Sur la trajectoire budgétaire, les crédits de la mission « Aide publique au développement » (APD) progressent depuis plusieurs années et devraient atteindre 3,27 milliards d'euros en 2020, contre 3,06 milliards d'euros en loi de finances 2019, soit une progression d'environ 6,5 %.
Parallèlement, les engagements de l'Agence française de développement (AFD) continuent à croître, celle-ci devant générer en 2020 près de 2 milliards d'euros d'aide à elle seule grâce à ses prêts concessionnels.
Au total, l'APD, qui comprend beaucoup d'autres crédits comme l'aide aux réfugiés, passera de 10,6 milliards d'euros en 2019 à près de 12 milliards en 2020, soit une progression de 0,43 % à 0,46 % du revenu national brut (RNB). Cette progression sera essentiellement due à une hausse de 150 millions d'euros de la mission APD, à une augmentation de 100 millions d'euros des dépenses de la prise en charge des réfugiés, mais surtout à un accroissement de 600 millions d'euros de l'APD générée par les prêts de l'AFD, alors que cette hausse n'a été que de 240 millions d'euros entre 2018 et 2019.
Mieux encore, pour atteindre les 0,55 % du RNB souhaités par le Président de la République d'ici à 2022, il faudra des augmentations encore nettement plus fortes des crédits budgétaires.
À vrai dire, cet objectif paraît difficile à atteindre en 2022. Le Gouvernement évoque d'ailleurs désormais l'annulation de la dette d'un pays africain pour l'atteindre, ce qui par définition ne fonctionnera qu'une seule année. Selon nous, l'important est surtout de disposer d'une programmation budgétaire solide et détaillée pour les années à venir, afin de savoir exactement où nous allons. Nous le répétons, il est nécessaire qu'une telle programmation figure au sein de la future loi d'orientation. Nous devrons aussi être attentifs à ce que cette montée en charge de l'APD française respecte les orientations définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui elles-mêmes tenaient compte des souhaits du Parlement : priorité Afrique, renforcement des dons et de la composante bilatérale de l'APD française afin de cibler plus efficacement les pays prioritaires.
J'en viens au renforcement du pilotage politique de l'APD. Avec près de 3,27 milliards d'euros pour la mission APD en 2020, dont 2,1 milliards d'euros sur les 5 milliards d'euros gérés par le ministère des affaires étrangères tous programmes confondus, il n'est pas acceptable que nous restions dans le flou entretenu par la séparation en deux ministères et un opérateur très puissant, l'AFD. Au-delà de la création d'un ministère de plein exercice, nous appelons à un raffermissement du pilotage par le renforcement des structures existantes : le CICID bien sûr, mais aussi le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et le Conseil d'orientation stratégique de l'AFD. Il faut aussi un exercice plus efficace de la tutelle des ministères des affaires étrangères et des finances. Ce message, que nous martelons depuis des mois, commence à porter : le ministre et le directeur général de l'AFD lui-même évoquent régulièrement ce nécessaire renforcement du pilotage.
Troisième point essentiel, la concrétisation de la priorité Afrique, que le Président de la République a érigée au début de son mandat et que nous partageons.
À cet égard, le milliard d'euros de subventions supplémentaires reçus par l'AFD en 2019 devrait enfin permettre d'accroître les sommes effectivement disponibles pour les pays les plus pauvres.
On observe toutefois déjà un tassement des autorisations d'engagement en dons de l'AFD, qui passent d'environ 1,5 milliard d'euros à 900 millions d'euros dans le PLF 2020. Cela reste un montant élevé par rapport aux années précédentes, mais cela signifie que les décaissements risquent de cesser d'augmenter au cours des exercices suivants.
Au sein de l'Afrique subsaharienne, le Sahel, « dernière frontière du développement », comme l'a nommé Jean-Marc Châtaignier, l'envoyé spécial du Président de la République, est encore plus prioritaire.
C'est donc dans cette région marquée par le terrorisme, où l'aide publique au développement n'a fait qu'accompagner jusqu'à présent la croissance démographique, qu'il nous faut réussir cette « approche globale » tant évoquée. Du côté de l'aide au développement, l'une des réponses a été de confier à l'AFD un fonds appelé Minka, doté de 100 millions d'euros à l'origine et de 200 millions d'euros à partir de 2020. L'idée était de pouvoir intervenir rapidement au bénéfice des populations pour stabiliser les zones de crise.
Or cet objectif n'avait pas été vraiment atteint. Selon l'AFD, les raisons en sont multiples : les délais de décaissements peuvent rester longs s'agissant de recours aux maitrises d'ouvrage publiques souvent faibles dans ces zones. Un autre défi vient des exigences règlementaires auxquelles l'AFD est soumise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
En outre, plusieurs acteurs du développement (collectivités territoriales engagées dans la coopération décentralisée, militaires engagés au Sahel...) soulignent les difficultés qu'ils ont parfois à coopérer avec l'agence, notamment parce que celle-ci soutient en priorité des projets de grande ampleur, complexes, longs à instruire et à mettre en oeuvre.
La contraction du réseau des coopérants nous a également fait perdre une certaine influence. Il est parfois plus aisé pour les acteurs français de coopérer avec les organismes issus d'autres pays. Ainsi, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est certes soutenue par l'AFD, mais doit constater le caractère incontournable de la coopération allemande (GIZ) sur les normes des pays où elle intervient, en particulier autour de la Méditerranée.
De même, Expertise France, relais naturel de l'expertise française, devrait pouvoir s'appuyer davantage sur l'AFD pour projeter cette expertise en Afrique subsaharienne. Il est impératif que le rapprochement des deux agences permette de progresser sur ce point.
Devant ces difficultés, il est positif que l'AFD ait décidé de devenir une plateforme de l'aide publique au développement, comme elle l'affirme désormais. De même, selon Jean-Marc Châtaigner, les relations et la coopération entre l'AFD et Barkhane se sont quelque peu améliorées. Un conseiller de l'AFD est ainsi placé auprès de Barkhane. En outre, s'agissant de l'intervention dans les pays en crise, l'AFD a adopté en mai 2019 des nouvelles procédures plus collaboratives. Il faut poursuivre cet effort.
Un autre aspect important sur lequel il faut selon nous insister est le rôle du Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay, dont le PLF 2020 prévoit un renforcement des moyens, toutefois encore insuffisant.
Les modes opératoires du CDCS sont en effet bien adaptés au contexte de crise, bien plus que ceux de l'AFD : financements rapidement mobilisables en phase avec le rythme de l'action militaire et les besoins des ONG, capacité à instruire des microprojets dans des zones circonscrites, capacité à prendre des risques. Le principal outil dont dispose le CDCS est le Fonds d'urgence humanitaire (FUH). En 2019, le CDCS a pu mettre en oeuvre 43,4 millions d'euros du FUH. Pour 2020, le FUH va bénéficier d'une hausse substantielle, passant à 80,7 millions d'euros.
Toutefois, ces sommes restent très inférieures à celles consacrées par nos partenaires aux mêmes missions : l'Allemagne consacre environ 1,85 milliard d'euros à l'aide humanitaire et à la stabilisation ; le Royaume-Uni, 2,4 milliards d'euros.
En outre, l'attribution du fonds Minka à l'AFD et non au CDCS rend nécessaire une meilleure formalisation de l'articulation des missions des deux organismes. Cette meilleure coordination suppose un renforcement supplémentaire des moyens du CDCS.
Le dernier point essentiel s'agissant de la priorité sahélienne concerne l'Alliance Sahel, qui est censée améliorer la coordination et l'efficacité de l'aide. Nous avons entendu Jean-Marc Gravellini, responsable de l'unité de coordination de l'Alliance Sahel, que nous avons interrogé sur la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel malgré les efforts de l'Alliance. Il nous a fait valoir a contrario l'exemple de la Mauritanie, qui a su, grâce à une action résolue des autorités centrales, retrouver la stabilité et la sécurité. Il estime que cette volonté politique n'existe pas au même degré, pour le moment, dans l'ensemble des pays du Sahel, ce qui soulève la question difficile de l'introduction d'une certaine dose de conditionnalité dans notre aide. Plusieurs éléments rendent cependant difficile une telle évolution, notamment la nature même des banques de développement qui cherchent avant tout à placer leurs prêts.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission APD pour 2020, en attendant l'inscription de la loi d'orientation qui devra nous permettre de nous prononcer de manière plus précise et plus exigeante sur cette politique de solidarité internationale.