Intervention de Pierre Jarlier

Réunion du 30 janvier 2007 à 16h00
Droit opposable au logement — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Pierre JarlierPierre Jarlier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a une portée historique ainsi qu'une valeur de symbole.

C'est d'abord un acte historique, parce que le droit au logement sera désormais opposable au même titre que le droit à l'éducation ou à la santé.

Et avec cette avancée sociale considérable, la France sera l'un des tout premiers pays au monde - avec l'Écosse - à s'engager dans cette voie d'une solidarité nationale inédite en faveur du logement des personnes défavorisées.

Ainsi, selon le calendrier établi, toute personne en difficulté pourra revendiquer le droit à un logement ou à un hébergement adapté à sa situation.

Je pense bien entendu, en premier lieu, aux quelque 100 000 personnes sans abri, puis aux plus de 2 millions de personnes mal logées qui attendent de nous des mesures concrètes et rapides.

C'est un acte symbolique, car, plus de cinquante ans après l'appel lancé par l'abbé Pierre, et malgré les efforts considérables du Gouvernement depuis cinq ans, la France et les Français souffrent toujours du mal-logement.

Et, concours de circonstance particulièrement émouvant, ce texte arrive en discussion quelques jours seulement après la disparition de l'abbé Pierre, auquel je voudrais rendre hommage au début de ce propos.

Ce texte est aussi un acte symbolique parce qu'il donne une réelle portée juridique à un droit au logement pour tous, pourtant déjà reconnu depuis bien longtemps.

La saisine de la commission des lois s'est limitée aux dispositions tendant à rendre le droit au logement opposable, c'est-à-dire à instituer une obligation de résultat à la charge de la collectivité publique et à ouvrir une possibilité de recours juridictionnel pour en assurer le respect.

Après avoir rappelé l'évolution du droit au logement dans notre pays et ses incidences sur la situation du logement, j'évoquerai les conditions dans lesquelles le droit au logement est rendu opposable et les grands axes des modifications au texte initial que propose la commission des lois.

J'examinerai donc tout d'abord l'évolution du droit.

Sur le principe, le droit au logement existe depuis 1982 avec le droit fondamental à l'habitat, suivi en 1989 par la reconnaissance d'un droit au logement, puis en 1990 par celle du droit au logement décent et indépendant.

Ce droit a été complété en 2004 par le droit de disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et des services téléphoniques.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a considéré en 1995 que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle ».

Enfin, le principe du droit au logement comme composante de la « dignité humaine » est consacré dans de nombreux engagements internationaux souscrits par la France, au premier rang desquels figure la Déclaration universelle des droits de l'homme de décembre 1948.

Mais la portée de ce droit reste cependant relative et ne peut être assimilée à une liberté fondamentale en l'état actuel du droit. En effet, si les autorités publiques doivent tendre à sa réalisation, elles ne sont pas tenues pour autant par une obligation absolue de résultat.

Dans ces conditions, le droit au logement peine à être effectif, malgré les efforts considérables consentis par le Gouvernement ces dernières années.

Ces efforts considérables sont concrétisés par de nombreux programmes ambitieux comme le programme de rénovation urbaine, le plan de cohésion sociale ou encore le dernier plan d'action renforcé pour 2007. Mais de nombreuses dispositions législatives et réglementaires ont également été prises pour rendre pleinement opérationnels ces programmes : pas moins de quatre lois et plusieurs ordonnances en quatre ans.

Ces efforts sans précédent commencent à porter leurs fruits car, grâce à ces mesures que vous avez impulsées, madame, messieurs les ministres, le rythme des constructions de nouveaux logements s'accélère très nettement. Et, sans aucun esprit polémique, je veux rappeler trois chiffres : 430 000 mises en chantier de logements en 2006 pour 380 000 en 2000, soit une augmentation de 40 %, 144 000 logements sociaux publics et privés financés en 2006 pour seulement 51 800 en 2000, soit presque trois fois plus, enfin 30 000 places en hébergement et insertion créées depuis 2002, pour atteindre un total de 95 000 places cette année, soit 50 % de plus.

C'est précisément cette amélioration significative qui rend aujourd'hui possible cette nouvelle étape en faveur d'un réel droit au logement.

C'est aussi une réponse concrète et clairement planifiée que veut apporter le Gouvernement à la détresse des personnes défavorisées, face à l'impossibilité ou à la difficulté de se loger.

J'aborderai maintenant l'analyse du texte par la commission des lois, sans revenir sur l'exposé du projet de loi déjà largement commenté.

La commission des lois considère que ce projet de loi consacre un droit essentiel pour le respect de la dignité de chacun et qu'il constitue l'étape déterminante en faveur d'un réel droit au logement.

Toutefois, elle considère qu'il ne faut pas sous-estimer les risques, dans les conditions actuelles, de l'institution du droit au logement opposable.

Le premier risque tient au fait que, si la responsabilité de l'État est clairement définie, elle n'en est pas moins partagée avec les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, dont les maires ou les présidents bénéficient, à leur demande, du contingent préfectoral de logements sociaux.

En l'état actuel du texte, cette délégation de responsabilité risque de freiner fortement la volonté des collectivités d'en bénéficier.

Le deuxième risque est de provoquer une concentration des demandes sur les communes qui disposent déjà de nombreux logements sociaux...

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