En juin, Guillaume Arnell et moi-même vous avons présenté notre rapport d'information sur l'hébergement d'urgence, qui contenait plusieurs propositions. Dans le cadre de ce projet de loi de finances, mes observations rejoignent celles que nous avions formulées l'été dernier.
Afin de répondre aux demandes d'hébergement des personnes en détresse et d'accompagner les plus précaires vers le logement, le programme 177 finance principalement des structures d'hébergement d'urgence et d'insertion et des dispositifs de logement adapté, sous la forme de dotations et de subventions.
Malgré la progression importante des crédits - près de 43 % en cinq ans - la sous-budgétisation du programme se poursuit d'année en année. Alors qu'elle s'est réduite entre 2016 et 2018, ce que nous avions salué l'an dernier, l'écart entre les crédits ouverts pour 2019 et la prévision d'exécution atteindrait 227 millions d'euros, dont 178 millions d'euros demandés dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2019.
Cette situation, que nous observons depuis plusieurs années, est le résultat d'une demande d'hébergement toujours soutenue du fait de la progression des situations de pauvreté et d'exclusion, ainsi que des flux migratoires.
Dans ce contexte, le nombre de places a continué de progresser en 2019, avec la pérennisation au mois d'avril de 6 000 places hivernales. Le recours aux nuitées hôtelières continue aussi d'augmenter et représente 48 733 places. Cette hausse apparaît inexorable malgré les volontés de la limiter, à tel point qu'en région parisienne, l'offre est saturée. Le parc d'hébergement généraliste a ainsi atteint 146 000 places d'accueil fin 2018.
Malgré la hausse des capacités d'accueil, la demande d'hébergement ne parvient pas à être satisfaite. De nombreuses personnes demeurent donc sans solution d'hébergement : à Paris, plusieurs établissements hospitaliers de l'AP-HP ont dû ainsi héberger des femmes avec leur nouveau-né pendant quelques nuits, faute de solution d'hébergement.
Les stations du métro parisien constituent aussi une solution de mise à l'abri. Selon une enquête réalisée par le Samu social de Paris cette année, entre 200 et 350 personnes dorment chaque jour dans les couloirs du métro. Les chiffres qui nous ont été transmis par le Samu social de Paris parlent d'eux-mêmes : en comparant la situation au 115 de Paris à une date équivalente, le premier lundi d'octobre, le nombre d'appels est passé, entre 2016 et 2019, de 6 135 à 16 869.
Le budget qui nous est proposé pour 2020 prévoit une enveloppe de crédits de 1 991 millions d'euros, soit une augmentation de 5,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Bien que cet effort soit significatif, il représente un montant inférieur à l'exécution de 2018 et à la prévision d'exécution pour 2019. Ce budget pour 2020 risque donc d'être, une fois encore, insuffisant.
D'importants moyens supplémentaires sont alloués au logement adapté, en particulier les pensions de famille et l'intermédiation locative, en cohérence avec le plan « logement d'abord », qui a fixé pour objectif de créer en cinq ans 10 000 places supplémentaires en pensions de famille et 40 000 places en intermédiation locative, soit un doublement des capacités de ces dispositifs.
Or, depuis le lancement du plan en 2017, l'ouverture des pensions de famille a été moins rapide que prévu, du fait des délais nécessaires à la réalisation de travaux préalables. Les crédits dédiés aux pensions de famille augmentent ainsi de 11,1 % afin d'accompagner la montée en charge du dispositif, avec l'objectif d'ouvrir 2 300 places en 2020. Néanmoins, le forfait de financement des pensions de famille, 16 euros par place et par jour, est resté inchangé depuis dix ans.
Alors que leur développement est une priorité du Gouvernement, la révision du montant forfaitaire apparaît nécessaire pour réussir cette montée en charge.
Concernant l'intermédiation locative, sa progression permettrait d'atteindre l'objectif de 40 000 places ouvertes en cinq ans. Pour accompagner cette dynamique, les crédits augmentent de 23,3 % pour 2020 avec un objectif de 8 850 places nouvelles.
Je souhaite également mentionner les crédits dédiés à l'aide à la gestion locative sociale (AGLS), qui permet de soutenir les résidences sociales. Alors que, depuis plusieurs années, une enveloppe de 26 millions d'euros est dédiée au financement de cette aide, elle est systématiquement sous-exécutée. Depuis 2016, 8 à 10 millions d'euros sont redéployés chaque année au profit de l'hébergement d'urgence. Ces redéploiements contredisent l'objectif de développement du logement adapté fixé par le plan Logement d'abord. Il faudrait y mettre un terme et prévoir un montant de crédits intégralement dédiés au soutien des résidences sociales.
La progression des moyens alloués à l'hébergement est plus modérée. L'enveloppe dédiée à l'hébergement d'urgence, c'est-à-dire les places à l'hôtel et en centres d'hébergement d'urgence, augmente de 4,5 %, en particulier pour financer la pérennisation de 6 000 places hivernales depuis le 1er avril. Alors que le Gouvernement a indiqué que, pour cet hiver, 14 000 places temporaires pourraient être mobilisées, les moyens prévus risquent d'être encore insuffisants.
Concernant les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), leurs moyens restent stables pour 2020. Je vous rappelle qu'ils font l'objet de mesures de convergence tarifaire depuis 2018, qui ont été tempérées l'an dernier par un abondement de 10 millions d'euros supplémentaires, en raison des difficultés de fonctionnement qu'ont éprouvées ces centres après l'application de tarifs plafonds. La convergence tarifaire a ainsi induit une économie de 5,1 millions d'euros en 2019 et il est prévu une économie du même ordre l'an prochain. S'il est tout à fait justifié d'harmoniser leurs financements, cette démarche devrait mieux prendre en compte les spécificités des CHRS afin qu'ils puissent continuer à remplir leurs missions d'accompagnement et d'insertion.
En outre, chaque CHRS va devoir conclure avec l'État un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) à l'horizon de 2022, comme le prévoit la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN). L'arrêté fixant le modèle de CPOM devrait être publié d'ici à la fin de l'année, après une phase de concertation avec les gestionnaires. Ces derniers craignent toutefois que les indicateurs qui seront retenus dans le modèle de CPOM répondent à une logique de performance qui inciterait à sélectionner les publics hébergés afin d'obtenir de bons résultats en matière d'insertion vers le logement et de rotation des publics.
Je soutiens la démarche de contractualisation : fixer des objectifs aux structures d'hébergement en termes d'accompagnement et d'accès aux droits doit permettre d'assurer un meilleur suivi des publics et des gestionnaires. C'est ce que nous avions indiqué dans le rapport consacré à l'hébergement d'urgence que vous nous avions présenté en juin dernier avec Guillaume Arnell. Les craintes évoquées doivent donc être levées en ajustant les indicateurs aux spécificités des publics accueillis.
S'agissant de l'hébergement dans son ensemble, les mesures engagées dans le cadre du plan Logement d'abord pour améliorer la sortie des personnes hébergées et mieux maîtriser les coûts vont dans le bon sens, mais des progrès restent à faire. C'est également ce que nous avions constaté avec Guillaume Arnell.
À cet égard, les acteurs de l'hébergement et de l'insertion devraient disposer d'une meilleure connaissance du public accueilli. Environ 8 % des places du parc d'hébergement généraliste accueillent des demandeurs d'asile. Les efforts de spécialisation entre parc généraliste et parc dédié aux demandeurs d'asile doivent donc être poursuivis, à l'image des échanges entre les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) initiés cette année.
En outre, un nombre important de personnes en situation irrégulière est hébergé dans le parc généraliste sans que les services de l'État aient connaissance de leur nombre avec précision. Il faut donc mieux les connaître pour leur offrir un accompagnement spécifique, car ces publics, qui relèvent de l'hébergement généraliste, ne peuvent accéder à un logement du fait de leur situation administrative.
En outre, les outils de suivi des personnes accueillies sont à renforcer pour assurer une orientation plus complète des publics de la part des SIAO, notamment vers le logement adapté et le logement social. Ces pistes d'amélioration devraient être intégrées aux travaux en cours visant à renforcer le rôle des SIAO et leurs outils de régulation de l'offre et de la demande d'hébergement.
Alors que s'ouvre la période hivernale, je me permets de rappeler que la gestion des places temporaires doit être davantage anticipée. Il convient de saluer les démarches d'appels à candidature pour l'ouverture des places hivernales, engagées dans cinq régions cette année. Les décisions de pérennisation de places à l'issue de l'hiver doivent aussi être anticipées afin de fiabiliser les financements pour les gestionnaires et d'assurer une continuité de l'accueil.
Face à la hausse considérable du nombre de places chaque année, et des financements dédiés, les moyens de contrôler les fonds alloués et les conditions d'accueil doivent être renforcés, en particulier dans les hôtels.
Au total, les efforts doivent être poursuivis pour concilier au mieux le respect du principe d'accueil inconditionnel et la nécessaire maîtrise des finances publiques. La réussite du plan Logement d'abord, dont je partage les objectifs, sera conditionnée au maintien d'une offre d'hébergement à la hauteur des besoins d'accueil et d'accompagnement des personnes les plus précaires. L'atteinte des objectifs fixés nécessitera également de renforcer les moyens d'accéder, directement ou par l'intermédiaire de l'hébergement d'urgence, à un logement adapté ou autonome.
Je vous propose donc que notre commission émette un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 de la mission « Cohésion des territoires » pour 2020.