Intervention de Jacques Pelletier

Réunion du 30 janvier 2007 à 16h00
Droit opposable au logement — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jacques PelletierJacques Pelletier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en commençant l'examen de ce projet de loi, comment ne pas évoquer la mémoire de l'abbé Pierre, dont l'infatigable combat a porté la voix des plus démunis ?

Pendant plus de cinquante ans, il a conservé intacte sa capacité d'indignation pour essayer de redonner à ceux qui n'avaient plus rien les moyens de vivre dignement. Il bousculait les consciences, du simple citoyen aux plus hauts dirigeants de ce monde. Et il est malheureusement vrai que notre société d'opulence détourne encore souvent les yeux de la souffrance des plus faibles.

En 2007, en France, pays développé, est-il admissible, mes chers collègues, que des dizaines de milliers de nos compatriotes - nos frères ! - dorment dans la rue ? De cela, nous sommes tous un peu responsables.

Le principe de précaution, érigé en dogme à tout bout de champ, n'est pas pris en compte dans ce domaine du logement, pourtant capital pour les SDF, dont l'espérance de vie est faible.

Selon le rapport pour 2006 de la Fondation Abbé-Pierre, environ 86 000 personnes sont dépourvues de logement, plus de 120 000 sont accueillies dans des structures d'hébergement d'urgence et d'insertion, plus de 200 000 sont hébergées de façon précaire par des amis ou des parents, et plus de 2 millions sont logées dans un habitat indécent.

Ces chiffres sont indignes ! Mais il s'agit aussi de garder en mémoire la multiplicité des cas qu'ils recouvrent : travailleurs et retraités pauvres, ménages dépendant des minima sociaux, familles monoparentales, étrangers en situation irrégulière, etc. Chaque situation appelle un traitement adapté.

Les causes du « mal logement » sont également multiples. L'insuffisance du parc social conjuguée à l'augmentation des prix de l'immobilier a poussé de plus en plus de personnes hors des circuits traditionnels. Les délais d'attente sont de plus en plus longs, surtout en région parisienne. Les retards des programmes de construction accumulés ainsi que l'insécurité juridique de certains bailleurs privés ont amplifié le phénomène.

L'espérance de l'abbé Pierre ne doit pas rester vaine. Il nous appartient maintenant, à nous représentants de la souveraineté nationale, de rendre un ultime hommage à son juste combat en inscrivant dans le marbre de la loi républicaine que l'État aura désormais l'obligation de garantir un logement décent à tout citoyen qui n'a pas les moyens d'y accéder.

Du point de vue juridique, le droit au logement a connu bien des vicissitudes. Proclamé par la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948, il était déjà reconnu comme principe concourant au droit à une existence convenable par le Préambule de la Constitution de 1946. Il fut également érigé en objectif de valeur constitutionnelle en 1995 par le Conseil constitutionnel. Le législateur ne fut pas en reste, puisqu'il en proclama le caractère fondamental à de nombreuses reprises, en 1982, 1990, 1995 et 1998 notamment.

Aujourd'hui, sous l'impulsion du Président de la République, nous nous apprêtons à dépasser la simple déclaration de bonnes intentions pour transcrire durablement ce devoir de protection des plus faibles par la collectivité. Nous rendons ainsi effectif ce devoir de solidarité dont nous sommes les débiteurs vis-à-vis de nos compatriotes les plus démunis.

Cette loi n'aurait pas vu le jour sans le travail considérable et le concours efficace du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, qui a su mobiliser des experts de tous horizons au service de la cause des sans-logis et des mal-logés pour assigner aux pouvoirs publics une obligation de résultat. Je tiens ici à saluer l'action de ses deux présidents successifs, Louis Besson et Xavier Emmanuelli. Enfin, je veux rendre hommage au remarquable travail de notre rapporteur, Bernard Seillier, dont l'engagement en faveur de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion ne sont plus à démontrer, notamment au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

L'opposabilité du droit au logement doit s'articuler avec une politique du logement ambitieuse. Ce texte resterait lettre morte s'il ne s'accompagnait pas de la construction des logements afférents.

Je connais suffisamment votre détermination à ce sujet, monsieur le ministre, pour savoir que votre volonté est sans faille. L'ensemble des acteurs de la chaîne du logement doivent être impliqués : État, élus locaux, partenaires sociaux ou encore représentants des bailleurs sociaux, des propriétaires privés et des locataires.

Donnons aussi l'exemple : l'accès au logement social doit être réservé à ceux qui en ont vraiment besoin.

En 2006, les premiers résultats tangibles du volet « logement » du plan de cohésion sociale ont été observés, avec la mise en chantier de près de 430 000 logements. Votre objectif de construire 120 000 logements sociaux par an est en passe d'être atteint et contribuera, à n'en pas douter, à rendre effective l'opposabilité du droit au logement.

Il est indispensable que cette politique du logement soit coordonnée avec une politique sociale globale.

L'État et les pouvoirs publics doivent exercer pleinement leur rôle de garant du développement des individus, mais il ne faut pas pour autant négliger la responsabilité et le libre arbitre des bénéficiaires des dispositifs d'aide sociale. Le relogement n'est qu'une étape, certes indispensable, vers la réinsertion. La lutte contre le chômage est ainsi le premier rempart contre la spirale infernale menant à la précarité et à l'exclusion. Sur ce point, vous commencez à recueillir, monsieur le ministre, le fruit des réformes initiées depuis quelques années.

Une fois cette loi votée, notre vigilance sera grande. Le groupe du RDSE, comme Thierry Repentin, veillera particulièrement à la mise en application de ce texte. Le temps des atermoiements a cessé, celui de l'action est venu.

Léon Bourgeois, grande figure radicale, auteur, au début du xxe siècle, de la doctrine solidariste, voulait que la République assurât le progrès et l'épanouissement. C'est ainsi qu'il écrivait en 1902 : « La Nation veut que la République soit une société vraiment équitable où, dans un commun respect pour toutes les lois, le citoyen puisse avec sûreté jouir de tous ses droits, exercer toutes ses activités, trouver la juste récompense de son travail et de son mérite ».

C'est fort de cet état d'esprit, et conscient de la solennité du moment, que je voterai, avec bon nombre de mes collègues, ce projet de loi.

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