. Aujourd’hui, c’est l’unicité de DCNS qui est remise en cause, de même que son avenir comme industrie de défense.

Depuis plusieurs années, notamment depuis l’entrée de Thales dans le capital de DCN, la stratégie du groupe est très claire. Il ’agit de recentrer ses activités vers l’ingénierie et le commerce, et d’externaliser de plus en plus les moyens de production.

Sans même parler de l’avenir des sites français, il me semble que ce recentrage ne correspond pas à l’urgence d’une véritable politique industrielle dont notre pays a besoin, et qu’il conduirait aux mêmes déboires que ceux qu’ont connus il y a quelques années les chantiers civils, qui sont allés trop loin dans l’externalisation de certaines compétences, voire, dans certains domaines comme l’électronique, jusqu’au concept absurde d’entreprises sans salariés.

Dans le cas présent, avec des salariés de production a minima, c’est ce que vous proposez pour l’instant.

L’année dernière, à l’occasion de l’examen du budget pour 2009, je vous ai interrogé sur votre stratégie et votre projet industriel, monsieur le ministre, au sujet de DCNS alors même que, à cette époque, le Président de la République parlait de rapprocher les constructions navales civiles et militaires, c’est-à-dire DCNS et les chantiers de l’Atlantique. Vous aviez été dans l’embarras pour me répondre. Aujourd’hui encore, j’ai le sentiment que vous aurez beaucoup de mal à répondre à cette question !

La preuve en est que le contrat d’entreprise pluriannuel conclu entre l’État et la société est arrivé à échéance en 2008, et qu’aucun nouveau contrat n’a depuis été élaboré.

Ce contrat n’a d’ailleurs pas été respecté, de même que n’a pas été respecté l’engagement du Gouvernement de transmettre aux commissions des finances et de la défense du Parlement, chaque année, jusqu’au terme de la période d’exécution du contrat, un rapport sur les perspectives d’activité et les fonds propres de la société.

Cela aurait pourtant dû être obligatoire aux termes de l’article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001.

Vous comprendrez donc mon inquiétude à l’égard de cet article 10, qui vise à supprimer l’un des derniers moyens de contrôle du Parlement sur la stratégie de DCNS.

Ce qui m’inquiète également dans cet article 10, c’est le sort fait aux personnels de tous statuts.

Là encore, l’exposé des motifs du projet de loi est très clair : il s’agit de faire sauter les obstacles administratifs qui empêchent la mise à disposition des personnels de DCNS dans les sociétés où elle est minoritaire.

Vous tentez de rassurer les personnels en affirmant qu’il n’est pas question de remettre en cause leurs statuts et en leur assurant qu’ils pourront revenir au sein de DCNS si un poste se libère. C’est pour le moins insuffisant, alors même que la mobilité accrue et sans limite des personnels dans le groupe aura pour conséquence de rompre les liens géographiques entre les individus et leur lieu de travail, et sans doute de modifier les contrats de travail et les accords collectifs.

En fait, il n’y aura pas, monsieur le ministre, de retour possible. L’objectif réellement visé est d’accélérer l’extinction du statut d’ouvrier d’État.

Il ne faut, d’ailleurs, pas oublier de mettre ces dispositions en relation avec celles de l’article 29 du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique que vous avez fait voter en catimini à l’Assemblée nationale le 7 juillet dernier.

Il permet à votre ministère d’externaliser certaines de ses missions et de mettre les personnels du ministère à disposition des opérateurs privés, quelle que soit leur catégorie : fonctionnaires, militaires, ouvriers d’État.

Cela revient à organiser le démantèlement du ministère de la défense et à remettre en cause le statut des différentes catégories de personnels.

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